Le Discours du Chevalier de Ramsay (1736)

Ramsay : Initié à la « Horn Lodge » de Londres en mars 1730, le Chevalier de Ramsay fut l’orateur attitré de la Loge « Le Louis d’Argent », à l’Orient de Paris. Le texte qui suit, connu sous le nom de « Discours de Ramsay » est un discours de bienvenue destiné à accueillir de nouveaux initiés. Il eut une influence considérable sur la Franc-Maçonnerie française du XVIII me Siècle. Il fut publié à plusieurs reprises et fut soumis par son auteur au cardinal de Fleury, ministre de Louis XV, le 20 mars 1737. Sa valeur historique réside dans le fait qu’il est très caractéristique de la Franc-maçonnerie du siècle des Lumières, et qu’il préfigure, par sa volonté de rattacher l’histoire de la Franc-maçonnerie à celle des croisades, le mouvement qui verra l’apparition des « Hauts Grades ». Les recherches historiques les plus récentes montrent toutefois que cette « origine » chevaleresque doit être considérée de la même manière que l’origine biblique. Il s’agit d’une origine « mythique » et non pas d’un fait historique.

DES QUALITÉS REQUISES POUR DEVENIR FRANC-MAÇON ET DES BUTS QUE SE PROPOSE L’ORDRE.

  1. LA PHILANTHROPIE, OU AMOUR DE L’HUMANITÉ EN GÉNÉRAL.
  2. LA SAINE MORALE.
  3. LE SECRET.
  4. LE GOÛT DES SCIENCES ET DES ARTS LIBÉRAUX.
  5. ORIGINE ET HISTOIRE DE L’ORDRE LA LÉGENDE ET L’HISTOIRE.
  6. INSTITUTION DE L’ORDRE PAR LES CROISÉS.
  7. PASSAGE DE L’ORDRE DE LA TERRE SAINTE EN EUROPE.
  8. DES CROISADES A LA RÉFORME DÉGÉNÉRESCENCE DE L’ORDRE.

    CONCLUSION

  9. RÉGÉNÉRATION ET AVENIR DE L’ORDRE EN FRANCE.
DES QUALITÉS REQUISES POUR DEVENIR FRANC-MAÇON
ET DES BUTS QUE SE PROPOSE L’ORDRE.

La noble ardeur que vous montrez, Messieurs, pour entrer dans le très ancien et très illustre ordre des Francs-Maçons, est une preuve certaine que vous possédez déjà toutes les qualités requises pour en devenir les membres. Ces qualités sont la Philanthropie sage, la morale pure, le secret inviolable et le goût des beaux arts.

  1. LA PHILANTHROPIE, OU AMOUR DE L’HUMANITÉ EN GÉNÉRAL. Lycurge, Solon, Numa, et tous les autres Législateurs politiques n’ont pu rendre leurs établissements durables ; quelles que sages qu’aillent été leurs lois, elles n’ont pu s’étendre dans tous les pays ni convenir au goût, au génie, aux intérêts de toutes les Nations. La Philanthropie n’était pas leur base. L’amour de la patrie mal entendu et poussé à l’excès, détruisait souvent dans ces Républiques guerrières l’amour de l’humanité en général. Les hommes ne sont pas distingués essentiellement par la différence des langues qu’ils parlent, des habits qu’ils portent, des pays qu’ils occupent, ni des dignités dont ils sont revêtus.
    LE MONDE ENTIER N’EST QU’UNE GRANDE RÉPUBLIQUE, DONT CHAQUE NATION EST UNE FAMILLE, ET CHAQUE PARTICULIER UN ENFANT. C’est pour faire revivre et répandre ces anciennes maximes prises dans la nature de l’homme, que notre Société fut établie. Nous voulons réunir des hommes d’un esprit éclairé et d’une humeur agréable, non seulement par l’amour des beaux-arts, mais encore plus par les grands principes de vertu, où l’intérêt de la confraternité devient celui du genre humain entier, où toutes les Nations peuvent puiser des connaissances solides, et où tous les sujets des différents Royaumes peuvent conspirer sans jalousie, vivre sans discorde, et se chérir mutuellement sans renoncer à leur Patrie. Nos Ancêtres, les Croisés, rassemblés de toutes les parties de la Chrétienté dans la Terre Sainte, voulurent réunir ainsi dans une seule confraternité les sujets de toutes les Nations. Quelle obligation n’a-t-on pas à ces Hommes supérieurs qui, sans intérêt grossier, sans écouter l’envie naturelle de dominer, ont imaginé un établissement dont le but unique est la réunion des esprits et des coeurs, pour les rendre meilleurs, et former dans la suite des temps une nation spirituelle où, sans déroger aux devoirs que la différence des états exige, on créera un peuple nouveau qui, en tenant de plusieurs nations, les cimentera toutes en quelque sorte par les liens de la vertu et de la science.

 

  1. LA SAINE MORALE. La saine Morale est la seconde disposition requise dans notre société. Les ordres Religieux furent établis pour rendre les hommes chrétiens parfaits ; les ordres militaires, pour inspirer l’amour de la belle gloire ; l’Ordre des Free Maçons fut institué pour former des hommes et des hommes aimables, des bons citoyens et des bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l’Amitié, plus amateurs de la vertu que des récompenses.

    Polliciti servare fidem, sanctumque vereri.
    Numen amicitiae, mores, non munera amarare.

    Ce n’est pas que nous nous bornions aux vertus purement civiles. Nous avons parmi nous trois espèces de confrères, des Novices ou des Apprentis, des Compagnons ou des Profès, des Maîtres ou des Parfaits. Nous expliquons aux premiers les vertus morales et philanthropes, aux seconds, les vertus héroïques ; aux derniers les vertus surhumaines et divines. De sorte que notre institut renferme toute la Philosophie des sentiments, et toute la théologie du coeur. C’est pourquoi un de nos vénérables Confrères dit dans une Ode pleine d’enthousiasme :

    Free Maçons, Illustre grand Maître,
    Recevez mes premiers transports,
    Dans mon cœur l’ordre les fait naître ;
    Heureux ! si de nobles efforts
    Me font mériter votre estime,
    M’élèvent à ce vrai sublime,
    A la première vérité,
    A l’essence pure et divine,
    De l’âme céleste origine,
    Source de vie et de clarté.

    Comme une Philosophie sévère, sauvage, triste et misanthrope dégoûte les hommes de la vertu, nos Ancêtres, les Croisés, voulurent la rendre aimable par l’attrait des plaisirs innocents, d’une musique agréable, d’une joie pure, et d’une gaieté raisonnable. Nos sentiments ne sont pas ce que le monde profane et l’ignorant vulgaire s’imaginent. Tous les vices du cœur et de l’esprit en sont bannis, et l’irréligion et le libertinage, l’incrédulité et la débauche. C’est dans cet esprit qu’un de nos Poètes dit :

    Nous suivons aujourd’hui des sentiers peu battus,
    nous cherchons à bâtir, et tous nos édifices
    sont ou des cachots pour les vices,
    ou des temples pour les vertus.

    Nos repas ressemblent à ces vertueux soupers d’Horace, où l’on s’entretenait de tout ce qui pouvait éclairer l’esprit, perfectionner le cœur, et inspirer le goût du vrai, du bon et du beau :

    O ! noctes, coenaeque Deum…
    Sermo oritur non de regnis domibusque alienis ;
    sed quod magis ad nos
    Pertinet, et nescire malum est, agitamus ; utrumne
    Divitis homines, an sint virtute beati ;
    Quidve ad amicitias usus rectumve trahat nos,
    Et quae sit natura boni, summumque quid ejus.

    Ici l’amour de tous les désirs se fortifie. Nous bannissons de nos Loges toute dispute, qui pourrait altérer la tranquillité de l’esprit, la douceur des moeurs, les sentîmes de l’amitié, et cette harmonie parfaite qui ne se trouve que dans le retranchement de tous les excès indécents, et de toutes les passions discordantes. Les obligations que l’ordre vous impose, sont de protéger vos Confrères par votre autorité, de les éclairer par vos lumières, de les édifier par vos vertus, de les secourir dans leurs besoins, de sacrifier tout ressentiment personnel, et de rechercher tout ce qui peut contribuer à la paix, à la concorde et à l’union de la Société.

 

  1. LE SECRET. Nous avons des secrets ; ce sont des signes figuratifs et des paroles sacrées, qui composent un langage tantôt muet et tantôt très éloquent, pour le communiquer à la plus grande distance, et pour reconnaître nos Confrères de quelque langue ou quelque pays qu’ils soient. C’était, selon les apparences, des mots de guerre que les croisés se donnaient les uns aux autres, pour se garantir des surprises des Sarrasins, qui se glissaient souvent déguisés parmi eux pour les trahir et les assassiner. Ces signes et ces paroles rappellent le souvenir ou de quelque partie de notre science ou de quelque vertu morale, ou de quelque mystère de la foi. Il est arrivé chez nous, ce qui n’est guère arrivé dans aucune autre société. Nos loges sont établies et se répandent aujourd’hui dans toutes les nations policées, et cependant dans une si nombreuse multitude d’hommes, jamais aucun Confrère n’a trahi nos secrets. Les esprits les plus légers, les plus indiscrets et les moins instruits à se taire, apprennent cette grande science dès qu’ils entrent dans notre société. Tant l’idée de l’Union fraternelle a d’empire sur les esprits. Ce secret inviolable contribue puissamment à lier les sujets de toutes les Nations, et à rendre la communication des bienfaits facile et mutuelle entre eux. Nous en avons plusieurs exemples dans les annales de notre Ordre, nos Confrères qui voyageaient dans les différents pays de l’Europe, s’étant trouvés dans le besoin, se sont fait connaître à nos loges, et aussitôt ils ont été comblés de tous les secours nécessaires. Dans le temps même des guerres les plus sanglantes, des illustres prisonniers ont trouvé des frères où ils ne croyaient trouver que des ennemis. Si quelqu’un manquait aux promesses solennelles qui nous lient, vous savez, Messieurs, que les plus grandes peines sont les remords de sa conscience, la honte de sa perfidie, et l’exclusion de notre Société, selon ces belles paroles d’Horace :

    Est et fideli tuta silentio
    Merces ; vetabo qui Cereris sacrum
    Vulgarit arcanae, sub isdem
    Sit tragibus, fragilemque mecum
    Solvat phaselum ;…

    Oui, Messieurs, les fameuses fêtes de Cérès à Eleusis dont parle Horace aussi bien que celles d’Isis en Égypte, de Minerve à Athènes, d’Uranie chez les Phéniciens, et de Diane en Scythie avaient quelque rapport à nos solennités. On y célébrait les mystères où se trouvaient plusieurs vestiges de l’ancienne religion de Noé et des patriarches ; ensuite on finissait par les repas et les libations, mais, sans les excès, les débauches et l’intempérance où les Païens tombèrent peu à peu. La source de toutes ces infamies fut l’admission des personnes de l’un et de l’autre sexe aux assemblées nocturnes contre la primitive institution. C’est pour prévenir de semblables abus que les femmes sont exclues de notre Ordre, ce n’est pas que nous soyons assez injustes pour regarder le sexe comme incapable de secret, mais c’est, parce que sa présence pourrait altérer insensiblement la pureté de nos maximes et de nos mœurs :

    Si le sexe est banni, qu’il n’en ait point d’alarmes,
    ce n’est point un outrage à sa fidélité ;
    Mais on craint que l’amour entrant avec ses charmes,
    ne produise l’oubli de la fraternité,
    noms de frère et d’ami seraient de faibles armes
    pour garantir les cœurs de la rivalité.

