Commentaire de 1985 dans l’Osservatore Romano

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traduction de « la documentation catholique » du 5 mai 1985

Le 26 novembre 1983, la Congrégation pour la Doctrine de la foi publiait une déclaration sur les associations maçonniques. Un peu plus d’un an après sa publication, il peut être utile d’éclaircir brièvement la signification de ce document.

Depuis que l’Église a commencé à se prononcer à l’égard de la franc-maçonnerie, son jugement négatif s’est inspiré de multiples raisons, pratiques et doctrinales. Elle a jugé que la franc-maçonnerie était non seulement responsable d’exercer une activité subversive à son égard mais, depuis les premiers documents pontificaux en la matière et en particulier dans l’encyclique Humanum genus de Léon XIII (20 avril 1884), le magistère de l’Église a dénoncé dans la franc-maçonnerie des idées philosophiques et des conceptions morales opposées à la doctrine catholique. Pour Léon XIII, elles se ramenaient essentiellement à un naturalisme rationaliste, inspirateur de ses plans et de ses activités contre l’Église.

Dans sa lettre au peuple italien Custodi (8 décembre 1892), il écrivait : « Rappelons-nous que le christianisme et la franc-maçonnerie sont essentiellement inconciliables, de sorte que s’inscrire à l’une signifie se séparer de l’autre. » On ne pouvait cependant négliger de prendre en considération les positions de la franc-maçonnerie, du point de vue doctrinal, quand, dans les années 1970-1980, la S. Congrégation était en correspondance avec quelques Conférences épiscopales particulièrement intéressées par ce problème, en raison du dialogue que des personnalités catholiques avaient entrepris avec des représentants de quelques loges qui se déclaraient non hostiles et même favorables à l’Église.

Désormais, une étude très approfondie a conduit la S. Congrégation pour la Doctrine de la foi (SCDF) à confirmer sa conviction de l’incompatibilité fondamentale entre les principes de la franc-maçonnerie et ceux de la foi chrétienne. Faisant donc abstraction de la considération de l’attitude pratique des diverses loges, de leur hostilité ou non à l’égard de l’Église, la SCDF, par sa déclaration du 26 novembre 1983, a voulu se placer au niveau le plus profond et par ailleurs essentiel du problème : c’est-à-dire sur le plan de l’incompatibilité des principes, ce qui veut dire sur le plan de la foi et de ses exigences morales. De ce point de vue doctrinal, en continuité du reste avec la position traditionnelle de l’Église, comme en témoignent les documents de Léon XIII cités ci-dessus, il découle de nécessaires conséquences pratiques qui sont valables pour tous les fidèles qui seraient éventuellement inscrits à la franc-maçonnerie.

Cependant, à propos de l’affirmation de l’incompatibilité des principes, on objecte maintenant ici ou là que la franc-maçonnerie retiendrait comme essentiel le fait, précisément, de n’imposer aucun « principe », dans le sens d’une position philosophique ou religieuse qui lierait tous ses adhérents, mais viserait plutôt à rassembler, au-delà des frontières des diverses religions et visions du monde, des hommes de bonne volonté, sur la base de valeurs humanistes compréhensibles et acceptables par tous. La franc-maçonnerie constituerait un élément de cohésion pour tous ceux qui croient en l’Architecte de l’univers et qui se sentent engagés à l’égard de ces orientations morales fondamentales qui sont définies, par exemple, dans le Décalogue ; elle n’éloignerait personne de sa religion mais constituerait au contraire une incitation à y adhérer davantage.

On ne peut discuter ici les multiples problèmes historiques et philosophiques qui se cachent sous de telles affirmations. Que l’Église catholique, elle aussi, pousse dans le sens d’une collaboration de tous les hommes de bonne volonté, il n’est pas nécessaire, certainement, de le souligner après le Concile Vatican II. Le fait d’adhérer à la franc-maçonnerie va toutefois et sans aucun doute au-delà de cette légitime collaboration et a une signification bien plus considérable et déterminante.

