Les Grades bleus du REAA – Genèse et développements. (partie 1)

Par Pierre Noël, 33e, CBCS

 

En 1804, les hauts-grades du REAA furent (ré)introduits en France par des FFø revenant des Etats-Unis où le 1er Suprême Conseil des Grands-Inspecteurs-Généraux avait été créé, peu de temps auparavant, en Caroline du Sud. Cet organisme n’avait pas prévu de grades bleus spécifiques et ne connaissait que les rituels typiquement anglo-saxons, codifiés par Thomas Smith Webb et régis par les Grandes Loges locales.

De retour à Paris, les ex-émigrés trouvèrent une situation confuse, marquée par les luttes intestines qui opposaient le Grand-Orient de France et les loges dites « Ecossaises » parce qu’elles pratiquaient des hauts-grades non reconnus par celui-ci. Le soutien inconditionnel des « Ecossais » permit aux nouveaux arrivés d’établir une Grande Loge centrale Ecossaise et un Suprême Conseil indépendants du GODF. Allant plus loin que leurs inspirateurs américains, ils ne se contentèrent pas de conférer les hauts-grades du Rite mais rédigèrent également des cahiers des grades bleus, qu’ils présentèrent comme seuls authentiques car « anciens ». Ainsi naquirent les premières versions des grades bleus, dits de REAA, qui furent pratiqués dans les loges rebelles au GODF. Très naturellement, les rédacteurs pillèrent leurs prédécesseurs et accouchèrent de rituels syncrétiques, mêlant éléments de la maçonnerie française classique, de celle dite de « Rite Ecossais » et surtout d’apports anglo-saxons de style « ancien ». Le REAA bleu d’origine fut donc un conglomérat difficilement jouable d’influences diverses et parfois contradictoires. Le ralliement ultérieur de ces loges au GODF ne changea rien à l’affaire jusqu’à la fin du premier Empire.

La Restauration vit, avec l’indépendance du Suprême Conseil, une refonte de ces rituels, visant à les rendre plus en accord avec le goût du temps. L’apport britannique fut minimisé, l’exemple du Rite Français amena des emprunts significatifs, la légende d’Hiram fut relue dans une optique naturaliste qui occulta sa signification première. Le positivisme à la mode amena également des développements inattendus qui ne pouvaient qu’altérer profondément les textes d’origine. A la fin du XIX° siècle, les rituels en usage au Suprême Conseil ne différaient en réalité de ceux en usage au GODF que par le maintien de l’invocation du Grand Architecte de l’Univers, abandonné au Rite Français dans les suites de la décision de 1877.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le retour à une conception plus traditionnelle de la maçonnerie vit une réécriture de ces rituels, sans cependant que les influences du XIX° siècle disparaissent tout à fait. De nouveaux emprunts, à la maçonnerie britannique et hollandaise, ainsi qu’au compagnonnage, conduisirent aux rituels aujourd’hui en usage à la GLNF et à la GLDF.

Les rituels actuels, dit de REAA, se ressentent de ces emprunts successifs qui, le point est essentiel, ne doivent rien aux hauts-grades du même Rite et diffèrent considérablement de leur mouture d’origine. Ce constat soulève deux questions difficiles :

Existe-t-il une spécificité, voire une cohérence, qui lie les grades bleus et les hauts-grades de même nom ?

Quel est le véritable REAA, pour les grades bleus s’entend ?

Introduction

Le Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA) est le Rite maçonnique le plus pratiqué dans le monde. Qu’on l’appelle « Ancient and Accepted Rite » dans les Iles Britanniques ou « Scottish Rite » aux Etats-Unis, il est d’abord un système de 30 hauts-grades, dont la plupart ne sont, le plus souvent, conférés que par communication. Or si on parle rarement des grades bleus de ce Rite, inconnus dans les pays de langue anglaise, ils sont pratiqués en Europe continentale (France, Belgique, Italie, Suisse…) et en Amérique latine. Ce qui n’empêche les bons auteurs, Lantoine, Clément, Naudon, Palou, de rester étrangement muets sur le sujet.

Ce silence ne laisse pas de surprendre. Car de deux choses l’une, ou le Rite possède des grades bleus qui lui soient propres ou il n’en possède pas ! La question n’est pas futile puisque les tenants du système n’arrêtent de répéter que le REAA est un, du 1er au 33ème degré, et, corollaire obligé, que les Grands Inspecteurs Généraux, 33ème et dernier degré du Rite, exercent leur autorité « dogmatique » « Dogmatique », au sens du XIX° siècle, signifie « réglementaire ». sur l’ensemble des grades dudit Rite, affirmations respectables mais qui demandent, reconnaissons-le, une démonstration qui fait le plus souvent défaut.

L’organisation de l’échelle des trente hauts-grades fut un processus long et compliqué dont on commence à déceler le processus, grâce aux travaux essentiels de Jackson, d’Alain Bernheim et d’autres dont l’école américaine, celle notamment de la revue « Heredom », publication du Suprême Conseil de la juridiction sud des Etats-Unis, qui complètent heureusement les écrits fragmentaires des auteurs cités plus haut.

Mais ces travaux ne traitent guère des grades bleus du Rite. Leur contenu n’est que rarement évoqué et le curieux, soucieux de savoir en quoi ces degrés du REAA diffèrent (ou différaient) significativement des autres rituels, serait en bien en peine de trouver une réponse à ses interrogations.

La genèse de ces hauts-grades sort de mon propos. Qu’il suffise de rappeler que les grades actuellement intégrés à l’échelle du Rite furent élaborés en France entre 1740 et 1760 et dans les possession françaises d’Amérique, Saint-Domingue surtout, au cours de la décennie suivante. Au début du XIX° siècle, ils furent organisés, à Charleston, en un système de 33 grades dont les deux derniers seulement étaient inconnus en France. Le premier « Suprême Conseil des Très Puissants Souverains Grands Inspecteurs Généraux du 33ème degré» fut constitué le 31 mai 1801. Initialement composé de deux membres seulement, John Mitchell John Mitchell (1741-1816), d’origine irlandaise, joua un rôle important dans la guerre d’indépendance. , Grand Commandeur, et Frederick Dalcho Frederick Dalcho (1770-1836). Il succéda à John Mitchell à son décès, le 25 janvier 1816. Il démissionna de ses fonctions le 7 novembre 1823. Médecin puis diacre (en 1816) et prêtre (en 1818) de l’Eglise Episcopalienne (anglicane). , Lieutenant Grand Commandeur, il fut porté, dans le courant de l’année suivante, au nombre de neuf membres prévu par les Grandes Constitutions dites de 1786. Dans une circulaire, datée du 4 décembre 1802, adressée « aux puissances maçonniques des deux hémisphères », cet organisme nouveau affirma connaître cinquante-deux degrés (et non trente-trois !) mais il s’empressa d’ajouter qu’il laissait les grades bleus aux Grandes Loges « Bien que nombre de degrés Sublimes soient, en fait, le prolongement des degrés Bleus, il n’y a pas pour autant ingérence entre les deux institutions… Les Maçons Sublimes ne procèdent jamais à des initiations aux degrés Bleus sans autorisation de droit accordée dans ce but par une Grande Loge ». Circulaire « aux deux hémisphères », 4 décembre 1802, rédigée par Fredrick Dalcho, Isaac Auld et Emmanuel de La Motta, signée par John Mitchell, Souverain Grand Inspecteur Général du 33e degré et Grand Commandeur des Etats-Unis d’Amérique, et Abraham Alexander, Secrétaire du Saint-Empire. . Il n’y avait donc pas, à l’époque, de grades bleus spécifiques au REAA, pas plus qu’il n’en existe aujourd’hui aux Etats-Unis ou dans les Iles Britanniques.

Le 21 février 1802, ce même Suprême Conseil remit au comte de Grasse-Tilly Fils aîné de l’amiral de Grasse qui s’était illustré dans la guerre d’indépendance américaine, Alexandre François Auguste, comte de Grasse, des princes d’Antibes, marquis de Tilly, était né à Versailles le 14 février 1765. Il avait été initié dans la Mère-Loge Ecossaise du Contrat Social le 8 janvier 1783. Après la mort de son père, il quitta la France au début de 1789 pour aller prendre possession d’un héritage de plantations à Saint-Domingue. En 1793, la révolte des esclaves le contraignit à se réfugier avec son épouse, sa fille et son beau-père, Jean-Baptiste Marie Delahogue (1744-1822), à Charleston (Caroline du Sud) où il arriva le 14 août. Les deux hommes participèrent à la fondation (1796) dans cette ville de la loge « La Candeur » que de Grasse présida en 1798 avant d’en démissionner, le 4 août 1799, pour devenir, six jours plus tard, le premier Vénérable de la « Réunion Française », dépendant de la Grand Loge des « Antient York Masons » de Caroline du Sud. Entre temps, il avait été fait « Député Grand Inspecteur Général », et 25° degré du Rite « de Morin », le 12 décembre 1796, ainsi que son beau-père et douze autres réfugiés français, par Hyman Isaac Long et à ce titre, participa à la formation, dans le hall de la loge « La Candeur », du Grand et Sublime Conseil des Princes du Royal Secret (Charleston) le 13 janvier 1797. Il retourna l’année suivante à Saint-Domingue, voulant participer à l’entreprise malheureuse du général Hedouville. Il y fut capturé par les rebelles mais, étant devenu citoyen américain le 17 juin 1799, il fut rapidement libéré, put regagner Charleston et y gagner médiocrement sa vie en diverses occupations honorables mais sans éclat. Le 27 décembre 1800, il devint Grand Maréchal de la Grande Loge de Caroline du Sud (« Antients ») dont John Mitchell, futur fondateur du Suprême Conseil de Charleston, était Grand Secrétaire. Mort le 10 juin 1845. , nommé « Grand Commandeur pour les Îles françaises d’Amérique », une patente dont le texte mérite d’être rappelé :

Universi Terrarum Orbis Architecturis Gloria ab Ingentis.

Deus meumque Jus. Ordo ab Caho.

De l’Orient du Suprême Conseil des Très-Puissans Souverains Gr. Insp. Gén., sous la voûte céleste du Zénith, qui répond au 32° degré 45 m. latit. Nord.

A Nos T.Ill.T. Vaill. et Sbl. Princes du Royal-Secret, Ch. de K.H. Illustres Princes et Chevaliers Grands Ineffables et Sublimes, libres et acceptés maçons de tous grades, anciens et modernes, sur la surface des deux hémisphères : A tous ceux qui ces présentes lettres verront,

SANTE. PROSPERITE. POUVOIR

Faisons savoir que Nous soussignés Sou. Grands Inspecteurs généraux, duement et légalement constitués et établis en Suprême Conseil ; avons examiné scrupuleusement notre Ill. Frère Comte Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, dans les divers grades qu’il a légalement reçus ; et à sa requête spéciale, nous certifions, reconnoissons et proclamons notre T.Ill.F. Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, de Versailles en France, ancien capitaine de cavalerie, et ingénieur au service des Etats-Unis d’Amérique ; M° et passe-M° des Loges symboliques ; M° Secret, M° Parfait ; Secrét. Intime ; Prévôt et Juge ; Intendant des Bätimens ; M° Elu des 9, Ill. Elu des 15 ; Subl. Ch. Elu ; Grand Maître Architecte Royal-Arche ; Gr. Elu, Parfait et Subl. Maçon.

Attestons aussi qu’il est Chev. d’Orient ou de l’épée, Prince de Jérusalem, Chev. d’Occident, Chev. de l’Aigle, et Souv. Prince Rose-Croix d’Hérédom, Grand Pontife, Maître ad vitam, patriarche, Noachite, Chev. Prussien, Prince du Liban, Grand M. Ecossais, Chev de St-André, etc.etc.etc. ; Chef du Tabernacle, Prince de Mercy, Chev. du Serpent d’airain, Commandeur du Temple, Souv. Chev. du Soleil, Prince adepte, H.K., Chev . de l’Aigle blanc et noir, et Souv. Grand Inspecteur Général et membre du Suprême Conseil du 33° degré.

Certifions aussi que notre susdit T. Ill. F. est Grand Commandeur à vie du Suprême Conseil des Isles françaises de l’Amérique.

Autorisons et donnons pouvoir à notredit F. A.F.A. De Grasse-Tilly, de constituer, établir et inspecter toutes les Loges, Chapitres, Conseils et Consistoires de l’Ordre royal et militaire de l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie sur les deux hémisphères, conformément aux grandes Constitutions.

Nous, en conséquence, commandons à tous nos sudits Pr. Chev. et Sublimes Maçons, de recevoir notre Ill. F. Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, dans toutes ses diverses qualités, jusqu’au plus haut degré de la Maçonnerie ; promettant d’avoir les mêmes égards pour ceux qui se présenteroient à notre Subl. Cons, munis de certificats, ou lettres de créance aussi authentiques.

Auxquelles lettres de créance, Nous Souverains Grands Inspecteurs Généraux, membres du Suprême Conseil du 33° degré, à Charles-Town, Caroline du Sud ; avons ici-bas souscrit nos noms, et fixé le grand sceau dudit Ill. Ordre dans la Chambre du Grand Conseil, près du B.A., sous la voûte céleste, ce 9° jour du 12° mois de la Restauration 5562, anno Lucis 1802, et de l’ère chrétienne le 21° jour de février 1802.

Signé FR. Dalchs, H.K.P.D.R.S.
S.G.I. 33°

J.B. Borven Thomas Bartholomew Bowen (1742-1805), Membre du Suprême Conseil avant ou le 5 juillet 1801. , K.H.P.R.S.S.G.I.G. 33° deg., Master of Ceremonies

J.B. Dieben Israel De Lieben (1740-1807), un des quatre Juifs qui furent membres du premier Suprême Conseil. Il y fut admis entre le 5 juillet 1801 et le 10 janvier 1802. , K.H.P.R.S. et G.J. 33°, and Grand -Treasurer of the Holy Empire .