 

  1. LE GOÛT DES SCIENCES ET DES ARTS LIBÉRAUX. La quatrième qualité requise pour entrer dans notre Ordre est le goût des sciences utiles, et des arts libéraux de toutes les espèces ; ainsi l’ordre exige de chacun de vous, de contribuer par sa protection, par sa libéralité, ou par son travail à un vaste Ouvrage auquel nulle Académie, et nulle Université ne peuvent suffire, parce que toutes les Sociétés particulières étant composées d’un très petit nombre d’hommes, leur travail ne peut embrasser un objet aussi immense. Tous les Grands Maîtres en France, en Allemagne, en Angleterre, en Italie et par toute l’Europe, exhortent tous les savants et tous les Artistes de la Confraternité, de s’unir pour fournir les matériaux d’un Dictionnaire universel de tous les Arts Libéraux et de toutes les sciences utiles, la Théologie et la Politique seules exceptées. On a déjà commencé l’ouvrage à Londres ; mais par la réunion de nos confrères on pourra le porter à sa perfection en peu d’années. On y expliquera non seulement le mot technique et son étymologie, mais on donnera encore l’histoire de la science et de l’Art, ses grands principes et la manière d’y travailler. De cette façon on réunira les lumières de toutes les nations dans un seul ouvrage, qui sera comme un magasin général, et une Bibliothèque universelle de tout ce qu’il y a de beau, de grand, de lumineux, de solide et d’utile dans toutes les sciences naturelles et dans tous les arts nobles. Cet ouvrage augmentera chaque siècle, selon l’augmentation des lumières ; c’est ainsi qu’on répandra une noble émulation avec le goût des belles-lettres et des beaux Arts dans toute l’Europe.

 

  1. ORIGINE ET HISTOIRE DE L’ORDRE LA LÉGENDE ET L’HISTOIRE. Chaque famille, chaque République, et chaque Empire dont l’origine est perdue dans une antiquité obscure, a sa fable et a sa vérité, sa légende et son histoire, sa fiction et sa réalité. Quelques-uns font remonter notre institution jusqu’au temps de Salomon, de Moïse, des Patriarches, de Noé même. Quelques autres prétendent que notre fondateur fut Énoch, le petit-fils du Protoplaste, qui bâtit la première ville et l’appela de son nom. Je passe rapidement sur cette origine fabuleuse, pour venir à notre véritable histoire. Voici donc ce que j’ai pu recueillir dans les très anciennes Annales de l’Histoire de la Grande-Bretagne, dans les actes du Parlement d’Angleterre, qui parlent souvent de nos privilèges, et dans la tradition vivante de la Nation Britannique, qui a été le centre et le siège de notre Confraternité depuis l’onzième siècle.

 

  1. INSTITUTION DE L’ORDRE PAR LES CROISÉS. Du temps des guerres saintes dans la Palestine, plusieurs Princes, Seigneurs et Citoyens entrèrent en Société, firent voeu de rétablir les temples des Chrétiens dans la Terre Sainte, et s’engagèrent par serment à employer leurs talents et leurs biens pour ramener l’Architecture à primitive institution. Ils convinrent de plusieurs signes anciens, de mots symboliques tirés du fond de la religion, pour se distinguer des Infidèles, et se reconnaître d’avec les Sarrasins. On ne communiquait ces signes et ces paroles qu’à ceux qui promettaient solennellement et souvent même au pieds des Autels de ne jamais les révéler. Cette promesse n’était donc plus un serment exécrable, comme on le débite, mais un lien respectable pour unir les hommes de toutes les Nations dans une même confraternité. Quelques temps après, notre Ordre s’unit intimement avec les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. Dès lors et depuis nos Loges portèrent le nom de Loges de Saint Jean dans tous les pays. Cette union se fit en imitation des Israélites, lorsqu’ils rebâtirent le second Temple, pendant qu’ils maniaient d’une main la truelle et le mortier, ils portaient de l’autre l’Épée et le Bouclier. Notre Ordre par conséquent, ne doit pas être regardé comme un renouvellement de bacchanales, et une source de folle dissipation de libertinage effréné, et d’intempérance scandaleuse, mais comme un ordre moral, institué par nos Ancêtres dans la Terre sainte pour rappeler le souvenir des vérités les plus sublimes, au milieu des innocents plaisirs de la Société.

 

  1. PASSAGE DE L’ORDRE DE LA TERRE SAINTE EN EUROPE. Les Rois, les Princes et les Seigneurs, en revenant de la Palestine dans leurs pays, y établirent des Loges différentes. Du temps des dernières Croisades on voit déjà plusieurs Loges érigées en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France et de là en Écosse, à cause de l’intime alliance qu’il y eut alors entre ces deux Nations. Jacques Lord Steward d’Écosse fut Grand Maître d’une Loge établie à Kilwinning dans l’Ouest d’Écosse en l’an 1286, peu de temps après la mort d’Alexandre III Roi d’Écosse, et un an avant que Jean Baliol montât sur le Trône. Ce Seigneur Écossais reçut Free Maçons dans sa Loge les Comtes de Glocester et d’Ulster, Seigneurs Anglais et Irlandais. Peu à peu nos Loges, nos fêtes et nos solennités furent négligées dans la plupart des pays où elles avaient été établies. De-là vient le silence des Historiens de presque tous les Royaumes sur notre Ordre, hors ceux de la Grande-Bretagne. Elles se conservèrent néanmoins dans toute leur splendeur parmi les Écossais, à qui nos Rois confièrent pendant plusieurs siècles la garde de leur sacrée personne.

 

  1. DES CROISADES A LA RÉFORME DÉGÉNÉRESCENCE DE L’ORDRE. Après les déplorables traverses des Croisades, le dépérissement des Armées Chrétiennes et le triomphe de Bendocdar Soudan d’Égypte, pendant la huitième et dernière Croisade, le Fils d’Henry III Roi d’Angleterre, le grand prince Édouard voyant qu’il n’avait plus de sûreté pour ses confrères dans la Terre sainte, quand les troupes Chrétiennes s’en retiraient, les ramena tous, et cette Colonie de frères s’établit ainsi en Angleterre. Comme ce Prince était doué de toutes les qualités du coeur et de l’esprit qui forment les Héros, il aima les beaux Arts, se déclara protecteur de notre Ordre, lui accorda plusieurs privilèges et franchises, et dès lors les membres de cette Confraternité prirent le nom de Francs-Maçons. Depuis ce temps la Grande-Bretagne devint le siège de notre science, conservatrice de nos lois, et la dépositaire de nos secrets. Les fatales discordes de religion qui embrasèrent et déchirèrent l’Europe dans le seizième siècle, firent dégénérer notre ordre de la grandeur et de la noblesse de son origine. On changea, on déguisa, ou l’on retrancha plusieurs de nos rites et usages qui étaient contraires aux préjugés du temps.
CONCLUSION
  1. RÉGÉNÉRATION ET AVENIR DE L’ORDRE EN FRANCE. C’est ainsi que plusieurs de nos confrères oublièrent l’esprit de nos lois, et n’en conservèrent que la lettre et l’écorce, notre grand maître, dont les qualités respectables surpassent encore la naissance distinguée, veut que l’on rappelle tout à sa première institution, dans un Pays où la religion et l’état ne peuvent que favoriser nos Lois. Des Isles Britanniques, l’antique science commence à repasser dans la France sous le règne du plus aimable des Rois, dont l’humanité fait l’âme de toutes les vertus, sous le ministère d’un Mentor qui a réalisé tout ce qu’on avait imaginé de plus fabuleux. Dans ces temps heureux où l’amour de la Paix est devenu la vertu des Héros, la nation la plus spirituelle de l’Europe deviendra le centre de l’Ordre ; elle répandra sur nos Ouvrages, nos Statuts et nos moeurs, les grâces, la délicatesse et le bon goût, qualités essentielles dans un Ordre, dont la base est la sagesse, la force et la beauté du génie. C’est dans nos Loges à l’avenir, comme dans des Écoles publiques, que les François verront, sans voyager, les caractères de toutes les Nations, et c’est dans ces mêmes Loges que les Étrangers apprendront par expériences, que la France est la vraie Patrie de tous les Peuples.

Patria gentis humanae.

Les Constitutions d’Anderson (les Obligations – 1723)

Les Obligations
d’un
FRANC-MACON

Extrait de l’Ancien Livre des Loges au-delà de la Mer
Doit Être Lu Dés L’Initiation D’Un Nouveau Frère
Ou Dés Que Le Maître L’Ordonnera

    TÊTES DE CHAPITRES :

  1. De DIEU et la RELIGION.
  2. Des MAGISTRATS CIVILS Suprêmes et Subordonnés.
  3. Des LOGES.
  4. Des MAÎTRES, Surveillants, Compagnons et Apprentis.
  5. De la Gestion du MÉTIER pendant le travail.
  6. De la CONDUITE, à tenir :
    1. Dans la Loge quand elle est constituée.
    2. Après que la Loge soit fermée et avant le départ des Frères.
    3. Quand des Frères se rencontrent sans Étrangers mais hors d’une Loge constituée.
    4. En présence d’Étrangers non Maçons.
    5. A la maison et dans votre Voisinage.
    6. Envers un Frère Étranger.

  1. De DIEU et la RELIGION.

    Un Maçon est obligé de par son Titre, d’obéir à la Loi Morale et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un Athée stupide ni un Libertin irréligieux. Mais bien que dans les Temps Anciens les Maçons fussent obligés dans chaque Pays d’appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu’elle fût, il est maintenant considéré comme plus opportun de seulement les soumettre à cette Religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, qui consiste à être des Hommes Bons et Honnêtes ou Hommes d’Honneur et de Sincérité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer ; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de concilier une véritable Amitié parmi des Personnes qui auraient dû rester perpétuellement Éloignées.

  2. Des MAGISTRATS CIVILS SUPRÊMES et SUBORDONNÉS.

    Un Maçon est un paisible Sujet à l’égard des Pouvoirs Civils, où qu’il réside ou travaille, et ne doit jamais être concerné par les Complots et Conspirations contre la Paix et le Bien-être de la Nation, ni manquer à ses devoirs envers les Magistrats inférieurs ; d’autant que la Maçonnerie a toujours été blessée par la Guerre, l’Effusion de Sang et la Confusion ; aussi les Anciens Rois et Princes ont toujours été fort disposés à encourager les Ouvriers-Artisans, en raison de leur Caractère Pacifique et de leur Loyauté par lesquelles ils répondaient pratiquement aux obstacles de leurs Adversaires et développaient l’Honneur de la Fraternité qui a toujours fleuri dans les Périodes de Paix. Aussi, si un Frère devait être un Rebelle contre l’État, il ne doit pas être soutenu dans sa Rébellion, cependant, il devra être regardé avec pitié comme un homme malheureux ; et s’il n’est coupable d’aucun autre Crime, bien que la loyale Confrérie ait le devoir et l’obligation de désavouer sa Rébellion, et qu’il ne fait pas Ombrage ou montre une quelconque jalousie politique envers le Gouvernement au pouvoir, il ne peut pas être exclu de la Loge et ses relations avec elle demeurent indissolubles.

  3. Des LOGES.

    Une LOGE est un lieu où les Maçons s’assemblent et travaillent ; de là vient que l’assemblée, ou une Société de Maçons dûment organisée, soit appelée une Loge, et chaque Frère doit appartenir à l’une d’elles, et doit se soumettre à ses Statuts et Règlements Généraux.
    Elle est soit particulière soit générale et sera mieux comprise en la fréquentant, de même que les Règlements de la Loge Générale ou Grande Loge annexés ci- après. Dans les Anciens Temps aucun Maître ou Compagnon ne pouvait s’en absenter, surtout lorsqu’il y avait été convoqué, sans encourir une sévère Censure, à moins qu’il soit apparu au Maître ou aux Surveillants qu’il ait été retardé par une pure nécessité.
    Les Personnes admises comme Membres d’une Loge doivent être des Hommes bons et honnêtes, nés libres, d’âge mature et discret, ni Serfs ni Femmes ni Hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation.