Avant tout, il faut rappeler que la communauté des « maçons libres » et ses obligations morales se présentent comme un système progressif de symboles qui engage profondément. La discipline rigoureuse de l’arcane qui y domine renforce encore le poids de l’interaction des signes et des idées. Par-dessus tout, le climat de secret comporte pour les inscrits le risque de devenir des instruments de stratégies qu’ils ignorent. Même si l’on affirme que le relativisme n’est pas pris comme un dogme, on propose cependant en fait une conception symbolique relativiste ; aussi le caractère relativisant d’une telle communauté morale et rituelle, loin de pouvoir être éliminé, se révèle au contraire déterminant. Dans un tel contexte, les diverses communautés religieuses auxquelles appartiennent les membres des loges ne peuvent être considérées que comme de simples institutionnalisations d’une vérité plus large et insaisissable. La valeur de cette institutionnalisation apparaît donc inévitablement relative par rapport à cette vérité plus large qui, par contre, se manifeste plutôt dans la communauté de la bonne volonté, c’est-à-dire dans la fraternité maçonnique. Pour un chrétien catholique, toutefois, il n’est pas possible de vivre sa relation avec Dieu selon une double modalité, c’est-à-dire en la scindant en une forme humanitaire supraconfessionnelle et une forme intérieure chrétienne. Il ne peut entretenir deux sortes de relations avec Dieu, ni exprimer son rapport au Créateur à travers des formes symboliques de deux sortes.

Cela serait quelque chose de tout à fait différent de cette collaboration, qui pour lui est évidente, avec tous ceux qui sont engagés dans l’accomplissement du bien, même si c’est à partir de principes différents. Par ailleurs, un chrétien catholique ne peut pas, en même temps, participer à la pleine communion de la fraternité chrétienne et, d’autre part, regarder son frère chrétien, à partir de la perspective maçonnique, comme un « profane ». Même dans le cas où, comme on l’a dit, il n’y aurait pas d’obligation explicite de professer le relativisme comme doctrine, la force relativisante d’une telle fraternité, par sa logique intrinsèque même, a toutefois en elle-même la capacité de transformer la structure de l’acte de foi de manière si radicale qu’elle ne peut être acceptée par un chrétien « qui se soucie de sa foi » (Léon XIII).

Ce bouleversement dans la structure fondamentale de l’acte de foi s’accomplit de plus, le plus souvent, doucement et sans être perçu : la ferme adhésion à la vérité de Dieu révélée dans l’Église devient une simple appartenance à une institution considérée comme une forme particulière d’expression, à côté d’autres formes d’expression, plus ou moins également possibles et valables par ailleurs, de l’orientation de l’homme vers ce qui est éternel. La tentation d’aller dans cette direction est d’autant plus forte qu’elle correspond pleinement à certaines convictions qui prévalent dans la mentalité contemporaine.

L’opinion que la vérité ne peut être connue est une caractéristique typique de notre époque et, en même temps, un élément essentiel de la crise générale qui l’affecte.

En considérant précisément tous ces éléments, la déclaration de la S. Congrégation, affirme que l’inscription aux associations maçonniques « demeure interdite par l’Église » et que les fidèles qui s’y inscrivent « sont en état de péché grave et ne peuvent pas accéder à la sainte communion ». Par cette dernière expression, la S. Congrégation indique aux fidèles qu’une telle inscription constitue objectivement un péché grave et, en précisant que ceux qui adhèrent à une association maçonnique ne peuvent pas accéder à la sainte communion, elle veut éclairer la conscience des fidèles sur une conséquence grave qu’ils doivent tirer de leur adhésion à une loge maçonnique. La S. Congrégation déclare enfin qu’il « n’appartient pas aux autorités ecclésiastiques locales de se prononcer sur la nature des associations maçonniques par un jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été établi ci-dessus ». À ce propos, le texte se réfère aussi à la déclaration du 17 février 1981, qui réservait déjà au Siège apostolique tout jugement sur la nature de ces associations qui aurait impliqué des dérogations à la loi canonique alors en vigueur (canon 2335). De la même manière, le nouveau document publié par la SCDF, en novembre 1983, exprime des intentions identiques de réserve en ce qui concerne des jugements qui seraient divergents de celui formulé quant à l’incompatibilité des principes de la franc-maçonnerie avec la foi catholique, quant à la gravité de l’acte de s’inscrire à une loge et la conséquence qui en découle pour l’accès à la sainte communion. Cette disposition indique que, malgré la diversité qui peut subsister entre obédiences maçonniques, en particulier quant à leur attitude déclarée à l’égard de l’Église, le Siège apostolique trouve chez elles des principes communs qui demandent une même évaluation de la part de toutes les autorités ecclésiastiques.

En faisant cette déclaration, la SCDF n’a pas voulu méconnaître les efforts accomplis par ceux qui, avec l’autorisation requise de la part de ce dicastère, ont cherché à établir un dialogue avec des représentants de la franc-maçonnerie. Mais, du moment qu’existait la possibilité que se diffuse chez les fidèles l’opinion erronée que désormais l’adhésion à une loge maçonnique était permise, elle a pensé qu’il était de son devoir de leur faire connaître la pensée authentique de l’Église à ce propos et de les mettre en garde à l’égard d’une appartenance incompatible avec la foi catholique.