Abraham-Alexander Abraham Alexander (1743-1816), Juif comme le précédent. Membre du Suprême Conseil avant ou le 15 juin 1801. , P.R.S.S.G.I.G. 33°, and Grand-Secretary of the Holy Empire

J.B.M. De La Hogue Jean Baptiste Marie Delahogue (1744-1822 ), né à Paris, beau-père de Grasse-Tilly. , P.D.R.S.S.G.I.G. 33°, Lieutenant-Grand-Comm. pour les Isles françaises au vent et sous-le-vent. In Extrait des Colonnes gravées dans le Souvø Chapø Ecossø du Rit ancien et accepté du Père de Famille, vallée d’Angers, 1812 : 30-35.

Les grades énumérés dans cette patente, à l’exception du Grand Inspecteur Général, étaient ou avaient été pratiqués en France au siècle précédent. Lorsque Grasse-Tilly arriva en France, deux années plus tard, il ne fit que ramener dans leur pays d’origine des grades qui étaient toujours conférés régulièrement dans les chapitres dépendant du Grand-Orient de France (GODF).

Mais cette patente conférait aussi à Grasse-Tilly le droit « de constituer, établir et inspecter toutes les Loges, Chapitres, Conseils et Consistoires de l’Ordre royal et militaire de l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie sur les deux hémisphères, conformément aux grandes Constitutions », donc le pouvoir exorbitant de créer des loges partout, même dans un pays où la maçonnerie était solidement implantée, ce qui était le cas de la France. Soulignons un point essentiel : la patente ne parle pas du Rite Ecossais Ancien et Accepté mais bien de « l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie », incluant les deux rites ! On ne peut s’empêcher de souligner le peu de constance des neuf gentlemen de Charleston. En février, ils donnaient à Grasse-Tilly l’autorité de créer des loges bleues alors que leur circulaire de décembre annonçait qu’ils laissaient aux Grandes Loges existantes le soin de conférer les grades bleus.

1. L’état de l’Ordre maçonnique en France en 1804

En France, où rien n’est jamais simple, la situation de la maçonnerie, à l’aube du XIX° siècle, était particulièrement complexe.

Après la mort du comte de Clermont (16 juin 1771), cinquième Grand Maître de la « Grande Loge de Paris, ditte de France », un schisme divisa la franc-maçonnerie française.

Le Grand-Orient de France avait été fondé en 1773 par une assemblée de députés des loges de Paris et des provinces réunis en « Grande Loge Nationale » sous la direction énergique du duc de Montmorency-Luxembourg. Après l’adoption, le 26 juin de cette année-là, de nouveaux statuts qui prévoyaient, entre autres, l’amovibilité des maîtres de loge, le duc de Chartres Il devint, à la mort de son père, duc d’Orléans avant de passer à la postérité sous le nom de Philippe-Egalité. , cousin du Roi, fut installé le 22 octobre. Mais la Grande Loge Nationale n’avait pu rallier à ses vues tous les maîtres de loges parisiens dont certains étaient, on peut les comprendre, très attachés à l’inamovibilité de leur fonction, privilège que voulait supprimer la jeune obédience. Les rebelles se constituèrent donc en « Très Respectable Grande Loge de France », ou plutôt affirmèrent continuer la Grande Loge, laquelle souvent se qualifia de « Grand-Orient de Clermont », voire « seul grand et unique Grand-Orient de France » « Grand Livre d’architecture de la Très respectable Grande Loge de France. 9 février 5789 au 5 juin 5798 ». Les éditions du Prieuré, 1996 (en collaboration avec le musée de la Grande Loge de France). . Le 10 septembre 1773, elle annonça la liste de ses Grands Officiers, ne reconnaissant pour Grand Maître que le défunt comte de Clermont et pour administrateur-général le duc de Montmorency-Luxembourg, lequel ne put que protester contre l’abus fait de son nom.

Schisme donc, lequel dura jusqu’en 1799, sans cependant que diffèrent les rituels et les grades pratiqués. Cette maçonnerie-là était bien « française », c’est à dire « moderne », dans la droite ligne de l’héritage britannique quoique accommodée à l’imagination latine, et ce depuis les premières divulgations parisiennes. Prenons garde d’y voir l’équivalent du schisme anglais, anciens contre modernes, qui faisait rage de l’autre côté de la Manche, moins encore de cette fracture toujours béante qui sépare aujourd’hui maçonneries « libérale » et, si l’on veut, « dogmatique ». La différence était surtout sociologique : la Grande Loge était parisienne, roturière et bourgeoise, le Grand-Orient national, aristocratique et de bon ton, dans ses cercles dirigeants tout au moins.

Les deux obédiences firent preuve d’un grand libéralisme en matière de rituels, qu’ils fussent pratiqués dans les loges bleues ou les chapitres. Le Grand-Orient passa un traité d’alliance avec les directoires du Rite Ecossais Rectifié en 1776, leur laissant le contrôle de leurs loges Voir: Louis Charrière (1938), p. 10. , et, en 1781, avec la loge parisienne de Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social, Mère-Loge pour la France du Rite Ecossais Philosophique, à qui il laissa faculté d’affilier à ses hauts-grades les loges qui le désireraient.

Le Grand-Orient n’en constitua pas moins, le 18 janvier 1782 A.G.Jouaust (1865), p.229. , une « Chambre des Grades » qui, en un louable effort, élabora un Rite « du Grand-Orient », plus tard dénommé Rite Français, qui fut adopté en Assemblée Générale au début de l’année 1786 Daniel Ligou (1991), préface à « Rituels du Rite Français Moderne 1786 ». Editions Slatkine, pp. xv-xvi. . Les trois grades bleus furent alors codifiés, mais ils ne seront édités collectivement qu’en 1801, en un recueil de trois cahiers, pour le vénérable et les deux surveillants, intitulé « Le Régulateur du Maçon ».

L’avant-propos du rituel de 1786 souligne la volonté de la chambre des grades de codifier une ensemble rituel unique à l’usage des loges de l’obédience :

Un autre point non moins important est l’uniformité depuis longtemps désirée, dans la manière de procéder à l’initiation. Animé de ces principes, le GøOø de France, s’est enfin occupé de la rédaction d’un protocole d’initiation aux trois premiers grades, ou grades symboliques. Il a cru devoir ramener la maçonnerie à ces usages anciens que quelque novateurs ont essaÿé d’altérer, et d’établir ces premières et importantes initiations dans leur authentique et respectable pureté. Les loges de sa correspondance doivent donc s’y conformer de point en point… In Ligou, 1991 : 2-3. Phrase identiques dans l’avant-propos du « Régulateur… » de 1801, p. 4.

En outre, le Grand-Orient reconnaissait cinq « Ordres » supérieurs, gérés par un Grand Chapitre Général de France Les conditions de la naissance de ce Grand Chapitre sont quelque peu obscures, gâtées par les manipulations liées à la « patente Gerbier ». Elles n’entrent pas dans notre propos. que le Grand-Orient s’incorpora en 1786 Ligou, op.cit. (1991), p. xvi. ou 1787 Etienne Gout (1985) p. 15. . Les quatre premiers « Ordres », Elu, Ecossais, Chevalier d’Orient et Rose-Croix Grade que Gout, suivant en cela Pyron, s’obstine à appeler « de Judée », pour le distinguer sans doute du futur 18° degré du REAA (Gout, op.cit. 1985, p.15). Le manuscrit de 1786 ne parle que de « Rose-Croix ». , reprenaient les degrés supérieurs apparus dans les années 1740-1760 à la fécondité sans pareille. Le cinquième, de même, « comprenait tous les grades physiques et métaphysiques de tous les systèmes particulièrement ceux adoptés par des associations maçonniques en vigueur » Article 29 des « Statuts et Règlemens généraux du Gø Chø Gø de Fceø » (in Ligou, op.cit. 1991, p. 7). dans le catalogue de la bibliothèque du Grand-Orient des Pays-Bas (fonds Kloss), une note manuscrite de Kloss spécifie que le Grand-Orient incluait dans le 5° Ordre 9 séries de 9 grades, soit 81 en tout. . En clair tous les grades supérieurs au Rose-Croix étaient réunis dans ce 5e Ordre, le Kadosch excepté qui avait été reconnu « faux, fanatique et détestable » en 1766 « Circulaires de la Grande Loge de France du 14 août 1766 et du Conseil Souverain des Chevaliers d’Orient de France du 21 septembre 1766 sur la suppression des Mères Loges », in Alain Le Bihan, 1973, pp.440-443. .

Le Grand-Orient, soit en son Grand Chapitre soit par ses traités d’alliance avec les directoires Ecossais Rectifiés et la loge-mère du Contrat Social, se voulait donc le dépositaire et le gardien de tous les grades « Ecossais » pratiqués à Paris et en province. Le cinquième Ordre devait se réunir le premier mardi de chaque mois mais on ne sait s’il le fit jamais. Certains le croient et pensent qu’il travaillait au grade de chevalier du soleil Pierre Mollier, communication personnelle. .

La révolution passa par-là, qui donna aux frères d’autres préoccupations que de maçonner à l’unisson. Après la tourmente terroriste, le Grand-Orient reprit ses travaux en 1796 sous l’impulsion d’Alexandre-Louis Roëttiers de Montaleau (1748-1808) qui refusa la succession du duc d’Orléans, lequel avait renié l’ordre dès février 1793 et fut guillotiné le 3 novembre de la même année. Devenu « Grand Vénérable », Roëttiers eut à coeur, non seulement la résurrection du Grand-Orient, mais aussi la réunion des deux grands corps maçonniques d’avant la révolution. Il y réussit par le concordat d’union, signé par des commissaires des deux obédiences le 21 mai 1799, puis sanctionné par le Grand-Orient le 23 mai et par la Grande Loge dans une assemblée extraordinaire le 9 juin In Pierre Chevallier, 1974, p. 380. . La réunion des deux GG?.OO? de France fut consommée dans l’allégresse le 22 juin 1799 Gout, 1985, op.cit. p. 15. .

1.1 La résistance écossaise

Quelques loges « Ecossaises » ne partageaient pas ce bel enthousiasme.

La résistance s’incarna en un homme, Antoine-Firmin Abraham (1753-1818), « chevø de tous les Ordres maçonniques ». Né à Montreuil-sur-mer le 3 septembre 1753, premier commis de la marine et secrétaire de La Fidèle Union Constituée par le GODF le 4 mars 1785 pour prendre rang à janvier 1776 (Le Bihan, 1990 : 164) à Morlaix, créateur de la loge Les Elèves de Minerve le 1er février 1802, « il fut le premier qui eut le courage en France d’arborer l’étendard de l’Ecossisme » J. Bossu, Renaissance Traditionnelle, 1977, 32 : 305-307.

De 1800 à 1802, il fit paraître le « Miroir de la Vérité, dédié à tous les Maçons », en quatre volumes dont le contenu est énuméré dans la bibliographie de Fesch P. Fesch, Bibliographie de la Franc-Maçonnerie et des société secrètes, 1910, édité par G.Deny, 1976. . Le 3ème volume contient la plupart de ses écrits sur l’écossisme : Première circulaire à tous les Maçø Ecossø en France – Circulaire de la Rø Lø de la Parfaite Union La Parfaite Union de Douai fut constituée par le GODF le 12 août 1779, pour prendre rang au 3 décembre 1777. Elle fut affiliée par le Souv. Chapitre de la Mère Loge du Rite Ecossais Philosophique le 3 mars 1784 (A. Le Bihan, «Loges et chapitres de la Grande Loge et du Grand-Orient de France. Loges de province ».1990 : 78). , Oø de Douay et sa profession de foi sur l’Ecossø– Motifs du traité d’union entre le Gø Oø de France et les directoires français – Réflexions sur l’existence du soi-disant Gø Chapø Général de France…

Abraham ne mâchait pas ses mots : sa condamnation du Rite Français était sans appel. Dans sa « Circulaire aux Maçons Ecossais » (juin 1802), il écrivait notamment :

Les hauts-grade, en France, ne ressemblent en rien à ceux reconnus dans l’Allemagne, la Russie, la Prusse, la Suède, le Danemark, les Etats-Unis d’Amérique, l’Angleterre, l’Irlande et l’Ecosses ; le Rhin et les mers sont devenus, pour les Francs-Maçons, ce que le Styx fut pour les anciens, la séparation des vivants et des morts… Je vous invite vivement à notifier au Grand-Orient de France, de concert avec les maçons Ecossais, votre ferme et inébranlable résolution de conserver, dans votre atelier, ce Rit précieux en ce qui concerne les hauts-grades » (Miroir de la Vérité, Tome III : 64-67, cité par Lantoine, II, 135).

La diatribe mérite qu’on s’y arrête. En effet, que dit-elle sinon que les hauts-grades du GODF n’étaient pas ceux pratiqués dans les pays étrangers, contrairement aux hauts-grades « Ecossais » Notons qu’Abraham ne parle pas des grades bleus. . Or, les degrés additionnels anglo-saxons, Royal Arch, Mark ou Knight Templar pour ne parler que d’eux, répandus en Angleterre et aux Etats-Unis, n’étaient pas les hauts-grades « Ecossais » de France !