  4. Des MAÎTRES, SURVEILLANTS, COMPAGNONS et APPRENTIS.

    Toute Promotion parmi les Maîtres Maçons est fondée uniquement sur la Valeur réelle et sur le Mérite personnel ; afin que les Seigneurs soient bien servis, que les Frères ne soient pas humiliés ni l’Art Royal dédaigné ; Pour cela aucun Maître ou Surveillant n’est choisi à l’Ancienneté, mais au Mérite. Il est impossible de décrire ces choses par écrit, et par conséquent chaque Frère doit rester à sa propre place et les apprendre selon la méthode particulière à cette Fraternité ; les Candidats devraient au moins savoir qu’un Maître ne devrait pas prendre d’Apprenti s’il n’a pas un Travail suffisant à lui fournir et sans qu’il ne soit un Jeune Homme parfait ne souffrant d’aucune Mutilation ou Problème physique qui puisse le rendre incapable d’apprendre l’Art de servir le Seigneur de son Maître et de devenir un Frère, puis un Compagnon en temps voulu après qu’il ait servi jusqu’au terme des Années fixé par la Coutume du Pays ; Et qu’il devait descendre de Parents honnêtes ; que même qualifié autrement, il puisse parvenir à l’Honneur d’être un Surveillant, puis le Maître de la Loge, le Grand Surveillant et enfin, le Grand Maître de toutes les Loges, en fonction de son mérite.
    Nul Frère ne peut être Surveillant avant d’avoir passé le degré de Compagnon ; ni un Maître avant d’avoir occupé les fonctions de Surveillant ; ni Grand Surveillant avant d’avoir été Maître d’une Loge, ni Grand Maître s’il n’a pas été Compagnon avant son Élection, qui doit être, en outre, de noble naissance ou Gentilhomme de bonnes Manières ou quelque éminent Savant ou quelque Architecte curieux ; ou quelque autre Artiste descendant de Parents honnêtes qui possède une grande Estime personnelle dans l’opinion des Loges.
    Ces Souverains et Gouverneurs, supérieurs et subordonnés de la Loge ancienne, doivent être obéis dans leurs Fonctions respectives par tous les Frères, conformément aux Anciennes Obligations et Règlements, en toute Humilité, Révérence, Amour et Diligence.

  5. De la GESTION du MÉTIER pendant le TRAVAIL.

    Tous les Maçons devront travailler honnêtement pendant les jours de travail afin qu’ils vivent honorablement des jours de fête ; et le temps prévu par la Loi du Pays ou confirmé de coutume devra être respecté. Le plus expert des Compagnons devra être choisi ou délégué comme Maître ou Surintendant des Travaux du Seigneur ; il doit être appelé Maître par ceux qui travaillent sous ses ordres. Les Ouvriers-Artisans doivent éviter tout Langage mauvais, et ne pas s’appeler entre eux par des Noms désobligeants, mais s’appeler Frère ou Compagnon ; et se conduire entre-eux avec courtoisie à l’intérieur et à l’extérieur de la Loge.
    Le Maître, se sachant capable de Ruse, devra entreprendre les Travaux du Seigneur aussi raisonnablement que possible, et s’occupera vraiment des matériaux comme s’ils lui étaient propres ; n’accordera d’augmentation de Salaire à aucun Frère ou Apprenti qui ne l’ait mérité.
    Le Maître et les Maçons recevant leur Salaire justement, devront être fidèles au Seigneur et finiront honnêtement leur Travail, qu’il soit à la Tâche ou à la Journée ; Ni ne feront d’une tâche un travail qu’ils auront l’habitude de faire à la journée.
    Nul ne devrait découvrir l’Envie à la Prospérité d’un Frère, ni ne le supplantera, ou ne l’écartera de son Travail, s’il est capable de finir le même ; Parce que personne ne peut pleinement finir le Travail d’un autre au profit du Seigneur, sans qu’il ne connaisse parfaitement les Desseins et plans de celui qui l’a commencé.
    Quand un Compagnon est choisi comme Surveillant du Travail sous la conduite du Maître, il sera juste envers le Maître et les Compagnons, devra prudemment surveiller le Travail en l’absence du Maître à la gloire du Seigneur ; et ses Frères devront lui obéir.
    Tous les Maçons employés devront recevoir humblement leurs Salaires sans Murmure ni Révolte, et ne quitteront pas le Maître sans que le Travail ne soit fini. Un Frère plus Jeune devra être instruit du travail, pour prévenir la dégradation des Matériaux par manque de Jugement, et pour accroître et perpétuer l’Amour Fraternel.
    Tous les outils utilisés devront être approuvés par la Grande Loge.
    Aucun Ouvrier ne devra être employé au Travail propre à la Maçonnerie ; ni les Francs-Maçons ne devront travailler avec ceux qui ne sont Pas libres sans Nécessité impérieuse ; ni ne devront instruire les Ouvriers ou les Maçons non acceptés, comme ils devraient instruire un Frère ou un Compagnon.

  6. De la CONDUITE à tenir :
    1. Dans la LOGE pendant qu’elle est CONSTITUÉE.

      Vous ne devez pas avoir de Comités privés ou de Conversations à part, sans avoir quitté le Maître, ni parler de choses impertinentes ou inconvenantes, ni interrompre le Maître ou les Surveillants, ou aucun Frère parlant au Maître ; Ni vous rendre ridicule ou plaisantin pendant que la Loge traite de ce qui est sérieux et solennel ; ni user d’un Langage inconvenant pour aucune raison que ce soit ; Mais soyez respectueux envers votre Maître, vos Surveillants, et Compagnons, et accordez leur votre fidélité.
      Si quelque Plainte est déposée, le Frère reconnu coupable devra attendre la Décision et la Détermination de la Loge, qui sont les Juges propres et compétents pour toutes les Controverses (à moins que vous ne fassiez Appel devant la Grande Loge), et vers qui il doit être déféré, à moins que le Travail d’un Seigneur n’en soit occulté, dans lequel cas une procédure particulière peut être appliquée ; mais vous ne devez jamais recourir à la Loi en ce qui concerne la Maçonnerie, sans une absolue nécessité reconnue par la Loge.

    2. CONDUITE quand la LOGE est Close et avant que les FRÈRES soient partis.

      Vous pouvez jouir vous-mêmes d’innocents plaisirs, en traitant les uns les autres avec Talent, mais en évitant tout Excès, ni en ne forçant un Frère à manger ou à boire plus qu’il n’en a envie, ni en ne le retenant lorsque ses Affaires l’appellent, ni en ne disant et en ne faisant quelque chose d’offensant, ou qui puisse interdire une Conversation Facile et Libre ; Car cela pourrait détruire notre Harmonie, et déferait nos louables Desseins. C’est pourquoi aucune Pique ni Querelle privée ne doit passer le Seuil de la Loge, et moins encore quelque Querelle à propos de la Religion, ou des Nations ou de la Politique, car nous sommes seulement, comme Maçons, de la Religion Universelle ci-dessus mentionnée ; Nous sommes également de toutes Nations, Langues, Races, et Langages et sommes résolument contre toutes POLITIQUES, comme ce qui n’a pas encore contribué au bien-être de la Loge, ou ne le fera jamais.

    3. CONDUITE quand les FRÈRES se rencontrent sans étrangers mais non dans une LOGE FORMÉE.

      Vous devez vous saluer de manière courtoise, comme on vous l’enseignera, appelant les uns les autres Frère, échangeant librement les Instructions que vous jugerez utiles, sans être vus ni entendus, sans empiéter l’un sur l’autre, ni manquer au Respect qui est dû à un Frère, même s’il n’était pas Maçon. Car pour autant que les Maçons soient tous considérés de la même Manière comme Frères, la Maçonnerie ne prive pas un Homme des Honneurs auxquels il avait droit auparavant ; bien au contraire, elle préfère ajouter à ses Honneurs, spécialement s’il a bien servi la Fraternité, celui qui donne de l’Honneur à qui il est dû, et qui proscrit les mauvaises manières.

    4. CONDUITE en Présence d’ÉTRANGERS non MAÇONS.

      Vous devrez faire attention à vos Propos et à votre Comportement, de façon à ce que l’Étranger le plus perspicace ne soit pas capable de découvrir ou deviner ce qui n’est pas propre à être découvert ; et quelquefois vous aurez à détourner la Conversation, et à la conduire prudemment pour l’Honneur de la Vénérable Fraternité.

    5. CONDUITE A La Maison Et Dans Votre Voisinage.

      Vous devez agir comme un Homme moral et sage ; en particulier ne laissez pas votre Famille, vos Amis et Voisins savoir ce qui concerne la Loge, etc., mais consultez sagement votre Honneur, et de celui de l’Ancienne Fraternité, ceci pour des Raisons qui n’ont pas à être mentionnées ici. Vous devez aussi ménager aussi votre Santé, en ne restant pas trop tard ensemble, ou trop longtemps de chez vous, après que les Heures de la Loge soient passées ; Et en évitant la Ripaille ou la Boisson, afin que votre Famille ne soit ni négligée ou blessée, ni que vous ne soyez plus capable de travailler.

    6. CONDUITE envers un FRÈRE étranger.

      Vous devez l’examiner consciencieusement, de quelque Manière que la Prudence vous inspirera, afin de ne pas vous en laisser imposer par un prétendu faux ignorant, que vous devez repousser avec Mépris et Dérision, en vous gardant de lui dévoiler la Moindre Connaissance. Mais si vous le reconnaissez comme un Frère authentique et sincère, en conséquences vous devez le respecter ; et s’il est dans le besoin, vous devez l’aider si vous le pouvez, ou lui indiquer comment il peut être aidé : Vous devez l’employer pendant quelques Jours, ou alors le recommander pour qu’on l’emploie. Mais vous n’êtes pas obligé de faire plus que vos moyens ne vous le permettent, mais seulement de préférer un pauvre Frère, et un Homme Bon et Honnête, avant toute autre personne dans les mêmes circonstances.

Enfin, toutes ces OBLIGATIONS vous devez observer, et aussi celles qui pourront vous être communiquées d’une autre manière ; en cultivant l’Amour Fraternel, Fondement et clé de Voûte, le Ciment et la Gloire de cette ancienne Fraternité, évitez toute Dispute et Querelle, toute Calomnie et tout ragot, ni ne permettez aux autres de calomnier un honnête Frère, mais défendez sa Réputation, et rendez-lui Service, pour autant que cela soit compatible avec votre Honneur et votre Sécurité, mais pas au-delà. Et si l’un d’eux vous blesse, vous devez faire appel à votre propre Loge ou à la sienne, et de cela vous pouvez en appeler à la GRANDE LOGE lors de la Communication Trimestrielle, et de cela à la GRANDE LOGE annuelle, comme cela a été l’ancienne et louable Conduite de nos Ancêtres dans toute Nation ; ne parlant jamais de d’Assise Légale sauf quand il ne peut pas en être autrement, et écoutez patiemment le Conseil honnête et amical du Maître et des Compagnons, lorsqu’ils voudraient vous éviter de comparaître en Justice avec des Étrangers ou voudraient vous inciter à mettre un terme plus rapide à toutes Procédures Légales, afin que vous puissiez vous occuper des Affaires de la MAÇONNERIE avec plus d’Alacrité et de Succès ; mais avec le respect des Frères et Compagnons en Procès, le Maître et les Frères devraient gentiment offrir leur Médiation, ce qui doit être accueilli avec gratitude par les Frères concernés ; et si cette Soumission s’avère être impraticable, ils doivent, cependant, poursuivre la Procédure Légale, sans Colère ni Rancœur (contrairement à l’ordinaire) en ne disant et en ne faisant rien qui ne puisse dissimuler l’Amour fraternel, et les bonnes Relations doivent être renouées et poursuivies ; afin que tous puissent constater l’influence Bénigne de la MAÇONNERIE, comme tous les vrais Maçons l’ont fait depuis le commencement du Monde, et le feront jusqu’à la Fin des Temps.

AMEN. AINSI SOIT-IL.

Le Régius (v.1390)

Un poème de Devoirs Moraux

Ici commencent les statuts de l’art
De Géométrie selon Euclide.