Seul Jésus Christ est, de fait, le Maître de la Vérité, et c’est en lui seul que les chrétiens peuvent trouver la lumière et la force pour vivre selon le dessein de Dieu, en travaillant au vrai bien de leurs frères.

Lettre encyclique de LÉON XIII du 20 avril 1884 sur la secte des francs-maçons

leon XIII

Allocution consistoriale de s.s. PIE IX le 25 septembre 1865

Multiplices inter

Vénérables Frères, Parmi les nombreuses machinations et les moyens par lesquels les ennemis du nom chrétien ont osé s’attaquer à l’Église de Dieu et ont essayé, quoiqu’en vain, de l’abattre et de la détruire, il faut sans doute compter cette société perverse d’hommes, vulgairement appelée  » maçonnique « , qui, contenue d’abord dans les ténèbres et l’obscurité, a fini par se faire jour ensuite, pour la ruine commune de la religion et de la Société humaine.

Dès que Nos prédécesseurs les Pontifes Romains, fidèles à leur office pastoral, eurent découvert ses embûches et ses fraudes, ils ont jugé qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour réprimer par leur autorité, frapper de condamnation et exterminer comme d’un glaive cette secte respirant le crime et s’attaquant aux choses saintes comme aux choses publiques. C’est pourquoi Notre prédécesseur Clément XII, par ses Lettres apostoliques, proscrivit et réprouva cette secte, et détourna tous les fidèles non seulement de s’y associer, mais encore de la propager et de l’encourager de quelque manière que ce fût, sous peine d’encourir ipso facto l’excommunication. Benoît XIV confirma par sa constitution cette juste et légitime sentence de condamnation, et il ne manqua pas d’exhorter les souverains catholiques à consacrer toutes leurs forces et toute leur sollicitude à réprimer cette secte profondément perverse et à défendre la société contre le péril commun.

Plût au Ciel que les monarques eussent prêté l’oreille aux paroles de Notre prédécesseur ! Plût au Ciel que, dans une affaire aussi grave, ils eussent agi avec moins de mollesse ! Certes, Nous n’eussions alors jamais eu (ni nos pères non plus) à déplorer tant de mouvements séditieux, tant de guerres incendiaires qui mirent l’Europe entière en feu, ni tant de maux amers qui ont affligé et affligent encore l’Église. Mais la fureur des méchants ayant été loin de s’apaiser, Pie VII, Notre prédécesseur, frappa d’anathème une secte d’origine récente, le Carbonarisme, qui s’était propagée surtout en Italie où elle avait fait un grand nombre d’adeptes ; et, enflammé du même zèle pour les âmes, Léon XII condamna par ses Lettres Apostoliques, non seulement les sociétés secrètes que Nous venons de mentionner, mais encore toutes les autres, de quelque nom qu’elles fussent appelées, conspirant contre l’Église et le pouvoir civil, et il les interdit sévèrement à tous les fidèles sous peine d’excommunication.

Toutefois, ces efforts du Siège Apostolique n’ont pas eu le succès que l’on eût dû espérer. La secte maçonnique dont Nous parlons n’a été ni vaincue ni terrassée : au contraire, elle s’est tellement développée, qu’en ces jours difficiles elle se montre partout avec impunité, et lève le front plus audacieusement que jamais. Nous avons dès lors jugé nécessaire de revenir sur ce sujet, attendu que par suite de l’ignorance où l’on est peut être des coupables desseins qui s’agitent dans ces réunions clandestines, on pourrait croire faussement que la nature de cette société est inoffensive, que cette institution n’a d’autre but que de secourir les hommes et de leur venir en aide dans l’adversité, qu’enfin il n’y a rien à en craindre pour l’Église de Dieu.

Qui cependant ne voit combien une telle idée s’éloigne de la vérité ? Que prétend donc cette association d’hommes de toute religion et de toute croyance ? Pourquoi ces réunions clandestines et ce serment si rigoureux exigé des initiés, qui s’engagent à ne rien dévoiler de ce qui peut y avoir trait ? Et pourquoi cette effrayante sévérité des châtiments auxquels se vouent les initiés, pour le cas où ils viendraient à manquer à la foi du serment ? À coup sûr elle doit être impie et criminelle, une société qui fuit ainsi le jour et la lumière ; car celui qui fait le mal, dit l’apôtre, hait la lumière. Combien diffèrent d’une telle association les pieuses sociétés des fidèles qui fleurissent dans l’Église catholique ! Chez elles, rien de caché, pas de secret. Les règles qui les régissent sont sous les yeux de tous, et tous peuvent voir aussi les oeuvres de charité pratiquées selon la doctrine de l’Évangile.