L’Ecosse connaissait certes l’Ordre d’Hérédom de Kilwinning, implanté en France à Rouen et Paris avant la révolution, mais elle ignorait tout des innovations « Ecossaises ». Les pays germaniques avaient vu l’essor des Ordres templiers issus de la Stricte Observance, revus par Eckleff en Suède, Zinnendorf en Prusse et Willermoz à Lyon. Certains grades « Ecossais », le Rose-Croix notamment, étaient connus outre-Manche mais ils ne différaient guère de leur homologue du Grand-Orient. Bref, Abraham se trompait de cible.

La question se pose, légitime : qu’étaient ces loges « Ecossaises » sinon des loges conférant des hauts-grades ? Connaissaient-elles une forme particulière de grades bleus, c’est à dire une méthode spécifique d’amener les impétrants à la maîtrise qui les différencie des loges classiques du temps ? Certes, dans les pays de langue anglaise cohabitaient, plutôt mal, deux traditions, celle de la Grande Loge de 1717, dite des « Modernes », et celle de la Grande Loge « selon les anciennes constitutions », fondée en 1751 à Londres par des maçons irlandais. Si on peut, par analogie, parler à leur sujet de « Rite ancien » et de « Rite moderne », ce serait une faute d’extrapoler cette situation au continent. « Ecossais » et « ancien » n’étaient pas synonymes, pas plus d’ailleurs que « Français » et « moderne » ! Cela dit, l’influence « ancienne » était inexistante en France et tous les rituels continentaux du XVIII° siècle, qu’ils se disent « Ecossais » ou non, se rattachaient peu ou prou à la tradition « moderne », sans cependant la copier servilement.

1.2 Rite Moderne et Rite Ancien

Pendant plusieurs décennies, la «première» Grande Loge fondée à Londres en 1717 fit la loi en Angleterre. C’est à elle que l’on doit la tripartition des grades et l’introduction de la légende d’Hiram, véritables landmarks sans laquelle il ne peut y avoir de franc-maçonnerie. Ses rituels ne sont connus que par des divulgations, dont la plus essentielle reste le «Masonry dissected» de Samuel Prichard (1730). Lorsque la maçonnerie fut introduite en France, les premiers adeptes de ce qui devait devenir la Grande Loge de France en adoptèrent tout naturellement les usages avant de les adapter et de les développer selon leur sensibilité propre. Il en gardèrent l’essentiel, qui reste aujourd’hui la base même du Rite Français :

  • Les deux surveillants sont placés à l’ouest de la loge
  • Le ternaire Soleil-Lune-Vénérable sont les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie, représentées par les trois chandeliers d’angle placés autour du tableu de la loge.
  • La loge est supportée par trois colonnes (Sagesse-Force-Beauté)
  • Les « mots » J … et B… sont ceux respectivement des 1er et 2ème grades
  • Au 3ème grade, « l’ancien mot de maître », Jéhovah, n’est pas « perdu » mais seulement remplacé par un mot de circonstance, M… B… La clef du grade est l’expérience mystique que connaît le néophyte lorsqu’il est couché dans la tombe qui porte le nom du Très-Haut.

En 1751 fut instituée, à Londres toujours, la « Très Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons Francs et Accepté », dont les membres étaient pour la plupart d’origine irlandaise. Cette innovation vint rompre la belle unité britannique, d’autant que les Grandes Loges d’Irlande et d’Ecosse la reconnurent bientôt la jeune obédience comme seule régulière, car seule fidèle aux «anciens usages». De fait, leur bouillant Grand Secrétaire, Laurence Dermott, n’eut de cesse qu’il n’ait dénoncé les «déviations» de la première Grande Loge, leur reprochant pêle-mêle d’avoir simplifié et déchristianisé les rituels, omis les prières, inversé les mots sacrés des premier et deuxième grades, abandonné la cérémonie «secrète» d’installation d’un vénérable et, surtout, rejeté le grade de Royal Arch. Sans trop de vergogne, il qualifia de «Modern» les tenants de la plus ancienne Grande Loge, ce qui permit de nommer «Antient», ou Ancienne, sa toute récente obédience.

En 1760, une autre divulgation, les «Three Distinct Knocks… », révéla la teneur des rituels «anciens dont les différences essentielles Les particularités décrites ici furent adoptées par la Grand Loge Unie d’Angleterre après la fusion des deux Grandes Loges rivales, en 1813. C’est ce qui explique que toutes se retrouvent aujourd’hui dans ce qu’il est convenu d’appeler, à tort, le « Rite Emulation ». avec le Rite moderne méritent d’être soulignées :

  • Le premier et le second surveillants ont chacun en main une colonne de 20 pouces, qui représentent les deux colonnes du Temple de Salomon.
  • Le second surveillant est placé au milieu de la colonne du midi, tandis que le premier surveillant se tient à l’ouest (ils sont en fait postés devant les portes du temple.
  • Ils sont assistés par deux diacres, fonction d’origine irlandaise, l’un situé à la droite du vénérable, l’autre à la droite du premier surveillant.
  • Les chandeliers, toujours associés au ternaire soleil-lune-maître de la loge mais dénommés « petites lumières « (lesser Lights ), sont placés à la droite du vénérable et des surveillants.
  • La bible, l’équerre et le compas, placés sur l’autel devant le vénérable, sont appelés « Grandes Lumières de (ou plutôt « dans ») la Maçonnerie » .
  • Les mots sacrés sont B… au 1er grade et J… au 2ème.
  • L’ancien mot de maître est perdu par la mort d’Hiram car il faut être trois pour le prononcer (c’est la fameuse «règle de trois» déjà évoquée dans les premiers catéchismes britanniques). Salomon et le roi de Tyr ne peuvent donc plus le communiquer aux nouveaux maîtres qui doivent se contenter d’un mot de substitution.

La France, à l’époque, ne connut rien de ces développements et continua, comme par le passé, à ne pratiquer que le Rite moderne, embelli, augmenté, enrichi certes, mais fondamentalement identique à lui-même. L’écossisme que prônait Abraham n’était finalement rien d’autre, pour les grades bleus, qu’un avatar du Rite moderne de Prichard.

Rite moderne Rite ancien
Disposition des colonnes J au nord-ouest, B au sud-ouest B au sud-ouest, J au nord-ouest
Mots sacrés J au 1er grade, B au 2ème grade B au 1er grade, J au 2ème grade
Disposition des surveillants Tous deux à l’ouest, le 1er au sud, le 2ème au nord Le 1er à l’ouest, le 2ème au sud
Diacres Non Oui
Grandes Lumières Soleil, lune, maître de la loge Bible, équerre, compas
« Ancien » mot du maître Substitué mais connu Substitué car perdu (règle de trois)

Fig. 1: Comparaison des rites moderne et ancien

1.3 L’anathème du Grand-Orient

Abraham ne manquait pas de partisans. Outre sa loge, les Elèves de Minerve Installée à Paris le 9 février 1802 (Kloss, 1844 : entrée 4459). , et celle de La Parfaite Union La Parfaite Union, formée en 1755, affiliée au GODF en 1777, reçoit en 1783-1784 des constitutions de la Mère Loge du Rite Ecossais Philosophique. En sommeil de 1792 à 1800, elle connaît une période de prospérité remarquable de 1800 à 1810. Mise en sommeil pour raisons politiques, elle reprend vie en 1816 Rayée des listes du GODF en 1833, elle est réintégrée en 1833. Infiltrée par des éléments républicains, elle sera fermée en 1851 par arrêté préfectoral car « ses réunions peuvent devenir cause de danger pour l’ordre et la tranquillité publique » (Roland Allender, in la revue du Nord, tome LXXII, 1990). de Douai, il pouvait compter sur l’appui de la Mère-Loge Ecossaise de Marseille Fondée, dit la légende, en 1751 par un Ecossais jacobite, Georges de Walnon, cette loge prit le titre distinctif de Mère-Loge en 1762. En 1801, elle se déclara Mère-Loge Ecossaise de France et ne disparut qu’en 1812 (Mazet, 1980). qui n’avait jamais reconnu l’autorité du GODF, du chapitre provincial d’Hérédom de Kilwinning, fondé à Rouen en 1786, et de quelques loges, telle La Réunion des Etrangers à Paris, fondée en 1784 par un maçon danois. Le mouvement prit suffisamment d’ampleur pour que le GODF décide, le 12 novembre 1802, de formuler un arrêté déclarant irrégulières les loges professant des Rites étrangers à ceux reconnus par lui et défendant aux loges de sa juridiction de leur donner asile et de communiquer avec elles sous peine d’être rayées de ses tableaux Jouaust, 1865 : 260. . Cet arrêté appela la protestation de la Parfaite Union de Douai (18 décembre 1802) et celle (21 février 1803) de la Réunion des Etrangers qui se déclara choquée d’avoir été taxée d’irrégularité «sur sa persévérance à conserver le titre de Loge Ecossaise».

Elle l’avait pris dès 1788 et repris lors de son réveil…. Les principaux officiers du GO y étaient accueillis avec tous les honneurs consacrés par l’usage, et jamais ils n’ont témoigné la moindre peine de voir le Vivat de leurs remercîments couvert par le Houzay Ecossais. La Rø Lø, persuadée que l’humeur ou le caprice de quelques officiers du Gø Oø ne peut changer la nature et l’essence des choses ; que l’Ecossisme est le seul Rit qui ait conservé dans toute leur pureté les principes et les Statuts qui nous ont été transmis de la Montagne Sainte qui est indubitablement le berceau de notre Ordre ; que les autres Rits n’en sont que des déviations plus ou moins éloignées… a pris le parti qui lui convenoit, et qu’elle a dû prendre, celui de se procurer le droit incontestable de rester Lø Ecossaise » (Gout, 1985 : 31) Cette réplique valut à la Réunion des Etrangers d’être radiée par le GODF, le 10 juin 1803 (Kloss, 1744 : entrée 4481). .

Mais cela ne nous apprend pas en quoi cette maçonnerie «Ecossaise» différait de celle du Grand-Orient. Il ne suffit pas de fulminer une anathème. Encore faut-il qu’il repose sur des faits précis. Force est de constater que nous restons sur notre faim car aucun des protagonistes de l’époque n’apporte d’éléments substantiels au débat. Constater que le Houzay remplaçait dans les loges Ecossaises le Vivat français peut paraître insuffisant et l’évocation de la montagne (imaginaire) d’Hérédom, «berceau indubitable de l’Ordre», ne peut raisonnablement être considéré comme un véritable casus belli. En-dehors de toutes considérations proprement rituelles, les différences essentielles résidaient dans le refus d’utiliser les rituels rédigés par le GODF et dans les prérogatives accordées aux détenteurs des hauts-grades Ecossais. L’usage ne datait pas d’hier et les «Règlements généraux» établis en 1743 «pour servir de règle à toutes les loges du royaume» évoquaient déjà, pour les réfuter d’ailleurs, les prétentions et prérogatives des Maîtres Ecossais. L’usage s’en était cependant largement répandu. Ce qui permit à Gout d’écrire :

Une loge Ecossaise, c’était en effet une loge bleue restée fidèle aux rituels des degrés symboliques antérieurs à l’instauration du Rite Français, une loge au sein de laquelle les Frères revêtus des hauts-grades recevaient des honneurs particuliers ; et qui, en général, croyaient observer les usages de l’ancienne maçonnerie d’Ecosse E. Gout, 1985 : 32. Cette affirmation permet de qualifier d’ « écossais » les rituels de toute loge pratiquant des hauts-grades. Ainsi certains qualifient-ils d’écossais les rituels (1763) de la Vraie et Parfaite Harmonie de Mons dédiés au marquis de Gages, conclusion pour le moins arbitraire. .

On pourrait ajouter à cette description la conviction, déjà affirmée dans le discours du chevalier Ramsay (1686-1743) et reprise par la plupart des systèmes de hauts-grades continentaux Notamment la Stricte Observance allemande, le Rite Suédois d’Eckleff et celui, allemand, de Zinnendorf. , que l’origine de la Franc-maçonnerie devait se chercher au temps des croisades et non chez les opératifs des siècles passés.

1.4 Le Rite Ecossais Philosophique

Les adversaires du Rite Français ne constituaient pas un corps homogène et rien ne permet d’affirmer que leurs loges pratiquaient un rituel uniforme. Il suffit d’ailleurs de constater que certains des composants de cette mouvance, l’Ordre d’Heredom de Kilwinning notamment, étaient eux-mêmes des organismes de hauts-grades, sans rituel bleu défini. Le Rite Ecossais Philosophique (REP), pratiqué par certains Il y avait 3 loges du REP en 1804. Elles seront 34 en 1811 et 42 en 1813 (Christian Charley, Tradition Ecossaise n° 1, 2000). , était probablement ce qui ressemblait le plus à un Rite aux contours reconnaissables Je laisse de côté le Rite Ecossais Rectifié qui était pratiquement en sommeil cette époque. .

D’origine avignonnaise, voire marseillaise, apparu vers 1774, ce Rite était celui de la loge parisienne de Saint Jean du Contrat Social créée en 1770 et travaillant selon les rituels d’Avignon depuis 1776 R. Désaguliers, 1983, 54-55 : 94-95. . Elle avait, en 1781, négocié avec le GODF un concordat qui lui accordait le droit de créer des ateliers supérieurs de son Rite en France et des loges bleues à l’étranger P. Chevallier, 1974, I : 185-194. . Bien que la loge soit tombée en sommeil durant la révolution, son Rite s’était maintenu dans quelques loges de France et notamment dans la Parfaite Union de Douai qui le pratiquait depuis 1784.

Les rituels du REP sont connus. La bibliothèque du Suprême Conseil pour la Belgique Le Rite Ecossais Philosophique fut pratiqué en Belgique pendant l’occupation française. en conserve plusieurs exemplaires, identiques à ceux publiés il y a 20 ans par R.Désaguliers R. Désaguliers, 1983, 54-55 : 88-101. , provenant de la loge d’Avignon, Saint Jean de la Vertu persécutée.