Quiconque voudra bien lire et chercher
Pourra trouver écrite dans un vieux livre
L’histoire de grands seigneurs et grandes dames,
Qui, certes, avaient beaucoup d’enfants ;
Et n’avaient pas de revenus pour en prendre soin,
Ni en ville, ni à la campagne ou dans les bois ;
Tinrent ensemble conseil pour eux,

De décider pour le bien de ces enfants,
Comment ils pourraient mieux mener leur vie
Sans grand inconfort, ni souci ni lutte ;
Et encore pour la multitude qui viendra

De leurs enfants ils envoyèrent chercher de grands clercs,
Pour leur enseigner alors de bons métiers ;

Et nous les prions, pour l’amour de notre Seigneur,
Pour nos enfants de trouver un travail,
Pour qu’ils puisent ainsi gagner leur vie,
Tant bien qu’honnêtement en toute sécurité.
En ce temps-là, par la bonne géométrie,
Cet honnête métier qu’est la bonne maçonnerie
Fut constitué et crée ainsi,
Conçu par ces clercs ensemble ;
Sur la prière de ces seigneurs ils inventèrent
la géométrie,

Et lui donnèrent le nom de maçonnerie,
A ce plus honnête de tous les métiers.
Les enfants de ces seigneurs se mirent,
A apprendre de lui le métier de géométrie,
Ce qu’il fit très soigneusement ;

A la prière des pères et des mères aussi,
Il les mit à cet honnête métier.
Celui qui apprenait le mieux, et était honnête,
Et surpassait ses compagnons en attention,
Si dans ce métier il les dépassait,
Il devait être plus honoré que le dernier,
Le nom de ce grand clerc était Euclide,
Son nom se répandait fort loin.
Pourtant ce grand clerc ordonna
A celui qui était plus élevé dans ce degré,
Qu’il devait enseigner les plus simples d’esprit
Pour être parfait en cet honnête métier ;
Et ainsi ils doivent s’instruire l’un l’autre,
Et s’aimer ensemble comme soeur et frère.

Il ordonna encore que,
Maître doit il être appelé ;
Afin qu’il soit le plus honoré,
Alors il devait être nommé ainsi ;
Mais jamais maçons ne doivent appeler un autre,

Au sein du métier parmi eux tous,
Ni sujet ni serviteur, mon cher frère,
Même s’il est moins parfait qu’un autre ;
Chacun appellera les autres compagnons par amitié,
Car ils sont nés de nobles dames.

De cette manière, par la bonne science de géométrie,
Commença le métier de la maçonnerie ;
Le clerc Euclide le fonda ainsi,

Ce métier de géométrie au pays d’Egypte.
En Egypte il l’enseigna tout autour,
Dans diverses pays de tous côtés ;
Pendant de nombreuses années, je croix,
Avant que ce métier arrive dans ce pays.

Ce métier arriva en Angleterre, comme je vous dis,
Au temps du bon Roi Athelstane,
Il fit construire alors tant manoir que même bosquet,
Et de hauts temples de grand renom,
Pour s’y divertir le jour comme la nuit,
Ce bon seigneur aimait beaucoup ce métier,
Et voulut le consolider de toutes ses parties,
A cause de divers défauts qu’il trouva dans le métier ;

Il envoya à travers le pays
Dire à tous les maçons du métier,
De venir vers lui sans délai,
Pour amender ces défauts tous
Par bon conseil, autant que possible.
Une assemblée alors il réunit
De divers seigneurs en leur rang,
Des ducs, comtes, et barons aussi,
Des chevaliers, écuyers et maintes autres,
Et les grands bourgeois de cette cité,
Ils étaient tous là chacun à son rang ;
Ils étaient là tous ensemble,
Pour établir le statut de ces maçons,
Ils y cherchaient de tout leur esprit,
Comment ils pourraient le gouverner ;

Quinze articles ils voulaient produire,
Et quinze points ils y ont crées,

Ici commence l’article premier.

Le premier article de cette géométrie ;-
Le maître maçon doit être digne de confiance
A la fois constant, loyal et vrai,
Il ne l’aura alors jamais à regretter ;
Tu dois payer tes compagnons selon le cours,
Des victuailles, tu le sais bien ;
Et paie les justement, et de bonne foi,
Ce qu’ils peuvent mériter ;
Et évites soit par amour soit par crainte,
D’aucune des parties d’accepter des avantages ;
Du seigneur ni du compagnon, qui que ce soit,
D’eux tu ne prends aucune sorte de paiement ;
Et en juge tiens toi intègre,
Et alors aux deux tu rendra leur bon droit ;
Et véritablement fais ceci où que tu ailles,
Ton honneur, ton profit, sera le meilleur.

Article.second.

Le second article de bonne maçonnerie,
Comme vous devez ici l’entendre particulièrement,
Que tout maître, qui est maçon,
Doit assister au rassemblement général,
Pour que précisément il lui soit dit
Le lieu où l’assemblée se tiendra.

Et à cette assemblée il doit se rendre,
Sauf s’il a une excuse raisonnable,
Ou qu’il soit désobéissant à ce métier
Ou s’abandonne au mensonge,
Ou qu’il soit atteint d’une maladie si grave,
Qu’il ne puisse venir parmi eux ;
Cela est une excuse bonne et valable,
Pour cette assemblée, si elle est sincère.

Article troisième.

Le troisième article est en vérité,
Que le maître ne prenne aucun ’prentis,
Sauf s’il peut lui assurer de le loger
sept ans chez lui, comme je vous dis,
Pour apprendre son métier, qui soit profitable ;
En moins de temps il ne sera pas apte
Au profit du seigneur, ni le sien
Comme vous pouvez le comprendre par bonne raison.

Article quatrième.

Le quatrième article ceci doit être,
Que le maître doit bien veiller,
A ne pas prendre un serf comme ’prentis,
Ni l’embaucher pour son propre profit,
Car le seigneur auquel il est lié,
Peut chercher le ’prentis où qu’il aille.
Si dans la loge il était pris,
Cela pourrait y faire beaucoup de désordre,
Et un pareil cas pourrait arriver,
Que cela pourrait chagriner certains, ou tous.

Car tous les maçons qui y seront
Se ensemble se tiendront réunis.
Si un tel dans le métier demeurait,
De diverses désordres vous pourrez parler :
Alors pour plus de paix, et honnêteté,
Prenez un ’prentis de meilleure condition.
Dans d’ancien écriture je trouve,
Que le ’prentis doit être de naissance noble ;
Et ainsi parfois, des fils de grands seigneurs
Ont adopté cette géométrie qui est très bonne.

Article cinquième.

Le cinquième article est très bon,
Que le ’prentis soit de naissance légitime ;
Le maître ne doit, sous aucun prétexte,
Prendre un ’prentis qui soit difforme ;
Cela signifie, comme vous le verrez
Qu’il ait tous ses membres entiers ensemble ;
Pour le métier cela serait grande honte,
De former un homme estropié ou un boiteux,
Car un homme imparfait de telle naissance
Ne serait que peu utile au métier.
Ainsi chacun de vous peut comprendre,
Le métier veut un homme puissant ;
Un homme mutilé n’a pas de force,
Vous devez le savoir depuis longtemps.

Article sixième.

Le sixième article vous ne devez pas manquer
Que le maître ne doit pas porter préjudice au seigneur,
En prenant au seigneur pour son ’prentis,
Autant que reçoivent ses compagnons, en tout,
Car dans ce métier ils se sont perfectionnés,
Ce que lui n’est pas, vous devez le comprendre.
Ainsi il serait contraire à bonne raison,
De prendre pour lui égal salaire à celui des compagnons.
Ce même article dans ce cas,
Ordonne que son ’prentis gagne moins
Que ses compagnons, qui sont parfaits.
Sur divers points, sachez en revanche,
Que le maître peut instruire son ’prentis tel,
Que son salaire puisse augmenter rapidement,
Et avant que son apprentissage soit terminé,
Son salaire pourrait s’améliorer de beaucoup.

Article septième.

Le septième article que maintenant voici,
Vous dira pleinement à tous ensemble,
Qu’aucun maître ni par faveur ni par crainte,
Ne doit vêtir ni nourrir aucun voleur.
Des voleurs il n’en hébergera jamais aucun,
Ni celui qui a tué un homme,
Ni celui qui a mauvaise réputation,
De crainte que cela fasse honte au métier.

Article huitième.

Le huitième article vous montre ainsi,
Ce que le maître a bien le droit de faire.
S’il emploie un homme du métier,
Et qu’il ne soit pas aussi parfait qu’il devrait,
Il peut le remplacer sans délai,
Et prendre à sa place un homme plus parfait.
Un tel homme, par imprudence,
Pourrait faire déshonneur au métier.

Article neuvième.

Le neuvième article montre fort bien,
Que le maître doit être sage et fort ;
Qu’il n’entreprenne aucun ouvrage,
Qu’il ne puisse achever et réaliser ;
Et que ce soit aussi au profit des seigneurs,
Ainsi qu’à son métier, où qu’il aille,
Et que les fondations soient bien construites,
Pour qu’il y ait ni fêlure ni brèche.

Article dixième.

Le dixième article sert à savoir,
Parmi tous dans le métier, grands ou modestes,
Qu’aucun maître ne doit supplanter un autre,
Mais être ensemble comme s ur et frère,
Dans ce singulier métier, tous quels qu’ils soient,
Qui travaillent sous un maître maçon.
Ni doit il supplanter aucun homme,
Qui s’est chargé d’un travail,
La peine pour cela est tellement forte,
Qu’elle ne pèse pas moins de dix livres,
A moins qu’il soit prouvé coupable,
Celui qui avait d’abord pris le travail en main ;
Car nul homme en maçonnerie
Ne doit supplanter un autre impunément,
Sauf s’il a construit de telle façon,
Que cela réduit l’ouvrage à néant ;
Alors un maçon peut solliciter ce travail,
Pour le sauver au profit des seigneurs
Dans un tel cas, si cela arrivait,
Aucun maçon ne s’y opposera.
En vérité celui qui a commencé les fondations,
S’il est un maçon habile et solide,
A fermement dans l’esprit,
De mener l’ oeuvre à entière bonne fin.

Article onzième.

L’onzième article je te le dis,
est à la fois juste et franc ;
Car il enseigne, avec force,
Qu’aucun maçon ne doit travailler de nuit,
A moins de s’exercer à l’étude,
Par laquelle il pourra s’améliorer

Article douzième.

Le douzième article est de grande honnêteté
Pour tout maçon, où qu’il se trouve,
Il ne doit pas déprécier le travail de ses compagnons,
S’il veut sauvegarder son honneur ;
Avec des paroles honnêtes il l’approuvera,
Grâce à l’esprit que Dieux t’a donné ;
Mais en l’améliorant de tout ton pouvoir,
Entre vous deux sans hésitation.

Article treizième.

Le treizième article, que Dieu me garde,
C’est, que si le maître a un ’prentis,
Il l’enseignera de manière complète,
Et qu’il puisse apprendre autant de points,
Pour qu’il connaisse bien le métier,
Où qu’il aille sous le soleil.

Article quatorzième.

Le quatorzième article par bonne raison,
Montre au maître comment agir ;
Il ne doit prendre ’prentis,
A moins d’avoir diverses tâches à faire,
Pour qu’il puisse pendant son stage,
Apprendre de lui diverses points.

Article quinzième.

Le quinzième article est le dernier,
Car pour le maître il est un ami ;
Pour lui enseigner qu’envers aucun homme,
Il ne doit adopter un comportement faux,
Ni suivre ses compagnons dans leur erreur,
Quelque bien qu’il puisse y gagner ;
Ni souffrir qu’ils fassent de faux serments,
Par souci de leurs âmes,
Sous peine d’attirer sur le métier la honte,
Et sur lui-même un blâme sévère.

Diverses statuts.

Dans cette assemblée des points furent adoptés en plus,
Par de grands seigneurs et maîtres aussi.
Que celui qui voudrait connaître ce métier
et l’embrasser,
Doit bien aimer Dieu et la sainte église toujours,
Et son maître aussi avec qui il est,
Où qu’il aille par champs ou par bois,
Et aimes aussi tes compagnons,
Car c’est ce que ton métier veut que tu fasses.