Aussi n’avons-Nous pas vu sans douleur des sociétés catholiques de ce genre, si salutaires, si bien faites pour exciter la piété et venir en aide aux pauvres, être attaquées et même détruites en certains lieux, tandis qu’au contraire on encourage ou tout au moins on tolère la ténébreuse société maçonnique, si ennemie de Dieu et de l’Église, si dangereuse même pour la sûreté des royaumes.

Nous éprouvons, Vénérables Frères, de l’amertume et de la douleur en voyant que lorsqu’il s’agit de réprouver cette secte conformément aux constitutions de Nos prédécesseurs, plusieurs de ceux que leur fonction et le devoir de leur charge devraient rendre pleins de vigilance et d’ardeur en un sujet si grave, se montrent indifférents et en quelque sorte endormis. Si quelques-uns pensent que les constitutions apostoliques publiées sous peine d’anathème contre les sectes occultes et leurs adeptes et leurs fauteurs n’ont aucune force dans les pays où ces sectes sont tolérées par l’autorité civile, assurément ils sont dans une bien grande erreur. Ainsi que vous le savez, Vénérables Frères, Nous avons déjà réprouvé cette fausse et mauvaise doctrine, et aujourd’hui Nous la réprouvons et condamnons de nouveau. Ce pouvoir suprême de paître tout le troupeau du Seigneur, que les Pontifes Romains ont reçu du Christ en la personne du bienheureux apôtre Pierre, et par conséquent le magistère suprême qu’ils doivent exercer dans l’Église dépendent-ils du pouvoir civil et peuvent-ils être empêchés sans raison et restreint par ce dernier ?

Dans cette situation, de peur que des hommes imprudents, et surtout la jeunesse, ne se laissent égarer, et pour que Notre silence ne donne lieu à personne de protéger l’erreur, Nous avons résolu, Vénérables Frères, d’élever Notre voix apostolique ; et, confirmant ici, devant vous, les constitutions de Nos prédécesseurs, de Notre autorité apostolique, Nous réprouvons et condamnons cette société maçonnique et les autres du même genre, qui, tout en différant en apparence, se forment tous les jours dans le même but, et conspirent soit ouvertement, soit clandestinement, contre l’Église et les pouvoirs légitimes ; et Nous ordonnons sous les mêmes peines que celles qui sont spécifiées dans les constitutions antérieures de Nos prédécesseurs à tous les chrétiens de toute condition, de tout rang, de toute dignité et de tout pays, de tenir ces mêmes sociétés comme proscrites et réprouvées par Nous. Maintenant il ne Nous reste plus, pour satisfaire aux voeux et à la sollicitude de Notre coeur paternel, qu’à avertir et à exhorter les fidèles qui se seraient associés à des sectes de ce genre, d’avoir à obéir à de plus sages inspirations et à abandonner ces funestes conciliabules, afin qu’ils ne soient pas entraînés dans les abîmes de la ruine éternelle. Quant à tous les autres fidèles, plein de sollicitude pour les âmes, Nous les exhortons fortement à se tenir en garde contre les discours perfides des sectaires qui, sous un extérieur honnête, sont enflammés d’une haine ardente contre la religion du Christ et l’autorité légitime, et qui n’ont qu’une pensée unique comme un but unique, à savoir d’anéantir tous les droits divins et humains. Qu’ils sachent bien que les affiliés de ces sectes sont comme ces loups que le Christ Notre Seigneur a prédit devoir venir, couverts de peaux de brebis, pour dévorer le troupeau ! Qu’ils sachent qu’il faut les mettre au nombre de ceux dont l’apôtre nous a tellement interdit la société et l’accès, qu’il a expressément défendu de leur dire même : ave (salut) ! Que Dieu qui est riche en miséricorde, exauçant les prières de nous tous, fasse qu’avec le secours de Sa Grâce, les insensés reviennent à la raison et que les hommes égarés rentrent dans le sentier de la justice ! Que Dieu réprimande la fureur des hommes dépravés qui, à l’aide des sociétés ci-dessus mentionnées, préparent des actes impies et criminels, et que l’Église et la société humaine puissent se reposer un peu de tant de maux si nombreux et si invétérés ! Et afin que Nos voeux soient exaucés, prions aussi notre avocate auprès du Dieu très clément, la Très Sainte Vierge, Sa Mère immaculée dés son origine, à qui il a été donné de terrasser les ennemis de l’Église et les monstres d’erreurs ! Implorons également la protection des bienheureux apôtres Pierre et Paul, par le glorieux sang desquels cette noble ville a été consacrée ! Nous avons la confiance qu’avec leur aide et assistance, Nous obtiendrons plus facilement ce que Nous demandons à la bonté divine.