Leur lecture montre que ces rituels ne différaient guère de ceux en usage dans les loges françaises du temps. Les « instructions » d’Avignon et du Régulateur ne diffèrent que par la présentation et l’ordre des questions-réponses (voir annexe n° 1)

J’en reprendrai les éléments principaux

  • Les officiers sont disposés selon l’usage « moderne » : le vénérable à l’Orient, le 1er surveillant au Sud-Ouest devant la colonne B, le 2ème surveillant au Nord-Ouest devant la colonne J.
  • Les mots sacrés sont « J… » au 1er grade, « B… » au 2ème grade et « M… » Le mot en M est celui des « Moderns », comme dans toutes les loges françaises du temps. au 3ème grade. L’inversion des mots décidée par la Grande Loge des Modernes On sait que c’était un des reproches que leur faisaient les « Antients » et leur bouillant Grand Secrétaire, Laurence Dermott. Cette autre Grande Loge, fondée en 1751, avait pour mots, B au 1er grade, et J au 2ème. en 1730 (ou 1739) était respectée, comme elle le sera dans toutes les loges françaises au XVIII° siècle, y compris dans les loges « écossaises ».
  • Les trois grandes lumières sont le soleil, la lune et le maître de la loge.
  • Les mots de passe, communiqués pendant la cérémonie, sont « Tub… » au 1er grade, « Schi … » au 2ème grades et « Gib… » au 3ème grade.
  • Les voyages du candidat au 1er grade sont marqués par les purifications par l’eau et le feu Il est vraisemblable que ces purifications furent une innovation du Rite Ecossais Philosophique, adoptée ensuite par le GODF, puisqu’elles manquent dans les divulgations françaises des années 1745-1755, comme dans les rituels du marquis de Gages de 1767. .
  • La lettre G, dévoilée au 2ème grade, signifie « Gloire à Dieu, Grandeur au Vénø et Géométrie à tous les Maçons ». Elle désigne le Grand Architecte de l’Univers.
  • Point essentiel, la version de la légende d’Hiram est celle qui était en usage en France depuis l’introduction du grade de maître : l’ancien Mot de Maître, Jehova, n’est pas perdu lors de la disparition de l’architecte. Il est seulement remplacé par un mot de substitution M…B … Ceci est un élément fondamental car le Rite des « Anciens » affirmait au contraire que seuls trois le connaissaient. La mort d’Hiram empêchait qu’il fût encore communiqué et le choix d’un mot de substitution devenait ainsi bien plus qu’une marque de prudence.

Si Rite Ecossais et Rite Français étaient foncièrement identiques, il nous faut cependant souligner une différence conséquente : la disposition des grands chandeliers autour du tapis de la loge, décrite par les « Réglements généraux de la Respectable mère Loge Saint Jean d’Ecosse de la Vertu persécutée, à l’Orient d’Avignon », datés de 1774, cités par René Désaguliers dans son article essentiel de 1983.

V

Au milieu du Temple et sur le pavé, séra tracé avec de la craïe, le tableau connu de tout Maçon. Il y aura trois grands chandelliers portant chacun un flambeau : placés, l’un au coin du tableau, entre l’Orient et le midi ; les deux autres à l’Occident, l’un entre le midi & l’Oüest, l’autre entre l’Oüest & le Nord. R. Désaguliers, 1983, 54-55 : 96. Reproduits dans les « Règlements Généraux de la maçonnerie Ecossaise », imprimés à Paris par l’imprimerie de Nozou, rue de Cléry, n°9, 1812. (Exemplaire conservé au musée de l’armée, Bruxelles).

Or cette disposition, SE-SO-NO, qui nous paraît familière puisque c’est celle du Rite Moderne Belge, n’était pas celle des premières loges françaises. Les « tableaux » illustrant les premières divulgations Catéchisme des Francs-maçons, 1744, fig 2 et 3 ; L’Ordre des Francs-Maçons trahi et le Secret des Mopses révélé, 1745 ; La désolation des entrepreneurs modernes, 1745 ; le Maçon démasqué, 1745, pour ne citer qu’eux. et les gravures célèbres de Lebas montrent invariablement les chandeliers aux angles NE-SE-SO. Dans la confession de John Coustos aux inquisiteurs portugais, en 1743, nous lisons que le vénérable maître, siégeant à l’Est, était flanqué de deux bougies tandis qu’une troisième brillait à l’Ouest auprès de deux surveillants S.Vatcher, (1968) : 9-67. , disposition confirmée par les divulgations françaises, à condition de bien les lire :

Dans les Loges regulieres & bien achalandées, ces Chandeliers hauts comme des Chandeliers d’Autel, sont communement de forme triangulaire Les illustrations du « Régulateur » montrent des chandeliers de forme triangulaire. & decorés des attributs de la Maçonnerie. Les quatre points Cardinaux marqués sur le Dessein reglent la place des trois Cierges, du Grand Maître Nous dirions le Vénérable Maître. & des deux surveillants. On met une de ces lumieres à l’Orient, l’autre au Midi, & la troisieme à l’Occident. Le Grand-Maître se place à l’Orient, entre la lumiere d’Orient & celle du Midi Nouveau catéchisme des Francs-Maçons…, M.CCCC.XL depuis la déluge, p.43. Ecrit anonyme sans doute de Louis Travenol. Fesch le date de 1740, ce qui est impossible (lire 1749). Les mots soulignés par moi démontrent que la lumière d’Orient est au NE, celle du Midi au SE. La légende accopagnant le tableau du 3° grade confirme cette interprétation. .

Les loges du GODF avaient conservé cette disposition comme le montrent les illustrations du « Régulateur du Maçon » (1801) : la loge d’apprenti y est éclairée par trois bougies portées par trois grands chandeliers triangulaires placé aux angles N.E., S.E. et S.O. Il s’agit là d’un autre exemple de la fidélité du « Rite Français » aux traditions de la Grande Loge anglaise dite des Modernes puisque cette disposition était celle des « nouvelles loges selon les instructions de Désaguliers » In «Dialogue between Simon and Philip », D.Knoop, G.P. Jones, D.Hamer, 1943, rééd. 1963 : 181. , selon un texte fondamental anglais du début du siècle précédent. Les loges françaises suivaient ainsi la coutume de la maçonnerie dite plus tard « moderne », celle de la Grande Loge de 1717.

La signification de ces lumières était donnée par Prichard qui, dans son « Masonry dissected » de 1730, écrivait :

Q. Have you any Lights in your Lodge ? A. Yes, Three.
Q. What do they represent ? A. Sun, Moon and Master-Mason.
N.B. These Lights are three large Candles placed on high Candlesticks (my italics).
Q. Why so ? A. Sun to rule the Day, Moon the Night, and Master-Mason his Lodge Ibidem 1963 : 163. .

Les rituels français avaient fait un pas de plus en les dénommant « Grandes Lumières »

Que vîtes-vous lorsque vous fûtes reçu maçon ?
Trois Grandes Lumières disposées en équerre, l’une à l’Orient, l’autre à l’Occident et la troisième au Midi.
Que signifient ces trois Grandes Lumières ?
Le soleil, la lune et le maître de la loge Le Recueil précieux de la maçonnerie Adonhiramite, 1786 : 23. .

Si la loge anglaise était éclairée par trois lumières, elle était supportée par trois « piliers », Sagesse, Force et Beauté, représentées par le vénérable maître et les deux surveillants. Les deux Grandes Loges « Moderne » et « Ancienne » étaient, pour une fois, d’accord sur ce point. Les divulgations des années 1760 ({The Three distinct Knocks Or the Door of the most Antient Free-Masonry} […]) et de 1762 ( Jachin and Boaz or an authentic key to the door of Free-Masonry [….]) rapportaient le même dialogue :

Mas. What supports your Lodge ?
Ans. Three great Pillars.
Mas. What are their Names ?
Ans. Wisdom, Strength and Beauty.
Mas. Who doth the Pillar of Wisdom represent ?
Ans. The Master in the East.
Mas. Who doth the Pillar of Strength represent ?
Ans. The Senior Warden [in the West].
Mas. Who doth the Pillar of Beauty represent ?
Ans. The Junior Warden [in the South] Je mets entre crochets les mots « in the West » et « in the South » car ils dénotent l’usage tardif et typiquement « antient » qui avait ainsi déplacé les surveillants. Les « Moderns » les situaient tous deux à l’Occident, comme c’est toujours l’usage sur le continent dans les Rites d’ascendance « Moderne »., .

Les premières divulgations françaises allaient plus loin et affirmaient l’assimilation de ces « piliers » aux colonnes J et B du temple de Salomon (« pillar » se traduit indifféremment par colonne ou pilier, alors qu’en français, colonne désigne un support de forme circulaire, pilier désignant un support de forme quelconque). Lorsqu’il décrit le tableau de la loge, le « Nouveau Catéchisme des Francs-Maçons» (p.41) est très explicite :

Au dessous [de la fenêtre d’Orient], où ils supposent Notons le « Supposent » : cette troisième colonne est imaginaire. un troisième Pilier, Beauté. Sur l’une des deux Colomnes réelles, Force & un grand J. qui veut dire JaKhin, & sur l’autre Sagesse & un grand B. qui veut dire Booz, & dans le centre de l’Etoile Flamboyante paroit un grand G.

tableau de Loge - 1749

Légende : tableau de la loge d’apprenti-compagnon du « Nouveau catéchisme des Francs-Maçons » de 1749. Remarquons l’emplacement des flambeaux-lumières marque par des macarons

Oublions la disposition variable, et parfois fantaisiste, de Sagesse, Force et Beauté. L’important est l’assimilation des « supports » de la loge aux deux colonnes J et B du temple de Salomon et leur association très forte aux deux surveillants. Le rituel de compagnon (1767) de la loge du marquis de Gages, La Vraie et Parfaite Harmonie à l’orient de Mons ne disait rien d’autre :

La colonne des apprentis porte les lettres J-F pour Jakin et Force ; la colonne des compagnons les lettres B-B pour Boaz et Beauté.

D’où le schéma suivant :

logefrancaise

Fig. 2: Disposition de la loge française

En résumé, la loge française

  • est supportée par trois colonnes, Sagesse-Force-Beauté, dont deux ne sont autres que les colonnes, J et B, du temple de Salomon, auxquelles sont associées les Surveillants, la troisième, imaginaire, l’étant au Maître de la loge ;
  • elle est éclairée par trois lumières disposées en équerre aux angles de la loge : le soleil, la lune et le Maître de la loge.

Le déplacement des lumières dans la loge avignonnaise Cette disposition nouvelle sera adoptée par Willermoz dès sa première version des rituels du Rite Ecossais Rectifié (1778). modifiait radicalement la géographie de la loge et les associations symboliques qu’elle recelait. En effet, l’article suivant des Règlements généraux stipulait

VI

Toute assemblée de Maçons séra appellée Loge et séra présidée par un frere qu’on nommera Vénérable, et par deux autres freres qu’on appellera Surveillants qui représentent les Trois Lumieres ou les Trois Colonnes de la Loge, laquelle aura encore pour Officiers un Orateur, un Secrétaire, un trésorier, un garde des Timbres et Sceaux, deux Maîtres des Cérémonies, un Maître Ordonnateur des Banquets et deux Infirmiers et Aumoniers In Désaguliers, 1983 : 96.. L’auteur ajoute que ces articles se retrouvent inchangés dans les « Règlements Généraux de la Mère Loge Ecossaise du Contrat Social », datés de 1780, ainsi que dans les « Règlements Généraux de la Maçonnerie Ecossaise » imprimés par la mère Loge Ecossaise de Saint Alexandre d’Ecosse en 1805. ces Règlements furent réédités par l’imprimerie de Nouzou, à Paris, en 1812. (souligné par moi).

Alors que les colonnes et les lumières constituent deux ternaires distincts dans la loge Française, ils sont ici fondus en un ensemble unique réunissant les trois officiers principaux, les chandeliers et les supports de la loge, ensemble illustré par la disposition nouvelle des chandeliers d’angle. Tout naturellement, les colonnes J et B en perdront leur fonction de support de la loge.

L’instruction du grade d’apprenti du Rite Ecossais Philosophique contient en germe l’annonce de cette fusion :

D : Qu’avez-vous vu quand on vous a donné la Lumière ?
R : Trois grandes lumières ; le Soleil, la Lune & le Vénø
D : N’avez-vous point vu d’autres Lumières ?
R : Trois grands flambeaux qui représentent le Vénø et les Survø

Ceci permit à R. Désaguliers d’écrire en 1983 :

C’est à mon sens, cette disposition des chandeliers-colonnes autour du tapis-carré long et leur association étroite avec le Vénérable et les deux Surveillants qui fonda le « Rite Ecossais » pour les trois premiers grades R. Désaguliers, 1983 : 97. Ecrivant sous le nom de René G., cet auteur avait déjà développé cette analyse en 1963 (Les trois colonnes Sagesse-Force-Beauté et les Trois grands Chandeliers). .