Second point.

Le second point je vous le dis,
Que le maçon travaille le jour ouvrables,
Aussi consciencieusement qu’il le pourra,
Afin de mériter son salaire pour le jour de repos,
Car celui qui a vraiment fait son travail,
Méritera bien d’avoir sa récompense.

Troisième point.

Le troisième point doit être sévère,
Avec le ’prentis, sachez le bien,
Le conseil de son maître il doit garder et cacher,
Et de ses compagnons de bon gré ;
Des secrets de la chambre il ne parlera a nul homme,
Ni de la loge quoi qu’ils y fassent ;
Quoi que tu entendes ou les vois faire,
Ne le dis à personne où que tu ailles ;
Les propos dans la salle, et même au bosquet,
Gardes les bien pour ton grand honneur,
Sans quoi cela tournera pour toi au blâme,
Et apportera au métier grande honte.

Quatrième point.

Le quatrième point nous enseigne aussi,
Que nul homme à son métier sera infidèle ;
Aucune erreur il n’entretiendra
Contre le métier, mais y renoncera ;
Ni aucun préjudice il causera
A son maître, ni a son compagnon ;
Et bien que le ’prentis soit tenu au respect,
Il est toutefois soumis à la même loi.

Cinquième point.

Le cinquième point est sans nul doute,
Que lorsque le maçon prendra sa paie
Du maître, qui lui est attribué,
Humblement acceptée elle doit être ;
Cependant il est juste que le maître,
L’avertisse dans les formes avant midi,
S’il n’a plus l’intention de l’employer,
Comme il le faisait auparavant ;
Contre cet ordre il ne peut se débattre,
S’il réfléchit bien c’est dans son intérêt

Sixième point.

Le sixième point doit être bien connu,
De tous grands et modestes,
Car un tel cas pourrait arriver ;
Qu’entre quelques maçons, sinon tous,
Par envie ou haine mortelle,
S’éclate une grande dispute.
Alors le maçon doit, s’il le peut,
Convoquer les deux parties un jour fixé ;
Mais ce jour-là ils ne feront pas la paix,
Avant que la journée de travail soit bien finie,
Un jour de congé vous devez bien pouvoir trouver,
Assez de loisir pour placer la réconciliation,
De peur qu’en la plaçant un jour ouvré
La dispute ne les empêche de travailler ;
Faites en sorte qu’ils en finissent.
De manière à ce qu’ils demeurent bien dans la loi de Dieu.

Septième point.

Le septième point pourrait bien dire,
Comment bien longue vie Dieu nous donne,
Ainsi il le reconnaît bien clairement,
Tu ne coucheras pas avec la femme de ton maître,
Ni de ton compagnon, en aucune manière,
Sous peine d’encourir le mépris du métier ;
Ni avec la concubine de ton compagnon,
Pas plus que tu ne voudrais qu’il couche avec la tienne.
La peine pour cela qu’on le sache bien,
Est qu’il reste ’prentis sept années pleines,
Celui qui manque à une de ces prescriptions
Alors il doit être châtié ;
Car un grand souci pourrait naître,
D’un aussi odieux péché mortel.

Huitième point.

Le huitième point est, assurément,
Si tu as reçu quelque charge,
A ton maître reste fidèlement soumis,
Car ce point jamais tu ne le regretteras ;
Un fidèle médiateur tu dois être,
Entre ton maître ettes compagnons libres ;
Fais loyalementtoutceque tu peux,
Envers les deux parties, et cela est bonne justice.

Neuvième point.

Le neuvième point s’adresse à celui,
Qui est l’intendant de notre salle,
Si vous vous trouvez en chambre ensemble,
Servez vous l’un l’autre avec calme gaieté ;
Gentils compagnons, vous devez le savoir,
Vous devez être intendant chacun à votre tour,
Semaine après semaine sans aucun doute,
Tous doivent être intendant à leur tour,
Pour servir les uns et les autres aimablement,
Comme s’ils étaient s ur et frère ;
Nul ne se permettra aux frais d’un autre
De se libérer pour son avantage,
Mais chaque homme aura la même liberté
Dans cette charge, comme il se doit ;
Veille à bien payer tout homme toujours,
A qui tu as acheté des victuailles,
Afin qu’on ne te fasse aucune réclamation,
Ni à tes compagnons à aucun titre,
A tout homme ou femme, qui que ce soit,
Paies les bien et honnêtement, nous le voulons ;
A ton compagnon tu en rendras compte exacte,
De ce bon paiement que tu as fait,
De peur de le mettre dans l’embarras,
Et de l’exposer à un grand blâme.
Toutefois bon comptes il doit tenir
De tous les biens qu’il aura acquis,
Des dépenses que tu auras fait sur le bien de tes compagnons,
Du lieu, des circonstances et de l’usage ;
De tels comptes tu dois rendre,
Lorsque tes compagnons te les demandent.

Dixième point.

Le dixième point montre la bien bonne vie,
Comment vivre sans souci ni dispute ;
Si le maçon mène une vie mauvaise,
Et dans son travail il est malhonnête,
Et se cherche une mauvaise excuse
Il pourra diffamer ses compagnons injustement,
Par de telles calomnies infâmes
Attirer le blâme sur le métier.
S’il déshonore ainsi le métier,
Vous ne devez alors lui faire aucune faveur,
Ni le maintenir dans sa mauvaise vie,
De peur que cela ne tourne en tracas et conflit ;
Mais ne lui laissez aucun sursis,
Jusqu’à ce que vous l’ayez constraint,
A comparaître où bon vous semble,
Où vous voudrez, de gré ou de force,
A la prochaine assemblée vous le convoquerez,
A comparaître devant tout ses compagnons,
Et s’il refuse de paraître devant eux,
Il lui faudrait renoncer au métier ;
Il sera alors puni selon la loi
Qui fut établie dans les temps anciens.

Onzième point.

Le onzième point est de bonne discrétion,
Comme vous pouvez le comprendre par bonne raison ;
Un maçon qui connaît bien son métier,
Qui voit son compagnon tailler une pierre,
Et qu’il est sur le point d’abîmer cette pierre,
Reprends-la aussitôt si tu le peux,
Et montre-lui comment la corriger,
Pour que l’ oeuvre du seigneur ne soit pas abîmé,
Et montre-lui avec douceur comment la corriger,
Avec de bonnes paroles, que Dieu te prête ;
Pour l’amour de celui que siège là-haut,
Avec de douces paroles nourris son amitié.

Douzième point.

Le douzième point est d’une grande autorité,
Là où l’assemblée se teindra,
Il y aura des maîtres et des compagnons aussi,
Et d’autres grands seigneurs en grand nombre ;
Il y aura le shérif de cette contrée,
Et aussi le maire de cette cité,
Il y aura des chevaliers et des écuyers,
Et aussi des échevins, comme vous le verrez ;
Toutes les ordonnances qu’ils prendrons là,
Ils s’accorderont pour les faire respecter,
Contre tout homme, quel qu’il soit,
Qui appartient au métier beau et libre.
S’il fait quelque querelle contre eux,
Il sera arrêté et tenu sous garde.

Treizième point.

Le treizième point requiert toute notre volonté,
Il jurera de ne jamais voler,
Ni d’aider celui dans cette mauvaise profession,
Pour aucune part de son butin,
Et tu dois le savoir ou alors pécher,
Ni pour son bien, ni pour sa famille.

Quatorzième point.

Le quatorzième point est excellente loi
Pour celui qui sera sous la crainte ;
Un bon et vrai serment il doit prêter là,
A son maître et ses compagnons qui sont là ;
Il doit être constant et fidèle aussi
A toutes ces ordonnances, où qu’il aille,
Et a son seigneur lige le roi,
De lui être fidèle par-dessus tout.
Et tous ces points ci-dessus
A eux tu dois être assermenté,
Et tous prêteront le même serment
Des maçons, de gré ou de force.
A tous ces points ci-dessus,
Ainsi que l’a établie une excellente tradition.
Et ils enquêteront sur chaque homme
S’il les met en pratique de son mieux,
Si un homme est reconnu coupable
Sur l’un de ces points en particulier ;
Qu’on le recherche, quel qu’il soit,
Et qu’il soit amené devant l’assemblée.

Quinzième point.

Le quinzième point est excellente tradition,
Pour ceux qui auront là prêté serment,
Cette ordonnance qui fut arrêtée par l’assemblée
De grands seigneurs et maîtres dont on a parlé ;
Pour ceux qui soient désobéissants, je sais,
A la présente constitution,
De ces articles qui y furent édictés,
Par de grands seigneurs et maçons ensemble,
Et si leurs fautes sont mises au jour
Devant cette assemblée, tantôt,
Et s’ils ne veulent pas s’en corriger,
Alors ils doivent abandonner le métier ;
Et jurer de ne plus jamais l’exercer.
Sauf s’ils acceptent de s’amender,
Ils n’auront plus jamais part au métier ;
Et s’ils refusaient de faire ainsi,
Le shérif se saisira d’eux sans délai,
Et les mettra dans un profond cachot,
A cause de leur transgression,
Il confisquera leurs biens et leur bétail
Au profit du roi, en totalité,
Et les y laissera aussi longtemps,
Qu’il plaira à notre lige le roi.

L’art des quatre couronnés.

Prions maintenant Dieu tout-puissant,
Et sa mère Marie radieuse,
Afin que nous puissions garder ces articles,
Et les points tous ensembles,
Comme le firent ces quatre saints martyres,
Qui dans ce métier furent tenus en grand honneur,
Ils étaient aussi bons maçons qu’on puisse trouver sur la terre,
Sculpteurs et imagiers ils étaient aussi,
Car c’étaient des ouvriers d’élite,
L’empereur les tenait en grande estime ;
Il désira qu’ils fassent une statue
Qu’on vénérera en son honneur ;
En son temps il possédait de tels monuments,
Pour détourner le peuple de la loi du Christ.

Mais eux demeuraient ferme dans la loi du Christ,
Et dans leur métier sans compromis ;
Ils aimaient bien Dieu et tout son enseignement,
Et s’étaient voués à son service pour toujours.
En ce temps là ils furent des hommes de vérité,
Et vécurent droitement dans la loi de Dieu ;
Ils n’entendaient pas de fabriquer des idoles,
Quelque bénéfices qu’ils puissent en retirer,
Ni prendre cette idole pour leur Dieu,
Ils refusèrent de le faire, malgré sa colère ;
Car ils ne voulaient pas renier leur vraie foi,
Et croire à sa fausse loi,
L’empereur les fit arrêter sans délai,
Et les mit dans un profond cachot ;
Plus cruellement il les y punissait,
Plus ils se réjouissaient dans la grâce de Dieu,
Alors quand il vit qu’il ne pouvait plus rien,
Il les laissait alors aller à la mort ;
Celui qui voudra, trouvera dans le livre
De la légende des saints,
Les noms des quatre couronnés.
Leur fête est bien connue, Le huitième jour après la Toussaint.

Ecoutez ce que j’ai lu,
Que beaucoup d’années après, à grand effroi
Le déluge de Noë eut déferlé,
La tour de Babel fut commencée,
Le plus gros ouvrage de chaux et de pierre,
Que jamais homme ait pu voir ;
Si long et si large on l’entreprit,
Que sa hauteur jeta sept miles d’ombre,
Le Roi Nabuchodonosor le fit construire
Aussi puissant pour la défense des hommes,
Que si un tel déluge surviendrait,
Il ne pourrait submerger l’ouvrage ;
Parce qu’ils avaient un orgueil si fier, avec grande vantardise
Tout ce travail fut ainsi perdu ;
Un ange les frappa en diversifiant leurs langues,
Si bien qu’ils ne se comprenaient plus jamais
l’un l’autre.

Bien des années plus tard, le bon clerc Euclide
Enseigna le métier de géométrie partout autour,
Et il fit en ce temps-là aussi,
Divers métiers en grand nombre.
Par la haute grâce du Christ au ciel,
Il fonda les sept sciences ;

Grammaire est la première, je le sais,
Dialectique la seconde, je m’en félicite,
Rhétorique la troisième sans conteste,
Musique la quatrième, je vous le dis,
Astronomie est la cinquième, par ma barbe,
Arithmétique la sixième, sans aucun doute,
Géométrie la septième, clôt la liste,
Car elle est humble et courtoise,

En vérité, la grammaire est la racine,
Chacun l’apprend par le livre ;
Mais l’art dépasse ce niveau,
Comme le fruit de l’arbre vaut plus que la racine ;
La Rhétorique mesure un langage soigné,
Et la Musique est un chant suave ;
L’Astronomie dénombre, mon cher frère,
L’Arithmétique montre qu’une chose est égale à une autre,
La Géométrie est la septième science,
Qui distingue le vrai du faux, je sais
Que ce sont les sept sciences,
Celui qui s’en sert bien peut gagner le ciel.

Maintenant mes chers enfants, ayez bon esprit
Pour laisser de côté orgueil et convoitise,
Et appliquez vous à bien juger,
Et à bien vous conduire, où que vous allez.

Maintenant je vous prie d’être bien attentifs,
Car ceci vous devez savoir,
Mais vous devez en savoir bien plus encore,
Que ce que vous trouvez écrit ici.
Si l’intelligence te fait défaut pour cela,
Prie Dieu de te l’envoyer ;
Car le Christ lui-même nous l’enseigne
Que la sainte église est la maison de Dieu,
Elle n’est faite pour rien d’autre
Que pour y prier, comme nous le dit l’Ecriture,
Là le peuple doit se rassembler,
Pour prier et pour pleurer leurs péchés.

Veille à ne pas arriver à l’église en retard,
Pour avoir tenu des propos paillards à la porte ;
Alors quand tu es en route vers l’église,
Aie bien en tête à tout instant
De vénérer ton seigneur Dieu jour et nuit,
De tout ton esprit et de toute ta force.
En arrivant à la porte de l’église
Tu prendras un peu de cette eau bénite,
Car chaque goutte que tu toucheras,
Effacera un péché véniel, sois-en sûr.

Mais d’abord tu dois ôter ton capuchon,
Pour l’amour de celui qui est mort sur la croix.
Quand tu entreras dans l’église,
Elève ton coeur vers le Christ, aussitôt ;
Lève alors les yeux vers la crois,
Et agenouille toi bien à deux genoux,
Puis prie-le alors de t’aider à oeuvrer,
Selon la loi de la sainte église,
A garder les dix commandements,
Que Dieu donna à tous les hommes ;

Et prie-le d’une voix douce
De te garder des sept péchés,
Afin que tu puisse ici, dans cette vie,
Te garder loin des soucis et des querelles ;
Et que de plus il t’accorde la grâce,
Pour trouver une place dans la béatitude du ciel.

Dans la sainte église abandonne les paroles frivoles
De langage lascive et plaisanteries obscènes,
Et mets de côté toute vanité,
Et dis ton pater noster et ton ave ;
Veille aussi à ne pas faire de bruit,
Mais sois toujours dans tes prières ;
Si tu ne veux pas prier toi-même,
Ne gêne aucun autre en aucune manière.
En ce lieu ne te tiens ni assis ni debout,
Mais agenouille toi bien sur le sol,
Et quand je lirai l’Evangile,
Lève toi bien droit sans t’appuyer au mur,
Et signe-toi si tu sais le faire,
Quand on étonne le gloria tibi ;
Et quand l’évangile est fini,
A nouveau tu peux t’agenouiller,
Sur tes deux genoux tu tomberas,
Pour l’amour de celui qui nous a tous rachetés ;

Et quand tu entends sonner la cloche
Qui annonce le saint sacrement,
Vous devez vous agenouiller tous jeunes et vieux,
Et lever vos deux mains au ciel,
Pour dire alors dans cette attitude,
A voix basse et sans faire de bruit ;
« Seigneur Jésus sois le bienvenu,
En forme de pain comme je te vois,
Désormais Jésus par ton saint nom,
Protège-moi du péché et de la honte ;
Accorde-moi l’absolution et la communion,
Avant que je m’en aille d’ici,
Et sincère repentir de mes péchés,
Afin, Seigneur, que je ne meure jamais dans cet état ;
Et toi qui est né d’une vierge,
Ne souffre pas que je sois jamais perdu ;
Mais quand je m’en irai de ce monde,
Accorde-moi la béatitude sans fin ;
Amen ! Amen ! Ainsi soit-il !
A présent douce dame priez pour moi. »

Voici ce que tu dois dire, ou une chose semblable,
Quand tu t’agenouille devant le sacrement.
Si tu cherches ton bien, n’épargne rien
Pour vénérer celui qui a tout crée ;
Car c’est pour un homme un jour de joie,
Qui une fois ce jour-là a pu le voir ;
C’est une chose si précieuse, en vérité,
Que nul ne peut en dire le prix ;
Mais cette vision fait tant de bien,

Comme Saint Augustin le dit très justement,
Ce jour où tu vois le corps de Dieu,
Tu possédera ces choses en toute sécurité :-
A manger et à boire à suffisance,
Rien ce jour-là ne te manquera ;
Les jurons et vaines paroles,
Dieu te les pardonnera aussi ;
La mort subite ce même jour
Tu n’as nullement à la craindre ;
Et aussi ce jour-là, je te le promets,
Tu ne perdras pas la vue ;

Et chaque pas que tu fais alors,
Pour voir cette sainte vision,
Sera compté en ta faveur,
Quand tu en auras grand besoin ;
Ce messager qu’est l’ange Gabriel,
Les conservera exactement.
Après cela je peux passer maintenant,
A parler à d’autres bienfaits de la messe ;
Viens donc à l’église, si tu peux,
Et entends la messe chaque jour ;

Si tu ne peux pas venir à l’église,
Où que tu travailles,
Quand tu entends sonner la messe,
Prie Dieu dans le silence de ton coeur,
De te donner part à ce service,
Que l’on célèbre dans l’église,

Je vous enseignerai de plus,
Et à vos compagnons, apprenez ceci,
Quand tu te présenteras devant un seigneur,
Dans un manoir, un bosquet, ou à table,
Capuchon ou bonnet tu dois ôter,
Avant d’être près de lui ;
Deux ou trois fois, sans nul doute,
Devant ce seigneur tu dois t’incliner ;
Tu fléchiras le genou droit,
Tu auras ainsi l’honneur sauf.

Ne remets pas ton bonnet ou capuchon,
Jusqu’à ce que tu en auras la permission.
Tout le temps que tu parleras avec lui,
Tiens le menton haut avec franchise et amabilité ;
Ainsi, comme le livre te l’enseigne,
Regardes-le en face avec amabilité.
Tes pieds et mains tiens les tranquilles,
Sans te gratter ni trébucher, sois habile ;
Evite aussi de cracher et de te moucher,
Attends pour cela d’être seul,
Et si tu veux être sage et discret,
Tu as grand besoin de bien te contrôler.

Lorsque tu entres dans la salle,
Parmi les gens bien nés, bons et courtois,
Ne présume pas trop de grandeur pour rien,
Ni de ta naissance, ni de ton savoir,
Ne t’assied pas et ne t’appuie pas,
C’est le signe d’une éducation bonne et propre.
Ne te laisse donc pas aller dans ta conduite,
En vérité la bonne éducation sauvera ta situation.
Père et mère, quels qu’ils soient,
Digne est l’enfant qui agit dignement,
En salle, en chambre, où que tu ailles ;
Les bonnes manières font l’homme.

Fait attention au rang de ton prochain,
Pour leur rendre la révérence qui convient ;
Evite de les saluer tous à la fois,
Sauf si tu les connais.
Quand tu es assis à table,
Mange avec grâce et bienséance ;
Veille d’abord que tes mains soient propres,
Et que ton couteau soit tranchant et bien aiguisé,
Et ne coupe ton pain pour la viande,
Qu’autant que tu en mangeras,
Si tu es assis a côté d’un homme de rang supérieur, Au tien.

Laisse le se servir d’abord de la viande,
Avant d’y toucher toi-même.
Ne pique pas le meilleur morceau,
Même s’il te fait grande envie ;
Garde tes mains nettes et propres,
Pour ne pas souiller ta serviette ;
Ne t’en sers pas pour te moucher,
Et ne te cure pas les dents à table ;
Ne plonge pas trop tes lèvres dans la coupe,
Même si tu as grande envie de boire,
Cela te ferait larmoyer.
Ce qui serait alors discourtois.

Veille à ne pas avoir la bouche pleine,
Quand tu te mets à boire ou à parler.
Si tu vois un homme qui boit,
Tout en écoutant tes propos,
Interromps aussitôt ton histoire,
Qu’il boive du vin ou de la bière,
Veille aussi à n’offenser aucun homme,
Si bien parti que tu le voies ;
Et ne médis de personne,
Si tu veux sauver ton honneur ;
Car de tels mots pourraient t’échapper,
Qui te mettraient dans une situation gênante.

Retiens ta main dans ton poing,
Pour ne pas avoir à dire « si j’avais su »,
Dans un salon parmi de belles dames,
Tiens ta langue et sois tout yeux ;
Ne ris pas aux grandséclats,
Ne chahute pas commeunribaud.
Ne badine qu’avec tes pairs,
Et ne répète pas tous ce que tu entends ;
Ne proclame pas tes propres actions ;
Par plaisanterie ou par intérêt ;
Par de beaux discours tu peux réaliser tes désirs,
Mais tu peux par là aussi te perdre.

Quand tu rencontres un homme de valeur,
Tu ne dois pas garder bonnet et capuchon ;
A l’église, au marché, ou au portail,
Salue le selon son rang.
Si tu marches avec un homme d’un rang
Supérieur au tien,
Reste en retrait de lui d’une épaule,
Car cela est bonne éducation sans défaut ;

Lorsqu’il parle, tiens-toi tranquille,
Quand il a fini, dis ce que tu veux,
Dans tes paroles sois discret,
Et à ce que tu dis fais bien attention ;
Mais n’interrompe pas son histoire,
Qu’il en soit au vin ou à la bière.
Que le Christ alors par sa grâce céleste,
Vous donne et l’esprit et le temps,
Pour bien comprendre et lire ce livre,
Afin d’obtenir le ciel en récompense.

Amen ! Amen ! Ainsi soit-il !
Disons nous tous par charité.

Biographie de Martinez de Pasqually

Par Jean-François Var, CBCS

 

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Pasqually,  Martines de * ? Grenoble , † 20/21.9.1774 Port-au-Prince

On a pu dire à bon droit de M. P. qu’il était une énigme vivante. Et d’abord son patronyme. Dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, Gérard van Rijnberk consacre deux pages (I, 14-15) aux différentes variantes de son nom, qui dépassent de beaucoup en diversité ce qu’autorisait la libre fluctuation des usages du temps (la Révolution française, qui a normalisé et fixé l’état-civil, n’était pas encore passée par là). Cependant, de la comparaison des documents officiels (actes d’état-civil et attestations militaires), il semble résulter avec une bonne probabilité que son nom complet serait (avec de nombreuses variantes orthographiques) Jacques de Lyoron (ou: de Livron) Joachin Latour (ou: de Latour) de la Case Martines de Pasqually (ou bien : Jacques de Lyoron Latour de la Case Joachin Martines de Pasqually). Tel quel, ce nom a l’apparence de deux patronymes accolés, chacun précédé d’un prénom (Jacques, Joachin). Van Rijnberk avait émis l’hypothèse que M. P. fût un hiéronyme lié à la fonction de “chef d’initiation” dont lui-même, à la suite de son père, aurait été revêtu. Toutefois, cette ingénieuse supputation est battue en brèche par les attestations militaires découvertes et publiées par Christian Marcenne dans le Bulletin de la Société Martines de Pasqually (n° 6, 1996) – Société sise à Bordeaux. Il résulte de ces attestations qu’un oncle de M. P., désigné comme “dom Pasqually”, commandait en 1737, une compagnie du régiment d’Edimbourg-Dragon au service du roi Philippe V d’Espagne. En ce qui concerne M. P. lui aussi, le prédicat nobiliaire d’origine ibérique “Don” (ou “Dom”) précède presque toujours la seconde partie du nom (Martines de Pasqually); il est souvent doublé, devant la première partie du nom (Latour de la Case), par l’appellation, elle aussi nobiliaire mais d’usage français, “Messire” (ou “Sire”). La qualité noble de M. P., attestée par plusieurs actes officiels, est hors de doute, ainsi que son titre, qui était celui d’écuyer. Lui-même signait quasiment toujours “Don Martines de Pasqually”.