Concluons rapidement :

Dans une loge Ecossaise,

  • le Vénérable Maître et les deux Surveillants sont à la fois lumières (les grands chandeliers) et colonnes (Sagesse-Force-Beauté, supports de la loge),
  • les trois grands chandeliers, par un glissement sémantique bien compréhensible, deviennent donc aussi les trois piliers-supports de la loge,
  • les deux colonnes J et B perdent leur signification originelle pour n’être plus que les colonnes des apprentis et des compagnons,
  • le ternaire traditionnel, Soleil-Lune-Vénérable Maître, est maintenu mais son association aux chandeliers a disparu.

logeecossaise

Fig. 3: Disposition de la loge Ecossaise

Le tout peut être résumé par une grille assez simple :

Rite Français Rite Ecossais
Disposition des colonnes J au NO, B au SO J au NO, B au SO
Disposition des surveillants J au NO, B au SO J au NO, B au SO
Disposition des lumières (flambeaux d’angle) NE, SE, SO SE, SO, NO
Acclamation Vivat, Vivat, Vivat Houzey, Houzey, Houzey
Grandes lumières Soleil, lune, maître de la loge Soleil , lune, maître de la loge

Fig. 4: Comparaison des rites Français et Ecossais

La seule différence significative est la fusion, au Rite Ecossais, des colonnes et des lumières, fusion induite par leur déplacement aux mêmes angles que les colonnes.

Rien dans tout cela ne justifie la condamnation d’Abraham. La maçonnerie « Ecossaise » différait peut être de la maçonnerie française classique, mais pas d’une façon aussi radicale que le prétendait le chantre de l’écossisme. Toutes deux relevaient de l’influence du « Rite Moderne » introduit en France avec l’Ordre maçonnique mais adapté aux sensibilités locales. Le point de rupture ne se trouvait pas dans les rituels des grades bleus mais bien dans le désir de conférer, comme par le passé, les hauts-grades dans les loges et le refus de l’autorité « dogmatique » du Grand-Orient. Il n’est pas exagéré, me semble-t-il, d’avancer que la résistance des loges Ecossaises fut provoquée par la volonté centralisatrice du GODF et non par l’abandon d’une certaine tradition initiatique imaginaire.

Quoiqu’il en soit l’ostracisme du Grand-Orient prépara le terreau qui permit l’éclosion, en France, d’un Rite jusque là inédit, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, car, sans l’appui inconditionnel des « Ecossais » condamnés par le Grand-Orient, les protagonistes de 1804 n’auraient pu mener leur entreprise à bien.

2. L’année 1804 et le retour des « Américains »

Depuis le 19 Brumaire de l’an VIII (10 novembre 1799), le Directoire avait fait place au Consulat présidé par Bonaparte. En mars 1802 fut signée la paix d’Amiens avec l’Angleterre, bientôt suivie d’une loi d’amnistie générale (avril 1802) qui permit le retour en France des émigrés. En août de la même année, Bonaparte, nommé Premier Consul à vie, en profita pour faire ratifier la Constitution de l’an X qui lui donnait des pouvoirs accrus, première étape vers le rétablissement d’un pouvoir monarchique.

En avril 1803, l’Angleterre exigea, pour dix ans, la cession de l’île de Malte qu’elle aurait du évacuer aux termes de la paix d’Amiens, et l’évacuation par la France de la Suisse et de la Hollande. L’ultimatum fut rejeté par le gouvernement français et la guerre recommença. Elle devait durer onze ans, jusqu’à la chute de Napoléon.

En mars 1804, en représailles à un complot royaliste, Bonaparte faisait enlever dans le duché de Bade le duc d’Enghien, petit-fils du prince de Condé. Transféré à Vincennes, le duc d’Enghien fut fusillé après un simulacre de procès (mars 1804). Enfin, le 18 mai 1804, un sénatus-consulte, connu sous le nom de Constitution de l’an XII, proclamait Bonaparte Empereur des Français. Il fut sacré en la cathédrale Notre-Dame de Paris par le pape Pie VII Ou plutôt se sacra lui-même en présence du pape! le 2 décembre 1804.

C’est dans cette période riche en événements qu’apparut en France le Rite Ecossais Ancien et Accepté, ramené dans les bagages des exilés qui revenaient au pays.

Le premier fut Germain Hacquet, notaire de Saint-Domingue au solide passé maçonnique. Né à Paris en 1758, il avait appartenu aux loges Les Frères Réunis (Cap-Français), et La Réunion des coeurs franco-américains (Port-au-Prince) avant de s’affilier à L’Aménité à Philadelphie en 1797, qu’il quitta l’année suivante. Il y reçut une patente de Député Inspecteur Général du Rite de Perfection des mains de Pierre le Barbier Duplessis en 1798. De retour en France, en avril 1804, il institua les ateliers du Phenix dits Ecossais d’Héredom, une loge symbolique le 14 juin, un Conseil de Chevaliers Kadosch le 15 septembre et un Consistoire des Princes du Royal Secret les 19 et 20 du même mois. Bien accueilli par le Grand-Orient, il lui apportait le grade du Royal Secret de Morin et Francken, grade que la France n’avait jamais connu A. Doré, 1991 : 144-145, Voir aussi Baynard, 1939 : 66, et Vassal, 1827 : 17. En 1815, Hacquet devint le premier Grand Commandeur de ce qui devait devenir le Grand Collège des Rites. .

Grasse-Tilly le suivit de peu. Le Grand Inspecteur Général et Grand Commandeur du « Suprême Conseil au 33e Grade établi aux Isles Françaises d’Amérique », avait, en mars 1802, rejoint à Saint-Domingue les forces du général Leclerc, aventure malheureuse qui se termina par la déconfiture des forces françaises, décimées par la fièvre jaune. Il fut capturé, le 30 septembre 1803, par les Anglais et emmené en captivité en Jamaïque Il y reçut au 33e degré John Morales, Député Grand Inspecteur pour la Jamaïque et président du Consistoire des Princes du Royal Secret établi à Kingston en avril 1770 par Morin (in Gout, 1995, pp. 85-86). Certains documents affirment qu’il y créa dans la foulée un Suprême Conseil (in M.R.Poll, 2000, pp. 42-43). . Entre temps il s’était affilié, à Saint-Domingue, à la loge « Les sept Frères Réunis » fondée par le Grand-Orient de France et constituée « le 21° jour du 12° mois 5801 » (21 février 1802).

Libéré en 1804, de Grasse séjourna brièvement à Charleston Le 15 février de cette année, il signa comme visiteur le procès verbal de la loge « La Candeur ». avant de s’embarquer pour l’Europe. Le 4 juillet, ou peu avant, il débarquait à Bordeaux, dans cette France qu’il avait quittée depuis 15 ans et qu’il eut, n’en doutons pas, quelque peine à reconnaître.

Dès son arrivée à Paris, de Grasse entra en rapport avec la loge Saint-Alexandre d’Ecosse, héritière du Contrat Social, qui venait de reprendre ses travaux le 22 août sous la présidence de Louvain de Pescheloche Il devait mourir à Austerlitz. en relevant le titre deMère-Loge Ecossaise pour les hauts grades du Rite Ecossais d’Avignon (dit Philosophique) Elle remplaçait la mère-loge de Grasse-Tilly, « Saint-Jean du Contrat Social », disparue avec la révolution. Ce jour-là, Louvain de Pecheloche s’en prit au GODF : « Nous sommes toujours les mêmes mais le GO a changé : ces travaux auxquels il a si souvent applaudi, il ne veut plus les reconnaître réguliers pour la fausse acceptation qu’il donne au mot Ecossais. Il rejette de son sein les LL. Ecoø quoiqu’il continue à correspondre avec les GGø OOø étrangers d’où émanent nos constitutions primitives » in Gout, 1985 : 32. . Les événements qui suivirent sont résumés, de façon un tant soit peu lapidaire mais exacte en tous points, par une déclaration de Grasse-Tilly, consignée dans le Livre d’or du S.C. (d’Amérique) Il s’agit du SC « des Isles d’Amérique », fondé, on l’a vu, à Charleston en 1802 et réveillé a Paris en 1810 par son Lieutenant Grand Commandeur, Delahogue (de Grasse était, une fois de plus, prisonnier des Anglais). (18 août 1818) :

En 1804, lors de notre arrivée en France, les Loges Ecossaises étaient frappées d’anathème par le GøOø Nous communiquâmes, à Paris, les hauts grades de l’Ecossisme à plusieurs Maçons aussi zélés que recommandables ; nous établîmes un suprême Conseil du 33e degré pour la France. Ce Conseil, réuni à celui du 33e degré pour l’Amérique, fit, le 5 décembre 1804 avec le GrøOrø, un concordat qui parut si avantageux à la Maçonnerie, que ce dernier fit frapper des médailles pour perpétuer le souvenir de son existence In Extrait du livre d’or du Suprême Conseil. 18 août 1818 : 1-2. Cité par Gout, 1985, p.17. .

C’est de là que date l’introduction en France du Rite Ecossais Ancien et Accepté, avec ses 33 grades organisés aux Etats-Unis en un échelle inédite qu’ignoraient les « Ecossais » de France, notamment les défenseurs du Rite Ecossais Philosophique.

Outre de Grasse, plusieurs membres du Suprême Conseil d’Amérique se trouvaient à Paris, notamment Caignet, Antoine et Toutain, tous revêtus du 33e degré Delahogue, beau-père de Grasse-Tilly, ne regagna la France qu’à la fin de l’année 1804, après un séjour de plusieurs mois à la Nouvelle-Orlénas.. . Avec eux, de Grasse entreprit de compléter son Suprême Conseil en exil pour atteindre les neuf membres prévus par les Grandes Constitutions de 1786 (article 5) et de former un Suprême Conseil pour la France suivant les règles fixées par ces mêmes Constitutions. Il conféra donc aux principaux officiers de Saint-Alexandre ceux des grades du Rite Ancien et Accepté que ne possédait pas le Rite Philosophique Notamment le « Prince du Royal Secret », 32e degré, et le « Grand Inspecteur Général », 33e et dernier degré du Rite. . Le 28 août, de Grasse reçut au 32e degré « du rit ancien et accepté » Joseph Louis Louvain de Pescheloche, V.M. de Saint-Alexandre, puis, au 33e degré, Jean Nicolas le Tricheux (30 septembre) et Louis Charles Bailhache (8 octobre) Le Tricheux devenait membre du SC de France, Bailhache du SC d’Amérique. (in Bernheim, 1986, 3e partie, pp. 136-137). . Entre le 18 septembre et le 28 octobre 1804, 14 frères au total furent élevés aux différents degrés du Rite, du 13e au 33e degré In Gout, 1995, pp.46-47 :

  1. Francois-Christophe Kellermann, Maréchal de l’Empire, (duc de Valmy en 1808) (sans date connue).
  2. Bernard-Germain-Etienne de la Ville, comte de Lacépède , membre de l’Institut, grand chancelier de la Légion d’Honneur, sénateur (sans date connue).
  3. Louis-Charles Bailhache, ancien officier (8 octobre 1804)
  4. Jean-Baptiste Vidal, ancien propriétaire (10 octobre).
  5. Germain Hacquet, négociant, ancien notaire à Saint-Domingue (11 octobre?).
  6. Claude-Antoine Thory, ancien agent de change, banque et finances de la ville de Paris (plus tard Chevalier) (12 octobre).
  7. Godefroid-Maurice-Marie-Joseph, prince de La Tour d’Auvergne, colonel d’infanterie (13 octobre).
  8. L’abbé Jean-Joseph Bermond d’Ales d’Anduze, ancien chanoine-comte de Vienne, vicaire général honoraire d’Arras (14 octobre).
  9. Jean-Baptiste de Timbrune de Thiembronne, comte de Valence, général de division (plus tard sénateur, comte de l’empire, pair de France) (15 octobre).
  10. Frédéric-Charles-Joseph de Haupt, ancien chevalier de Malte (16 octobre).
  11. Bernardin Renier, ex-noble vénitien (19 octobre).
  12. Joseph-Louis Louvain de Pescheloche, major (20 octobre)
  13. Jean-Pierre Mongruer de Fondeviolles, propriétaire à Saint-Domingue (24 octobre).
  14. Jean-Baptiste Pyron, ancien avocat, peu après « Secrétaire du Saint-Empire » (25 octobre).

. Six de ces promus étaient, outre de Grasse lui-même, membres du Rite Ecossais philosophique : Louvain de Pescheloche (vénérable fondateur de Saint-Alexandre), La Tour d’Auvergne (vénérable en chaire), de Haupt (orateur), Thory (1er surveillant), l’abbé d’Alès (trésorier) et Valence (Président du Souverain Chapitre Métropolitain).

Quand fut formé le Suprême Conseil de France ? Curieusement, aucun auteur ne cite de procès-verbal d’une tenue qui aurait vu l’installation officielle de cet organisme ! Thory (1757-1827) avance deux dates différentes.

En 1812, il écrit :

Le Suprême Conseil du 33e degré a été érigé à Paris, et organisé provisoirement le 22 décembre 1804. Sa constitution définitive a été décrétée et publiée le 19 janvier 1810 Thory, 1812, p.147. .

En 1815, il se ravise et écrit :

22 septembre (1804) : Fondation par M. le comte de Grasse-Tilly d’un Suprême Conseil, pour la France, de Souverains Grands-Inspecteurs généraux du 33e degré du Rite Ancien Accepté in « Acta Latomorum… », 1815, vol. I, p. 222. Cette date est acceptée par Lantoine. .

Pour A.Doré, ces dates sont une supercherie. Aucun atelier maçonnique, de quelque niveau que ce soit, n’existe sans un acte constitutif, signé par ses fondateurs et dûment archivé dans l’institution dont elle dépend. Or ce Suprême Conseil n’a laissé aucune trace de sa fondation ! « Il n’y aura pas, écrit Doré, de Suprême Conseil de France avant le 19 janvier 1811, et encore disparaîtra-t-il en 1814 avec l’Empire pour ne réapparaître que le 6 juin 1821 » A. Doré, 1991, p. 149. . Gout n’est pas de cet avis. S’il reconnaît implicitement que l’acte constitutif du Suprême Conseil manque (ne fût-ce qu’en ne le citant pas), il s’appuie sur un discours du baron de Haupt, orateur de Saint-Alexandre, qui, le 23 janvier 1805, évoquait, sans la dater la création du Suprême Conseil :

La Rø Mère Lø Ecoø s’occupait d’ouvrir sa correspondance avec les RRø LLø de son régime, quand elle fut instruite que le Tø Illø et Tø Rø Fø de Grasse-Tilly avait réuni en sa qualité de Gd Commandeur ad vitam le Supø Conseil du 33e et dernier degré » E. Gout, 1985, p. 19. .