Sa date de naissance, ensuite. La Société Martines de Pasqually a confronté, dans son Bulletin (9 (1999), deux chronologies déduites des documents existants et totalement incompatibles entre elles. L’une, calculée à partir de l’acte de décès (entre autres documents), ferait naître M. P. en 1726 ou 1727. Elle paraît néanmoins invalidée par les attestations militaires déjà mentionnées, qui prouvent que M. P. a eu une carrière militaire d’au moins dix ans (de 1737 à 1747) en tant qu’officier (lieutenant en 1737) au service du roi d’Espagne – ce qu’il ne pouvait évidemment pas être à l’âge de dix ou onze ans! Ces attestations cadrent en revanche fort bien avec les lettres patentes maçonniques que M. P. produisit comme ayant été accordées à son père en 1738, et qui le mentionnent lui-même comme ayant alors vingt-huit ans. Cela signifie qu’il serait né en 1710. Les probabilités sont donc désormais plutôt en faveur d’une chronologie “haute”, vers laquelle inclinait déjà Van Rijnberk (II, 9-10).

Son lieu de naissance est à peu près sûrement Grenoble. Tous les documents officiels concordent sur ce point. Son origine familiale était certainement l’Espagne. En effet, les lettres patentes de 1738 produites par lui en 1762 indiquent que son père est né à Alicante en 1671. Cette origine espagnole, qui faisait déjà l’unanimité des spécialistes, s’est trouvée encore renforcée par les attestations portant sur sa carrière militaire au service du roi d’Espagne. Plusieurs contemporains proches de lui témoignent aussi que sa langue maternelle n’était pas le français (l’orthographe purement phonétique de ses lettres va dans ce sens, mais n’est pas une preuve à elle seule).

Espagnole, cette origine était de surcroît juive. Cela était déjà nettement apparu à divers de ses contemporains. Les dénégations de Jean-Baptiste Willermoz sur ce point, dans une lettre très tardive (juillet 1821), ne suffisent pas à révoquer en doute cette origine juive. D’ailleurs, à y regarder de près, ces dénégations de Willermoz s’appliquent à la religion bien plutôt qu’à la race. De fait, non seulement Martines s’affirmait catholique romain, et produisait à l’appui un certificat de catholicité, mais encore il exigeait des postulants à l’entrée dans l’Ordre des Elus Coens qu’ils appartinssent à cette confession. C’est même à cause de cela, que plusieurs membres de la Confession réformée (par exemple, Du Roy d’Hauterive) durent abjurer leur appartenance à celle-ci. Et c’est pourquoi Robert Amadou, qui étudie la question depuis quelque cinquante ans, écrt (cf. ‘Introduction’ à son édition de 1995 du Traité sur la Réintégration) que ‘sa famille paternelle était […] d’origine juive espagnole marrane ou, plus exactement, demi-marrane’. Demi-marrane, en effet, car les vrais marranes n’étaient que des faux-semblants de convertis au christianisme, pour donner le change, alors que le christianisme est inhérent à la doctrine de Martines et que lui-même en a toujours fait profession. Ce christianisme, tel qu’il ressort de ses écrits, est singulier mais néanmoins authentique. Selon Robert Amadou, qui l’a analysé à fond (dans l’‘Introduction’ déjà citée, et dans la ‘Préface’ à son édition de 1999 des Leçons de Lyon), M. P. appartenait à une catégorie très particulière et très archaïque du christianisme, que l’on aurait pu croire disparue depuis plus de mille ans, le “judéo-christianisme”. Cela semblerait confirmer l’affirmation constante de M. P. lui-même, à laquelle plusieurs personne, dont Willermoz, ont fait écho, selon laquelle les connaissances dont il était détenteur lui auraient été transmises par succession. Willermoz précisait: ‘dans son ministère, il avait succédé à son père’. La possibilité d’une “transmission ésotérique” intra ou extra-familiale avait d’ailleurs déjà été mise en relief par à René Guénon, que ‘ L’Enigme de Martines de Pasqually’ tracassait au point d’y consacrer au moins quatre études, dont certaines longues, entre 1914 et 1936.

Quoi qu’il en soit, on ne sait rien de la jeunesse de M. P., à part sa carrière militaire récemment connue, On ne connaît guère sa biographie avant son apparition sur la scène maçonnique – et sur la scène historique – au cours de la décennie 1750-1760. Le premier Chapitre fondé par lui semble avoir été, en 1754 à Montpellier, le Chapitre des Juges Ecossais. Il voyagea dès lors à travers la France, principalement dans le Midi, mais aussi à Paris et à Lyon. A Toulouse, où il exposa en 1760 devant ‘les loges de Saint-Jean réunies’ ce qui, d’après le compte-rendu, paraît déjà une esquisse de son système, il échoua à convaincre les Frères. Il obtint en revanche un bien meilleur succès en Guyenne, et cela est important pour la suite de l’histoire.

A partir du 28 avril 1762, M. P. s’installa en effet à Bordeaux. Il y résida jusqu’à son départ pour Saint-Domingue, le 5 mai 1772, hormis un déplacement de quelques mois à Paris, en 1766-1767. Il gagna à sa cause la loge La Française, au sein de laquelle il constitua un “Temple particulier” et qui, à l’occasion de démêlés avec d’autres loges bordelaises, en particulier L’Anglaise, prit en 1764 le titre de La Française Elue Ecossaise, pour afficher clairement sa couleur. Surtout, le régiment de Foix-Infanterie qui, après un séjour de cinq ans à Saint-Domingue, revint prendre ses quartiers à Bordeaux en juillet 1765, devint pour lui un théâtre d’opération privilégié. Il y fonda un “Temple coen” dit “des Elus Ecossais”), sous le couvert de la loge militaire Josué, probablement créée à cet effet. Il initia, entre autres Maçons, deux officiers, P.A. de Grainville et G.A. de Champoléon, qui devinrent plus tard ses collaborateurs attitrés et ses secrétaires bénévoles. C’est par leur entremise que à Louis-Claude de Saint-Martin, affecté à ce régiment dans le mois même du retour de Champoléon en France, fit la connaissance de M. P. – rencontre déterminante pour tous deux – et fut admis très vite dans son Ordre.

La Grande Loge de France ayant été saisie des démêlés entre L’Anglaise et La Française, c’est alors que M. P. lui adressa copie de la traduction de la ‘constitution et patente’, rédigée ‘en idiome anglais’, précisait-t-il, octroyée à son père le 20 mai 1738, et transmissible à lui-même par ‘Charles Stuard [sic], roi d’Ecosse, d’Irlande et d’Angleterre, Grand Maître de toutes les Loges répandues sur la surface de la terre’. Cette patente, octroyée le 20 mai 1738, fait mention de ‘Don Martinez Pasqualis, écuyer, âgé de 67 ans, natif de la ville d’Alicante en Espagne’ et de ‘Joachim Dom Martinez Pasqualis, son fils aîné, âgé de 29 ans, natif de la ville de Grenoble en France’. Mais ce document est généralement considéré comme apocryphe. Toutefois, l’historien Robert Amadou déclare suspendre son jugement sur ce point. Toujours est-il qu’aucun argument probant n’a été produit, ni pour en confirmer, ni pour en infirmer, l’authenticité. La question des relations supposées ou réelles, ostensibles ou voilées, des Stuarts avec la Franc-Maçonnerie (question qui se pose aussi à propos de la charte octroyée au baron Karl von Hund, fondateur du Système dit “Stricte Observance”), fait actuellement l’objet de recherches dans le Nord de l’Angleterre et en Ecosse. Finalement, la Grande Loge de France prit une mesure de portée générale. Elle décréta en août 1766 l’abolition des hauts grade. Elle rapporta cette mesure dès octobre, mais non sans avoir exclu M. P. des loges qui dépendaient d’elle Toutefois, elle-même en proie à des troubles persistants parfois accompagnés d’actes de violence, elle fut dissoute par édit royal le 21 février 1767.

Dès lors, M. P. avait donc le champ libre pour constituer son propre Système, l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coens de l’Univers (primitivement dénommé Ordre des Elus Coëns de Josué). A l’occasion d’un séjour de plusieurs mois à Paris (fin 1766 à début 1767), il reçut de nombreux Maçons dont – rencontre qui sera aussi importante que celle de Saint-Martin, mais dans un tout autre genre – Willermoz; et aussi Bacon de la Chevalerie. De ce dernier, Maçon de beaucoup d’entregent, M. P. fit l’année suivante son Substitut universel, en même temps que, à l’équinoxe de printemps 1767, il constituait le Tribunal Souverain et promulguait les statuts de l’Ordre.

De retour à Bordeaux, il s’y maria, en septembre 1767, avec la nièce et sœur de deux officiers du régiment de Foix Infanterie. Elle lui donna un fils en juin 1768, dont il comptait faire son successeur (il emploie ce terme dans une lettre à Willermoz) à la tête de l’Ordre, et lui-même écrivit à Willermoz qu’il l’avait reçu Grand Maître Coen juste après son baptême. L’abbé Pierre Fournié (cf. aussi infra) fut un temps son précepteur. Mais, les turbulences révolutionnaires aidant, ce fils finit dans la peau d’un commissaire de police dénommé De La Tour (ou Latour) de la Case,(le nom de son père disparaissait). De ce personnage, Serge Caillet d’abord (dans la revue L’Esprit des choses 7, 1994), puis la Société Martines de Pasqually (Bulletin 8, 1998) ont retracé la terne carrière de 1814 à 1830. Un autre fils, né en 1771, mourut en 1773. La même année 1768, Saint-Martin, alors âgé de vingt-cinq ans, fut présenté à M. P. par Grainville et Champoléon, cependant que Willermoz était ordonné Réau-Croix par Bacon de la Chevalerie à Paris. Willermoz fut réordonné “sympathiquement”, c’est-à-dire à distance, par M. P. lui-même, en 1770.

De 1767 à 1772, Martines organisa son Ordre, le fournissant en instructions, en rituels, en recommandations diverses. Il entreprit la rédaction du Traité, avec l’aide zélée mais brouillonne de l’abbé Pierre Fournié comme secrétaire en titre puis, à partir de 1771, avec celle, bien plus méthodique et efficace, de Saint-Martin – qu’il ordonne Réau-Croix en 1772. Ses fidèles disciples Grainville et Champoléon lui servaient de collaborateurs occasionnels. Malgré cela, il s’en fallait de beaucoup que tout fût achevé lorsque M. P. s’embarqua le 5 mai 1772 pour Saint-Domingue, afin d’y régler des affaires d’héritage (dont la Société Martines de Pasqually a passablement débrouillé la nature, cf. Bulletin 6, 7 et 8, 1996-1998). Notons au passage que cette Société publie une éphéméride, année après année, de tous les événements relatifs à la vie de Martines.

De 1772 au 20 (ou, plus probablement, 21) septembre 1774, date de sa mort à Port-au-Prince, M.P. s’occupa encore activement, beaucoup plus qu’on ne l’a prétendu, presque “fiévreusement” selon Van Rijnberk, de son Ordre. Il envoyait par courrier rituels, instructions, courriers de toute sorte. Il avait désigné comme son successeur en tant que Grand Souverain de l’Ordre (tant que son fils n’aurait pas encore attent un âge suffisant) son cousin par alliance Caignet de Lester. Mais celui-ci mourut à son tour, le 11 décembre 1778, et fut remplacé par Sébastien de Las Casas – dont on a soupçonné qu’il était lui aussi apparenté à M. P. Durant ce temps, l’Ordre se désagrégeait, et, en 1781 Las Casas rendit à tous les membres leur liberté. Mais l’histoire des Elus-Cohens n’était pas finie pour autant.

Au meilleur de sa prospérité, l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coens de l’Univers n’avait guère compté qu’une douzaine de Temples regroupant une centaine de membres. La plupart tombèrent alors en déliquescence. Leurs membres changeaient d’appartenance. Pourtant, au moins deux demeurèrent en activité jusqu’à l’époque révolutionnaire. D’une part, celui de Toulouse, dont les travaux, révélés par le Fonds Du Bourg, se poursuivirent sous la direction de Duroy d’Hauterive. D’autre part, celui de Lyon, sous la direction de Willermoz; C’est à Lyon, que se déroulèrent de 1774 à 1776 ces “répétitions” de la doctrine martinésienne déjà signalées par Vulliaud et Guénon, publiées une première fois par Antoine Faivre en 1975 sous le titre Conférences des Elus Cohens de Lyon puis, dans une édition plus complète, par Robert Amadou en 1999 sous le titre Les Leçons de Lyon aux Elus Coëns.

Ce document capital est un complément indispensable à l’exposé inachevé qu’est le Traité sur la réintégration des êtres créés dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine (éd. Robert Amadou de 1995 d’après un manuscrit de Saint-Martin), ou Traité de la réintégration des êtres créés dans leurs primitives propriétés, vertus et puissances spirituelles divines (éd. Robert Amadou de 1974 d’après deux autres textes). A quoi il faut adjoindre les nombreux rituels et instructions rendus disponibles par l’invention du Fonds Z (remontant à Saint-Martin), ainsi que la correspondance de M .P. publiée par Papus, par Van Rijnberk et dans la revue Renaissance Traditionnelle. Parmi les interprètes notables de la pensée de M .P. n’omettons pas Saint-Martin, à cette époque auteur de Des erreurs et de la vérité (1775) et de Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers (1782); non plus que Willermoz, auteur d’une Instruction secrète au Profès,et surtout d’une Instruction secrète aux Grands Profès, textes rédigés un peu avant 1778. Mentionnons aussi l’ouvrage confus et diffus, mais non dépourvu d’inspiration originale, de l’abbé Pierre Fournié Ce que nous avons été, ce que nous sommes, ce que nous deviendrons (1801).

Si l’on combine le titre de ce dernier ouvrage avec celui du Traité sur la réintégration, on a un premier aperçu, partiel mais fidèle, de la doctrine de M. P. “Doctrine” est le mot juste, car il l’enseignait “avec autorité”, comme un maître. Il n’entendait pas l’enseigner à la manière d’un penseur qui a élaboré une théorie de son cru. Il se considérait comme comme l’héritier et le transmetteur d’une longue tradition d’origine supra-humaine: De même, Fournié écrivit dans une lettre à Willermoz: ‘La science que je professe est certaine et vraie, parce qu’elle ne vient pas de l’homme’. Fournié se montrait ici digne successeur de son maître, car M. P. prétendait avoir été enseigné ou inspiré d’en-haut; il écrit à un endroit du Traité : ‘je vais vous l’expliquer aussi clairement que la vérité de la sagesse me l’a dicté’. Il est clair que, pour eux, la sagesse en question n’est pas la sagesse humaine et mondaine.

Cette doctrine est donc une science. Une “science de l’homme”, qui est “une”, comme l’écrivit plus tard Joseph de Maistre. Celui-ci, sur ce point non plus que sur beaucoup d’autres, ne renia jamais son martinésisme originel C’est une science de l’homme dans ses rapports avec Dieu et avec l’univers Saint-Martin l’expose dans son Tableau naturel. En partant de l’homme et du monde dans leur état actuel, Saint-Martin remonte à leur origine et anticipe leurs fins dernières. Ainsi, cette “science” de M. P. énonce une histoire de l’homme et de l’univers qui est une “histoire sainte”. Elle part, et parle, de l’état primitif de proximité immédiate, et même d’unité, avec Dieu de l’homme créé à Son image. Elle débouche sur l’état présent de rupture et d’éloignement d’avec Dieu, de “privation”. Elle anticipe un état de réconciliation avec Dieu, suivi de retour à Dieu, de “réintégration”. Pour M. P., anthropologie et cosmologie sacrées sont indissociables l’une de l’autre, Elles s’expliquent l’une par l’autre. Elles sont tributaires d’une certaine “science de Dieu”, laquelle n’est pas à proprement parler théologie, mais plutôt théosophie, car ce que le théosophe saisit de Dieu, ou ce qui le saisit, c’est la Sagesse Divine.

En fait, cette science est une gnose judéo-chrétienne, ou plutôt à la fois juive et chrétienne (au demeurant, M. P. exigeait de ses disciples une pratique religieuse assidue, en l’occurrence dans la confession catholique romaine, cf. supra). Cette gnose martinésienne n’est pas descriptive, elle est active. Elle n’entend pas seulement procurer la connaissance des raisons de la chute originelle de l’homme, de sa “prévarication”, mais elle incite et aide aussi à réparer les conséquences de cette chute. A cette fin, elle procure le “moteur”, ou l’instrument d’une réconciliation de l’homme avec Dieu, puis de sa “réintégration dans ses primitives propriétés, vertus et puissances spirituelles divines”. Pour M. P., l’Ordre des Chevaliers Elus Coens de l’Univers est supposé offrir ce “moteur” ou cet instrument.

De fait, si cet Ordre paraît similaire aux autres Systèmes ou Régimes maçonniques de hauts grades qui faisaient florès à l’époque, M. P., lui, pensait que ceux-ci relevaient de l’“apocryphe” du “profane”. Pour lui, son Système était le seul authentique. C’est ainsi qu’il écrivit, dans son style un peu particulier: ‘Je ne suis qu’un faible instrument dont Dieu veut bien, indigne que je suis, se servir de moi pour rappeler les hommes mes semblables à leur premier état de maçon, qui veut dire spirituellement homme ou âme, afin de leur faire voir véritablement qui [sic] sont réellement homme-Dieu, étant créé à l’image et à la ressemblance de cet Etre tout-puissant’ (lettre de M.P. à Willermoz, 13 août 1768).

L’Ordre créé par M.P. comporte une échelle de dix grades, si l’on inclut les trois grades “bleus”, à savoir Apprenti, Compagnon et Maître, similaires extérieurement à ceux de la Maçonnerie proprement dite, qu’il qualifiât de “profane” (épithète que l’on comprend dans ce contexte, car le terme qualifie étymologiquement ce qui est “hors du Temple”). Mais cette similitude se limite aux noms de ces trois grades. Quant aux grades proprement coens, ils sont au nombre de sept, répartis en quatre classes (ces nombres ont leur importance, car la doctrine martinésienne s’accompagne d’une numérologie précise et complexe). Si leur nomenclature varie selon les sources et les époques, en revanche leur leur répartition est restée immuable: A) Maître Grand Elu (ou Maître Parfait Elu), grade charnière (un peu comme le Maître Ecossais de Saint-André dans le Régime Ecossais Rectifié). B) Classe du Porche, constituée des grades d’Apprenti Coen, Compagnon Coen et Maître Coen (ou Maître particulier). C) Classe du Temple, avec les grades de Grand Maître Coen (ou Grand Architecte), Chevalier d’Orient (ou Grand Elu de Zorobabel), Commandeur d’Orient (ou Apprenti Réau-Croix). D) Le grade de Réau-Croix, qui constitue une classe à lui seul. Ces sept grades, référés aux sept dons de l’Esprit, M. P. entendait qu’ils acheminassent progressivement, pédagogiquement, à la pratique de plus en plus poussée et intégrale d’un culte cérémonial. Ce culte est une théurgie, en ce qu’il met les énergies divines en cause et en branle. Il est aussi une liturgie, œuvre commune des maçons (mot synonyme, pour M.P., de “hommes”) qui s’y impliquent et des “êtres spirituels et intelligents” (c’est-à-dire, des anges) qui y coopèrent. A ce “culte primitif” l’homme premier, prêtre-roi de l’univers, était originellement consacré. M. P. proposait donc à ses disciples de s’adonner de nouveau, selon des modalités nouvelles appropriées, au nouvel état de l’homme, qui porte les stigmates de la chute originelle. Et cela, de façon à “opérer” sa réconciliation personnelle et la réconciliation universelle (celle de toute la création), la “réintégration”. Ces vues ne sont pas sans ressemblance avec ce que certains Pères de l’Eglise appellent “transfiguration” et “déification”. Au demeurant, la liturgie cosmique ainsi proposée par M. P. ne prétend pas concurrencer la liturgie ecclésiale, ni s’y substituer (M. P. exigeait l’assiduité aux offices de l’Eglise en même temps que la pratique quotidienne d’un rituel de prières calqué, moyennant les adaptations requises, sur les “heures” monastiques).

C’est pourquoi l’Ordre des Elus Coens, qui est (pour reprendre le titre récent d’une étude de Serge Caillet dans Renaissance Traditionnelle) ‘une école de vertu et de prière’, se présente finalement comme une sorte d’Ordre religieux. Son cérémonial théurgique n’est pas magique, au sens souvent négatif du terme. Il n’est pas orienté vers l’acquisition de pouvoirs naturels ou supranaturels. Les fameuses “passes” ou “glyphes lumineux” (c’est-à-dire, la manifestation tangible d’une présence angélique dans la chambre d’opération théurgique des Elus Cohens) ne sont pas, comme on le croit parfois, le but même des “opérations”. M. P. ne voyait en ces “passes” que des symptômes ou des signes indiquant au théurge que sa réconciliation était en bonne voie. La théurgie, écrivait-il, est ‘un cérémonial et une règle de vie pour pouvoir invoquer l’Eternel en sainteté’. Cette règle de vie, préalable indispensable, impose une hygiène de corps, d’âme et d’esprit rigoureuse, presque ascétique. Le cérémonial, précis, exigeant et religieux, est destiné à assurer la communication avec les esprits bons et à prévenir la communication avec les “esprits pervers” (c’est-à-dire, démoniaques). La “passe” est donc la manifestation de ce que M. P. appelle “la Chose”, par quoi il entend la Sagesse personnifiée, la Sophia divine. Selon la fine analyse de Robert Amadou (dans une émission radiophonique du 4 mars 2000 consacrée aux Elus Coens), ‘la Chose n’est pas la personne de Jésus-Christ […], la Chose n’est pas Jésus-Christ, c’est la présence de Jésus-Christ’, de même que la Shekinah était la présence de Dieu dans le Temple de Salomon. Dans le culte martinésien, la Chose n’est pas convoquée, car elle ne peut pas l’être; elle se manifeste, elle s’épiphanise, pour exprimer sa satisfaction et sa bienveillance. Cela dit, le culte lui-même n’a pas pour but la manifestation de la Chose, il en est seulement l’occasion. Ce culte a un autre objet, qui est sacrificiel: il s’agit d’ “opérer”, ou du moins d’avancer, la réconciliation de l’homme, et celle de l’univers.

L’époque semble maintenant révolue où l’on décriait Martines comme un charlatan et un imposteur, ou bien un chimérique entêté de bizarreries confuses. Aussi est-on en droit, aujourd’hui, de relire avec d’autres yeux le témoignage de deux de ses disciples: ‘Cet homme extraordinaire auquel je n’ai jamais connu de second’ (Willermoz); ‘Cet homme extraordinaire a été pour moi le seul homme vivant, de ma connaissance, dont je n’aie pas fait le tour’ (Saint-Martin).

 

Bibliographie

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