Subtilement, Gout argue de l’article 5 des grandes Constitutions qui stipule que lorsque

trois (des neuf membres d’un SC), si le très puissant souverain (grand commandeur) ou l’illustre inspecteur (lieutenant grand commandeur) sont présents, peuvent procéder aux affaires de l’ordre et former le conseil complet

pour estimer que le Suprême Conseil fut de facto constitué dès que le quota minimum de trois Grands Inspecteurs Généraux fut atteint, c’est à dire le 10 octobre 1804, date de la réception de Vidal qui, avec de Grasse lui-même et Le Tricheux, vint compléter ce nombre Ibid. p.23 .

creascdf

Légende : page d’un registre conservé dans la bibliothèque du SCPLB. Le SCDF aurait été créé le 22 septembre 1804. Le compte-rendu en existait bel et bien, mais la veuve de Thory aurait refusé de le rendre.

Par contre, la création de la Grande Loge Générale Ecossaise, décidée le 23 octobre 1804, par un Comité général des Vénérables et Députés des loges Ecossaises, convoqué à l’initiative de Saint-Alexandre d’Ecosse, ne fait aucun doute. Ce comité général, considérant « qu’il était important que le rite écossais d’Heredom soit régulièrement et scrupuleusement conservé…, les grades du régime écossais étant les seuls connus dans les orients étrangers…qu’il était de la dignité des maçons français du rite ancien d’avoir un point central dans la capitale de l’Etat » arrêtait établir la Grande Loge Ecossaise de France et offrait la Grande Maîtrise au prince Louis Bonaparte, frère de Napoléon et connétable de l’Empire in A. Doré, 1991, p.150. . Le comité nommait dans la foulée les Grands Officiers, dont Grasse-Tilly, représentant du Grand Maître ; Kellermann, Grand Administrateur ; Valence et Lacépède, Grands Conservateurs ; Hacquet, premier Grand Surveillant… La Grande Loge Générale tint sa première assemblée le 27 octobre et, le 1er novembre, annonçait son existence au monde maçonnique français en une circulaire qui fit grand bruit Texte dans A. Lantoine, 1927, pp. 128-129. . Lors de sa troisième séance, le 10 novembre, elle créa trois chambres et nomma trente nouveaux Grands Officiers, dont Jean-Baptiste Pyron (1750-1818) et Claude Antoine Thory. A. Doré, 1991, p.152.

Si l’affaire semblait bien engagée, la volonté de Napoléon vint changer la donne. Il exigea la fusion immédiate du Grand-Orient et de la Grande Loge Générale, fusion qui fut entérinée par un traité d’union dit « concordat », signé le 3 décembre 1804 au domicile du maréchal Kellermann E. Gout, 1995, p. 54. . Le traité fut ratifié le 5 décembre par les deux obédiences et, le même jour à minuit, la Grande Loge Ecossaise fut admise dans le temple du Grand-Orient. Grasse-Tilly, représentant du Grand Maître, prêta serment entre les mains du Grand Vénérable, Roëttiers de Montaleau, et celui-ci prêta, entre les mains de Grasse-Tilly, serment d’union et d’attachement au Grand-Orient A. Doré, 1991, p.154. . Les deux Rites étaient provisoirement unis.

Le document adopté ce jour-là débute par un « acte d’union », espèce d’énoncé des motifs.

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Légende : document conservé dans la bibliothèque du SCPLB. Le texte entier est signé par Grasse-Tilly, Montaleau, Challan, Doisy, Defoissy, Pyron Thory et autres ; certifié par Pyron, Grasse-Tilly, Vidal et Thory.

La suite du texte s’intitule « De la Constitution générale de l’Ordre » In Extrait du livre d’architecture de la Rø Lø Ecossaise de Saint-Napoléon à l’Oø de Paris, 1805 : 9-62. , sans que les mots « traité d’Union » réapparaissent. Il concerne l’organisation de l’Ordre maçonnique dans son ensemble, grades symboliques et hauts-grades, et prévoit les différentes structures de direction, Grand-Orient, Grand Chapitre général, Grande Loge symbolique d’administration, Grand Conseil des vingt-sept…. Le Suprême Conseil faisait partie intégrante du Grand Chapitre général, mais obtenait une prérogative exorbitante : le droit de destituer un grand officier du Grand-Orient sur plainte de son atelier, que celui-ci soit ou non « de hauts-grades ».

Du grand conseil des députés inspecteurs-généraux du 32° degré, et du sublime conseil du 33°.

Le Grand-Orient de France possède, dans le grand chapitre général, le grand conseil du 32e degré et le sublime conseil du 33e degré.

Les attributions du 33e degré, indépendamment de celles qui appartiennent à ses fonctions, sont de s’occuper des plus hautes connaissances mystiques et d’en régler les travaux.

Il prononce sur tout ce qui tient au point d’honneur ; il peut destituer un grand officier du Grand-Orient de France, par suite des plaintes et dénonciations qu’il reçoit exclusivement de la part de celui des ateliers auquel appartient l’officier inculpé, d’après des formes maçonniques.

Le suprême conseil du 33° degré peut seul réformer ou révoquer ses décisions

Des attributions des grands chapitres métropolitains.

… Chaque classe ne pourra v conférer que les grades qui seront indiqués par le Grand-Orient de France dans son grand chapitre général, de manière que ceux de la seconde classe ne pourront être conférés que dans le chapitre qui en aura reçu les pouvoirs, et ainsi de classe en classe.

Les quatorze premiers grades seront les seuls que les Chapitres particuliers pourront conférer.

Le quinzième, jusques et y compris le dix-huitième, ne pourront être conférés que dans le grand chapitre général du Grand-Orient de France.

Le 33° degré n’appartient qu’au sublime grand conseil de ce nom, qui seul peut le conférer…

Les inspecteurs généraux du rit ancien, reconnus pour tel jusqu’à ce jour, sont membres nés du grand conseil du 32° degré in Sétier, 1832 : 60-65. Très imparfaitement cité par Jouaust, 1865 : 309-310. .

Le traité, ou concordat, ne pouvait satisfaire les Ecossais :

  • Le mot « Traité » n’apparaît que dans l’énoncé des motifs, pas dans le corps du texte.
  • Le titre « Ecossais » n’est cité qu’une fois, à l’article 5 des Dispositions Générales (« les respectables frères Lacépède, Hacquet, Godefroy de la Tour d’Auvergne, De Trogoff, Thory, Bailhache etc, …, membres de l’ancien rit écossais ancien et accepté C’est la première fois qu’apparaît l’expression « Rit écossais ancien accepté ». , sont proclamés affiliés libres de toutes les loges et de tous les chapitres de France ») or la reconnaissance de ce statut était une revendication essentielle.
  • Le pouvoir des 33° se limitait à la seule administration des deux derniers grades, 32° et 33°, les autres dépendant du Grand Chapitre général, émanation du Grand-Orient.
  • Seule la prérogative inattendue de destitution éventuelle des Grands Officiers semblait reconnaître au « Sublime Conseil » une autorité disciplinaire que rien, il faut le dire, ne justifiait.

Seule consolation, les Grands Inspecteurs Généraux La plupart recevaient un prix de consolation. Hacquet, Fondeviolles, Giraud, Pyron, Thory, Bailhache, de Trogoff devenaient Grands Officiers de deuxième classe. avaient obtenu le droit de siéger à l’Orient, mais à une place subalterne : devant les Grands Conservateurs et les Grands Administrateurs du GODF Des préséances dans le Grand-Orient de France, in Sétier, 1832 : 71 .

Ces articles ne laissaient aux 33e de Grasse-Tilly qu’une bien maigre portion. Il contenait en germe les causes du conflit qui amena, dès l’année suivante, la remise en cause du traité d’union. En attendant, de Grasse usa de ses pouvoirs pour admettre, le 29 décembre, au 33e degré deux des trois Commissaires du Gø Oø qui avaient participé à la rédaction du projet de traité, Roëttiers de Montaleau et Challan Pour une cause inconnue, le troisième commissaire, Bacon de la Chevalerie, ne fut pas admis au nombre des élus. , tandis que leurs collaborateurs immédiats étaient reçus aux 30e et 31e degrés. Enfin les Rose-Croix du Rite Français, membres du Rite lors de l’union, étaient collectivement « élevés » au dix-huitième degré du Rite Ancien Accepté. La formule du serment prêté pour l’occasion prévoyait de « respecter les décrets du Suprême Conseil » E. Gout 1985, p. 28. .

Les mois qui suivirent virent des événements singuliers que nul n’a jamais pu débrouiller avec certitude. Nous n’en retiendrons que les faits qui en relation avec notre propos.

La Grande Loge Générale Ecossais tint sa dernière séance le 5 décembre 1804, jour de la ratification du traité d’union, et, le 8 janvier 1805, elle déposait ses sceaux et archives entre les mains du GODF Pyron, 1817, p. 28. . L’accord entre les deux obédiences fit long feu, diverses manœuvres des uns et des autres le firent échouer et, le 6 septembre 1805, quatre-vingt-un 32° se réunirent chez le maréchal Kellermann et dénoncèrent le traité d’union de décembre 1804 Pyron, 1817 : 36-41. Lantoine, 1927, II : 141-143. .

Les Princø Maçø, Souverains Grands Inspecteurs Généraux, membres du trente-troisième degré en France, formés en Grand Consistoire avec les Princø Maçø, députés Inspecteurs de Rø Secø, délibérant en commun avec les Vénø des Loges Ecossø, et autres membres du même rit présens à la délibération, et convoqués extraordinairement,

Considérant que la Grande Loge Générale Ecossaise de France s’était unie au GøOø, d’après des communications qui lui avaient été faites ;

Qu’il en est résulté un Concordat entre les deux Rits ;

Que le Concordat a été accepté par les deux Rits, sanctionné dans l’assemblée générale du 5°ø Jø du 10°ø Mø 5804, et consacré par la signature et prestation de serment de chacun des membres d’être fidèle à son exécution ;

Que les membres du Rit Ecossø ont scrupuleusement observé et exécuté les différentes dispositions contenues dans ce Concordat, tandis au contraire que les membres du Rit Moderne ont aboli :

Le Conseil des vingt-sept, le Grand Conseil du trente-deux, le Souverain Conseil du trente-troisième, en substituant un Directoire des Rits auquel on concède la faculté de ne reconnaître que ceux qu’il lui conviendra d’adopter, au mépris du Concordat qui unissait au GøOø tous ceux professés sur les deux hémisphères ;

Qu’ils ont dénaturé, et même annulé la nouvelle organisation maçonnø consacrée par le Concordat sur la foi duquel le Rit écossø avait consenti à s’unir au Gø Oø ;

Qu’ils ont mis à l’écart les lois, statuts et règlemens généraux, ainsi que les formalités voulues par ces mêmes lois qui étaient une garantie pour tous les Maçø qui les observaient,

Ont décrété, à l’unanimité, le scrutin n’ayant rapporté aucune boule noire, les articles qui suivent :

Décret :

Article 1er : L’ancien Rit Ecossais n’est plus uni au GøOø Le concordat du troisième jour du dixième mois 5804 est regardé comme non avenu.

Art II : La Grande Loge générale Ecossø est rétablie. Ses travaux seront remis en activité dans le plus bref délai ; à et effet les anciens membres sont dès à présent convoqués pour reprendre provisoirement leurs fonctions.

Art III : Une commission, composée de 12 Princes Maçons, présentera dans la séance indiquée au 16 de ce mois, les articles provisoires de cette constitution et d’une nouvelle organisation. Les membres de cette commission seront les RR.FF.

Kellermann, grand Administrateur de la GLE.

Pyron, grand Orateur

Reiner, grand secrétaire

Thory, VM de Saint Alexandre

Fondeviolles, VM de la Triple Union

Girault, VM de la Réunion des Etrangers

Hacquet, VM du Phénix

Bailhache, VM de St Napoléon

Saint Eloi, VM de Sainte Joséphine

De La Flotte, VM de la Parfaite Union

Le Court Villiers, Orateur de St Napoléon

Tureau, Orateur de Sainte Joséphine.

Art IV : la loge de Saint Alexandre d’Ecosse reprendra des ce jour son titre de Mère-Loge.

Art V : La notification du présent décret sera faite dans la journée de lundi prochain au GøOø de France en la personne du Røø F øøMontaleau, par les Vénérables de la Salle, Hacquet et De La Flotte.

Art VI : il en sera fait part au FF. Ecossais de Marseille, Douai, Valenciennes, au chapitre jacobite d’Arras et au F. Mattheus de Rouen, avec invitation de nommer sur le champ un député pour concourir à la formation nouvelle des Statuts et Règlemens du Rit Ecossais en France. et à l’ organisation définitive de la Grande Loge et à toutes les Loges et Chapitres, quelque soit leur Rite soit en France ou hors de France sur les deux hémisphères.

Art VII : Néanmoins, la présente délibération ne recevra exécution définitive qu’autant que le GøOø de France n’aura pas rétabli, d’ici au 15 de ce mois exclusivement, le concordat…dans toutes les dispositions qu’il renferme, tel qu’il a été signé par les Commissaires des deux Rits, et qu’il n’aura pas annulé les différens arrêtés et délibérations par lui pris et qui sont contraires tant aux dispositions qu’aux formes et formalités prescrites par le Concordat ; à l’effet de quoi la séance est continue au seizième jour de ce mois pour donner à la présente délibération sa pleine et entière exécution, dans le cas où le Gø Oø N’aura pas obtempéré à la présente délibération…. Notons qu’aucune des loges citées ne faisaient partie de la Grande Loge de France qui s’était unie en 1799 au GODF. Il est donc faux de dire que cette Grande Loge s’était « reconstituée ».

Le 16 septembre, les mêmes décidaient que les deux Rites étaient séparés et qu’ils travailleraient séparément chacun suivant son dogme.

Que le Conseil du trente-deuxième degré des Sublø Princø de Rø Secø et le Souverain Conseil des Grands Inspecteurs-généraux trente-troisièmedegrén’ont plus leur siège dans le grand Chapitre général, ainsi qu’il avait été décrété par le Concordat.

Que les différents Rits unis au Gø Oø y seraient seulement représentés par des Commissaires de chaque Rit, formés en directoire des Rits Les Ecossais acceptaient donc la formation de ce Directoire des Rits, souvent présenté comme le casus belli qui mit le feu aux poudres ! unis, sous la condition expresse de se conformer aux instructions qui leur seraient données par leur Rit Pyron, 1817 : 40-41. .

Le 24 septembre était constitué le Grand Consistoire de France, en lieu et place de la Grande Loge Générale Ecossaise qui ne sera jamais rétablie :

Le Suprême Conseil, usant de la puissance dont il était investi par les grandes constitutions de 1786, au lieu de remettre en activité la Grande Loge Ecossø, conformément à la délibération des quatre-vingt-un Princø Maçø du six (sic) du même mois, organisa, dans la même séance du 24 septembre, un Grand Consistoire du trente-deuxième degré ; il proclama les membres appelés à le composer, et procéda de suite à leur installation.

Il arrêta en outre qu’il organiserait dans les villes principales, aussitôt que les circonstances l’exigeraient, des Conseils particuliers du trente-deuxième degré, et des Tribunaux du trente-unième … On ne s’occupa point, dans cette séance, de l’initiation aux dix-huit premiers degrés Souligné par moi. , ni de la concession des chartes capitulaires propres à ces degrés. Le mode de cette concession consentie par le Concordat, continua tacitement de subsister, sauf à s’en occuper lorsque la dignité du Rit, le maintien de la puissance suprême dont il a été investi par les constitutions de 1786, et le respect dû aux lois et statuts généraux de chaque Rit, commanderaient de ne plus laisser concéder ces degrés parties intégrantes du Rit ancien, par un Rit auquel ils sont totalement étrangers ; et, à cet égard, le GøOø ne peut représenter aucun traité entre lui et le Rit ancien, postérieur à l’arrêté de ses commissaires du 16 septembre 1805, et à ses nouveaux statuts et règlements du 17 novembre 1806 dont il sera ci-après parlé Cité par Pyron (1817 : 41) qui est loin d’être un témoin impartial !. .

3. Les premiers rituels des grades « symboliques » du REAA

Dans toute cette affaire, il ne fut pas question des rituels des grades bleus. Tout se résume à une sombre question de suprématie administrative et de préséances protocolaires. Les grands principes affirmés par Abraham et ses amis ne semblent pas avoir retenu l’attention des protagonistes du traité ou de sa rupture. La conclusion en fut un partage des compétences : au Grand-Orient la gestion des grades du 1er au 18°, au Suprême Conseil le monopole des grade supérieurs, monopole dont il ne fit d’ailleurs qu’un usage modéré puisqu’il se limita pendant de nombreuses années à ne conférer, avec parcimonie, que les 31°, 32°et 33° degrés Il fallut la Restauration pour que des loges bleues se placent sous l’autorité du Suprême Conseil d’Amérique d’abord, puis du Suprême Conseil de France lors de son réveil en 1821. .

Les loges bleues sous le premier Empire dépendaient exclusivement du Grand-Orient et le Suprême Conseil ne se mêla jamais de leur fonctionnement. Ce qui ne signifie pas qu’aucune ne travailla au REAA. L’annuaire du Grand-Orient de 1811 cite plusieurs loges, à Paris et en province, travaillant à ce Rite. Trois seulement étaient antérieures au retour en France d’Hacquet et de Grasse-Tilly (Saint-Alexandre, la Triple Unité et Marie-Louise La loge Marie-Louise n’était autre que la Réunion des Etrangers qui avait changé de nom en mars 1810, un mois avant le mariage de Napoléon et de Marie-Louise d’Autriche. ) :

Annuaire du GODF 1811

Paris. 91 loges dont 14 au REAA :

· Les Amis de la Vertu 14 mai 1805

· Le Grand Sphinx 3 novembre 1804

· Jérusalem 11 avril 1804 VM : Rouyer

· Le Lys étoilé 20 mars 1807

· Marie Louise 11 janvier 1784

(ex Réunion des Etrangers)

· Le Phénix 14 juin 1804 VM : Hacquet

· Royal-Arch 2 mars 1806

· Saint Alexandre d’Ecosse 7 juillet 1782

· Sainte Caroline 18 mai 1805 VM d’Honneur: Cambacérès

VM: le Peletier d’Aunay

· Saint Jean d’Ecosse

de la Parfaite Union 22 janvier 1805

· Saint Joseph 29 novembre 1807 VM : Duval Deprémesnil

· Sainte Joséphine 27 janvier 1805

· Saint Napoléon 10 novembre 1804 VM d’Honneur: Kellermann

(fondée par Grasse-Tilly) VM: Rampon

· La Triple Unité 27 septembre 1801 VM d’H: Fondeviolles

En province ou à l’étranger :

¨ 5 loges au REAA : Hédée (Nature et Philanthropie, 25 mars 1809), Lyon (la Bienfaisance, 24 septembre 1806), Rome (la Vertu triomphante, 5 juin 1806), Toulouse (le Faisceau, 15 décembre 1810), Valenciennes (La Parfaite Union et Saint Jean du désert Réunis, 3 juillet 1733)

¨ 8 loges travaillant aux deux Rites : Amiens (la Parfaite Sincérité, 13 décembre 1784), Amsterdam (Sainte Marie Louise d’Autriche, 25 octobre 1810 ; Saint Napoléon, 5 août 1810), Gènes (Saint Napoléon (2 décembre 1805), Le Havre (L’Aménité, 15 mai 1775), Le Saint-Esprit, près de Bayonne (la Parfaite Réunion, 12 mars 1806), Lille (la Fidélité, 21 mai 1805), Limoges (les Amis Réunis, 30 janvier 30 janvier 1805)

¨ Directoire Ecossais du 5° district (sic), fondé le 2 août 1766. Grand Maître Provincial : De Bry

Cinq loges : La Sincérité et Parfaite Union (Besançon), l’Union des Cœurs (Genève), la Réunion désirée (Gray), la Parfaite Egalité (Lons-le-Saulnier), l’Union Parfaite (Salins).

Puisque il existait sous l’Empire des loges travaillant, sous l’obédience du GODF, au REAA, il devait exister un ou plusieurs rituels propres à ce Rite.

3.1 Le rituel d’apprenti de la Triple Unité Ecossaise.

La première édition imprimée des grades bleus de REAA s’intitule « le Guide des Maçons Ecossais ou Cahiers des trois grades symboliques du Rit Ancien et Accepté ». Il porte la mention « A Edimbourg. 58ø », ce qui n’est guère concluant. Dans le corps du texte, aucune obédience n’est mentionnée et la première santé d’obligation s’adresse « à Sa Majesté et à son auguste famille ». L’omission de l’épithète « Impériale » suffit à attribuer le document à l’ère post-napoléonienne. De fait, la plupart des auteurs s’accordent à y voir un document datant de la Restauration. Est-ce à dire que les rituels dont il s’agit furent rédigés à cette époque ? Nous pouvons, sans le moindre doute, répondre par la négative.

En effet, le hasard m’a permit de découvrir, dans la bibliothèque du Suprême Conseil pour la Belgique Rue Royale, 265, 1030 Bruxelles. , un rituel manuscrit du 1er grade du Rit ancien accepté appartenant à la loge la Triple Unité Ecossaise. Il porte en couverture trois sceaux : au centre, celui de la Grande Loge Générale Ecossaise de France, un aigle rayonnant, ailes déployées, tenant en ses serres une épée et un bâton ; de part et d’autre, celui de la loge La Triple Unité Ecossaise, avec la date 5804.

tripleunite

Cette loge, quoique fondée en 1801, appartenait à la Grande Loge Générale qui n’eut, nous l’avons vu, qu’une vie éphémère, d’octobre à décembre 1804, avant de se fondre dans le Grand-Orient de France, tandis que la Triple Unité passait sous l’obédience de ce dernier. Point essentiel : elle avait, en 1805, pour vénérable le Fø Fondeviolles, « propriétaire à Saint-Domingue », qui fut l’un des premiers reçus au 33° degré par Grasse-Tilly. Ce rituel dut être copié durant cette courte période qui vit, entre autres événements remarquables, le sacre de Napoléon (2 décembre 1804) et le traité d’union du Grand-Orient et de la Grande Loge Générale Ecossaise du Rit Ancien (5 décembre 1804).

La lecture du texte permet d’être plus précis encore. La consécration du néophyte se fait « sous les auspices de la Grande (Loge) métropole d’Hérodom sous le Régime Ecossais réuni au Gø Oø de France ». Comme la Grande Loge Ecossaise s’unit au GODF le 5 décembre 1804 et disparut définitivement le 8 janvier 1805 Pyron, 1817 : 28 lorsqu’elle déposa ses archive et sceaux entre les mains du GODF, on peut raisonnablement avancer que la copie fut achevée au plus tard en décembre 1804 Le rituel lui-même pourrait être plus ancien puisque la loge fut fondée en 1801. .

La lecture de ce rituel essentiel amène une première conclusion : il est identique, à peu de choses près, au « Guide des Maçons Ecossais », ce qui résout une première question : le texte publié sous la Restauration est bien antérieur à celle-ci.

Le document est un cahier de 48 pages, d’une écriture élégante et très lisible. Intitulé : « Rit ancien accepté. Premier grade d’apprentif », il comporte l’ouverture de la loge, l’ouverture des travaux (lecture des derniers travaux, introduction et tuilage des visiteurs), la réception, l’instruction et la clôture des travaux.

3.1.1. L’ouverture de la loge.
tripleunite2

Elle est nettement plus élaborée que l’ouverture au Rite Français, de 1786 ou de 1801. On y retrouve à la fois, quoique avec quelques variantes dans les termes, les dialogues habituels aux loges françaises (en italique dans le texte) mais aussi des emprunts textuels à la divulgation anglaise de 1760, les «Three Distinct Knocks… », y compris une erreur flagrante du texte anglais reprise telle quelle dans la version française (en gras dans le texte) ! Or on sait que cette divulgation n’est autre que le rituel en usage dans les loges anglaises d’inspiration irlandaise travaillant sous l’autorité de la Grande Loge Grande Loge fondée en 1751. des « Antients ».

Three Distinct Knocks-1760 Triple Unité Ecossaise-1804
Master, to the junior Deacon

What is the chief care of a mason ?

Answer . To see that his Lodge is tyl’d.

Mas. Pray do your Duty

N.B. The junior Deacon goes and gives Three knocks at the Door; and if there is nobody nigh, the Tyler without answereth with Three Knocks: The junior Deacon tells the Master, and says :

Worshipful, the Lodge is tyl’d.

Mas. to jun. Dea. The junior Deacon’s place in the Lodge ?

Deacon : At the Back of the senior Warden, or at his Right-hand if he permits him.

Mas. Your Business ?

Deacon’s Ans. To carry Messages from the senior to the junior Warden, so that they may be dispersed round the Lodge

Mas. to sen. Dea. The senior Deacon’s Place in the Lodge ?

Sen. Deacon’s Ans. At the Back of the Master, or at his Right-hand if he permits him.
Mas. Your Business there ?

Sen.Deacon’s Ans. To carry all Messages from the Master to the senior Warden.

Mas. The junior Warden’s place in the Lodge ?

Deacon’s Ans. In the South.

Mas. to the jun. Warden. Your Business there ?

Sen. Warden’s Ans. The better to observe the Sun, at high meridian to call the Men from Work to refreshment, and to see that they come on in due Time, that the Master may have Pleasure and profit thereby.

Mas. The senior Warden’s Place in the Lodge .

Jun. Warden’s Ans. In the West.

Mas. to the sen. Warden. Your Business there ?

Sen. Warden’s Answer. As the Sun sets in the West to close the Day, so the Senior stands in the West to close the Lodge, paying the Hirelings their Wages and dismissing them from their labour.

Mas. The Master’s Place in the Lodge ?

Sen. Warden’s Ans. In the East.

Mas. His Business there ?

Sen. Warden’s Ans. As the Sun rises in the East to open the Day, so the Master stands in the East to open his Lodge to set his Men to Work…

N.B. Then the Master takes off his Hat, which he has on but at this Time…

Mas. The Lodge is open, in the Name of God and holy St. John, forbidding all cursing and swearing, whispering, and all prophane Discourse whatsoever, under no less Penalty than that what the majority shall think proper; not less than One Penny a Time, nor more than Six-pence.

N.B. Then he gives Three Knocks upon the Table with a wooden hammer, and puts on his Hat.

Le V :. M :. frappe & dit,

– Debout et à l’ordre, mes FF :.

– F :.:. 1er S :.:. Quel est le premier devoir d’un Surveillant en loge ?

– C’est de voir si la loge est couverte.

Le V :.:. M :.:. dit – Faites-vous en assurer mon F :.:.

Le F :.:. 1er S :.:. donne l’ordre au F:.:. 2ème S :.:. qui le transmet au F :.:. Couvreur, lequel après avoir regardé à l’extérieur du temple referme la porte & dit au F :.:. 2ème S :.:. qui le transmet au F :.:. 1er S :.:. que le temple est à couvert. Celuy -ci dit au V :.:. M :.:. : Le temple est couvert.

– F :.:. 2ème S :.:. quel est le second devoir d’un F :.:. S :.:. en loge ?

– C’est de voir si nous sommes tous maçons & à l’ordre.

Le V :.:. M :.:. dit : Assurez vous en mon F :.:.

Le F :.:. 1er S :.:. le répète au F:.:. 2ème S :.:., celui ci rend compte & puis le F :.:. 1er S :.:. dit au V :.:. M :.:.

– Nous sommes tous maçons & à l’ordre.

– F :. 2ème Diacre, quelle est votre place en loge ?

– A la droite du F :. 1er S :. s’il veut le permettre.

– Pourquoy mon F :. ?

– Pour porter les ordres du F :. 2ème S :. & veiller à ce que les FF :. se tiennent decemment sur les colonnes.

– Ou se tient le F :. 1er Diacre ?

– Derrière ou à la droite du V :. M :. s’il veut bien le luy permettre.

– Pourquoy F :. 1er Diacre occupés vous cette place ?

– Pour porter ses ordres au F :. 1er S :. & à tous les officiers dignitaires afin que les travaux soient plus promptement exécutés.

– Ou se tient le F :. 2ème S :. ?

– Au Sud V :. M :.

Puis s’adressant au F :. 2ème S :. Cette erreur est corrigée dans le « Guide… ». , il luy dit

– F :. 1er S :. pourquoy occupez-vous cette place ?

– Pour mieux observer le soleil à son méridien, envoyer les ouvriers du travail à la récréation, les rappeller du travail afin que le V :. M :. en retire honneur & gloire.

– Ou se tient le F :. 1er S :. ?

– A l’Ouest V :. M :. ?

Puis s’adressant au F :. 1er S :. il luy dit.

– F :. 1er S :. pourquoy occupes vous cette place ?

– Comme le Soleil se couche à l’ouest pour fermer le jour, de même le F :. 1er S :; s’y tient pour fermer la loge, payer les ouvriers & les renvoyer contens.

– F :. 1er S :. ou se tient le V:. M :. ?

– A l’est V :. M :.

– Pourquoy mon F :. ?

– Comme le Soleil se lève à l’est pour commencer sa course & ouvrir le jour, de même le V 😕 M :; s’y tient pour ouvrir la loge, la diriger dans ses travaux & l’éclairer de ses lumières.

Le V :. M :. frappe alors (trois coups) de son maillet par tems égaux ; ensuite se tournant vers le F :. 1er diacre , ils font mutuellement le signe guttural. Le V :. M :. lui donne le mot sacré en cette manière B :. O :. O :. Z :. pour ouvrir la loge d’apprentiff maçon du Rit ancien accepté dans la loge Ecossaise la triple unité.

Le F :. 1er diacre le porte au F :. 1er S :. qui l’envoye par son 2ème diacre au F :. 2ème S :. qui frappe (un coup) et dit.

– V :. M :. Tout est juste et parfait.

Le V :. M :. en se découvrant dit

– A la G :. du G :. A :. de l’U :., au nom & sous les auspices de la métropole universelle d’Herodom, sous le Régime Ecossais réuni au G :. O :. de France, la R :. L :. Ecossaise la triple unite est ouverte au grade d’apprentif ; il n’est plus permis de parler ny de passer d’une colonne à l’autre sans en avoir reçu la permission du F :. S :. de sa colonne.

– A moy mes FF :.

Tous les FF :. font le signe guttural.

L’influence du Rite « Ancien » anglo-irlandais est évidente. L’auteur de ce rituel avait incontestablement sous les yeux la divulgation anglaise de 1760 lorsqu’il rédigea cette ouverture. Aux Anglais, il emprunta la position des Surveillants, le premier à l’Ouest et le second au Sud, ainsi que les diacres, typiquement irlandais, qui n’avaient jamais existé sur le continent et que ne connaîtront jamais les loges « Modernes » de la première Grande Loge d’Angleterre Si ce n’est la loge « Antiquity » de William Preston et ces loges qu’on appela heureusement les « traditioners ». . Il s’abstint cependant de copier servilement le texte britannique : certaines phrases sont très classiques du style français ; la circulation finale du mot, du Vénérable au 2ème diacre, témoigne d’une tradition plus ancienne que l’on retrouve notamment dans le rituel de la loge montoise du marquis de Gages, daté de 1763.

Le résultat est essentiellement syncrétique, alliant usages « Antients » et tradition française.

Notons que la Bible n’est nulle part citée dans cette ouverture, pas plus que dans le texte anglais d’ailleurs. Cependant, en dernière page du cahier, elle est nommément citée :

Nota : La loge d’apprentif de la loge Ecossaise la triple unité ne doit jamais ouvrir les travaux sans que la Bible soit sur l’autel, ouverte à la deuxième epitre de Saint Jean avec le compas aussy ouvert dessus & ses deux pointes sur un equerre de quatre pouces environ. Les pointes du compas tournées entre le Sud et l’Ouest & les deux pointes de l’equerre vers l’Est.

Rappelons que le « Régulateur » ne prévoyait rien de tel : sur l’autel du vénérable était disposé le recueil des Statuts Généraux de l’ordre, recouvert de l’épée.

Rituel de La Triple Unité; remarquons qu'il est précisé que le régime est réuni au G:. O:. alors que le sceau d'en-tête est celui de la Grande Loge Générale Ecossaise
3.1.2. L’ouverture des travaux.

Distincte de l’ouverture de la loge, elle prévoyait l’introduction des visiteurs qui étaient, si nécessaire, tuilés de façon très « continentale » :

D. Tø Cø Fø Visiteur, d’où venes vous ?

De la loge de St Jean, Vø Mø

D. Qu’en apportes vous ?

Joye, santé, prospérité à tous mes FFø

N’apportés vous rien de plus ?

Le Vø Mø de la loge vous salue par 3 fois 3.

D. Qui faisait on ?

R. On elevait des temples à la vertu & on creusait des cachots aux vices.

D. Que venes vous faire ici ?

R. Vaincre mes passions, soumettre mes volontés & faire de nouveaux progrès dans la maçonnerie.

D. Que demandes vous mon Cø Fø ?

Place parmy vous.

La réception d’apprenti

Elle mêle éléments classiques de la maçonnerie française et usages anglais de Rite Ancien en un nouvel exemple de ce syncrétisme caractéristique de ce rituel hybride comme le démontre l’annexe n° 1 qui compare les péripéties de la réception au premier grade selon le rituel d’Avignon (Rite Ecossais Philosophique), le « Régulateur » (Rite Français) et le rituel de la Triple Unité (Rite Ecossais Ancien Accepté).

Si le schéma de base (préparation du candidat-introduction-voyages-obligation-lumière-consécration) est identique dans les trois rituels, ce qui ne peut surprendre puisqu’il est la base même du système, les détails varient. La préparation est identique mais les épreuves purificatoires par l’eau et le feu, présentes à Avignon et reprises par le Régulateur, se limitent au feu dans le texte de la Triple Unité. Les épreuves accessoires (coupe d’amertume, saignée, marque de la bougie et test de la bienfaisance) apparaissent à des moments différents de la cérémonie. Remarquons l’absence de toute référence alchimique dans le rituel du REAA : le sel et le soufre ne se trouvent que dans la cabinet de réflexion du Régulateur.

Fondamentale est la prière, prononcée par le vénérable après l’introduction du candidat :

Mes FFø Humilions nous devant le Souverain arbitre des mondes.. ! reconnaissons sa puissance & notre faiblesse ..! Contenons nos esprits & nos coeurs dans les bornes de l’equite, & marchant Variante dans le rituel du SCPLB discuté plus loin : « et marchons dans des voies sûres ». dans des voyes sures elevons nous jusqu’au maître « devant le Maître de l’univers » de l’univers.. il est un.. il existe « il subsiste par lui-même » par lui meme.. c’est à luy que tous les etres doivent leur existence.. il opere en tout & par tout, invisible aux yeux des mortels, il voit luy meme toutes choses.. c’est luy que j’invoque.. c’est à luy que j’adresse mes voeux & mes prieres.

Daigne, ô grand architecte « ô grø Aø de l’uø » , daigne je t’en conjure proteger les ouvriers de Paix que je vois icy « réunis ici » .. echauffe leur tete « leur zèle » , fortifie leur ame dans la lutte fatiguante « fréquente » des passions, enflamme leur coeur de l’amour des vertus, & decide leurs succes ainsy que ceux du nouvel aspirant « celui de ce nouvel aspirant » qui desire participer à nos mysteres auguste & sublimes « à nos augustes travaux. » …prete à ce candidat ton assistance & soutiens le de ton bras puissant, au milieu des epreuves qu’il va subir…

Amen.Amen. Amen.

Cette prière est suivie de la question-test, typiquement britannique et « ancienne » : « Prophane en qui mets tu ta confiance ? » et la réponse «En Dieu ».

En dépit de cet ajout étranger, la cérémonie est très proche du Rite Ecossais d’Avignon et de celui, français, du Régulateur, le seul qui prévoie la consécration par l’épée. Le Rite « ancien accepté » de la Triple Unité conserve l’essentiel de la maçonnerie continentale, le rôle du Frère Terrible qui conduit le candidat dans ses voyages En Angleterre, ce rôle était dévolu au second diacre. , le don de la lumière dans le cercle des épées alors que le candidat est debout à l’ouest de la loge, les longs développements verbeux, notamment les discours sur le vice et la vertu… Mais il en accentue le côté théâtral par l’introduction d’épisodes dramatiques inconnus outre-Manche : la projection du candidat dans la « cuve », la lumière en deux temps avec l’épisode grand-guignolesque du cadavre du parjure Dans le rituel du Rite Ecossais rectifié adopté à Lyon en 1778, la lumière était déjà donnée en deux temps, mais sans « cadavre ».

Par contre, l’influence britannique est, elle aussi, très sensible :

  • L’entrée sur la pointe de l’épée.
  • La prière Dans TDK, la prière est ouvertement chrétienne, elle est « non-confessionnelle » dans le rituel français. et la question-test
  • Les « obstacles » que rencontre le candidat lors des 3 voyages, auprès des surveillants et du vénérable
  • La prestation de serment sur la Bible surmontée de l’équerre et du compas.

Essentielle est l’adoption des « secrets » de la maçonnerie Ancienne : le mot du grade, B…, et non J… comme c’était la règle en France depuis l’introduction de l’Ordre, tradition conservée tant par le Rite Français que par les Rites Ecossais, qu’il soit « Philosophique » ou « Rectifié » ; l’absence de mot de passe qui ne fait que confirmer l’alignement du rit ancien accepté sur le Rite ancien anglo-irlandais.

3.1.4. L’instruction.

Elle surprend car elle décrit une cérémonie de réception très différente de celle qu’a effectivement subie le néophyte. Tous les éléments typiquement continentaux en sont absents. Rien là qui doive surprendre puisque cette instruction n’est autre que la traduction littérale des « Trois Coups Distincts » (annexe n°2). Le rédacteur s’est contenté de copier le texte anglais, sans se rendre compte des incohérences qu’elle introduisait dans le produit final.

A l’évidence, la juxtaposition de deux textes aussi différents ne pouvait qu’amener la confusion la plus complète, confusion bien démontrée par deux exemples :

  • Dans l’instruction du TDK, le candidat reçoit la lumière alors qu’il est agenouillé à l’est devant l’autel et la main posée sur les « trois grandes lumières dans la franc-maçonnerie » tandis que la tradition continentale est respectée dans le texte de la réception qui prévoit qu’il se tient à l’ouest du tableau et découvre le cercle des épées lorsque le bandeau lui est enlevé.
  • Les trois chandeliers d’angle, Grandes Lumières en France, Petites Lumières (lesser Lights) en Angleterre, se voient baptisées « Sublimes Lumières », le traducteur, ne pouvant se résoudre à leur assigner un rôle subalterne.
3.2. L’Art du Parfait Tuileur.

Le rituel de la Triple Unité, qui sera repris par le « Guide », frappe par son syncrétisme et le mélange, voire la juxtaposition, d’éléments britanniques et continentaux. Il n’est original que dans la mesure où il allie deux traditions en un ensemble hybride et, parfois, contradictoire. Aussi loin des rituels « Ecossais » que du Rite Français, il n’est plus ni l’un ni l’autre, sans pour cela jouer la carte anglaise de façon univoque. A-t-il satisfait les « Ecossais » rétifs ? Je n’en sais rien. Si tel fut le cas, ce ne peut être que par ses relents « Anciens » qui allaient si bien avec les récriminations du F. Abraham Abraham apparaît comme 32°, Prince du Royal Secret, dans le « tableau général » des membres du suprême Conseil, liste des membres publiée dans le livre d’or de celui-ci en 1806. .

Celui-ci, en tout cas, adopta les particularités des « Antients », comme l’avait fait la Triple Unité, lorsqu’en 1807, il publia « L’Art du Parfait Thuileur » Le manuscrit en est conservé au Fonds Kloss. (catalogue n° XXVII-407). Il porte la date du 8ème jour du mois de nizan 5567 (16 avril 1807). … « essentiellement destiné pour les atteliers qui suivent ou qui suivront le Rit Ecosais ancien accepté ». Les signes, mots et attouchements sont typiquement britanniques,(donc « Anciens ») et non ceux du Rite Ecossais philosophique. Au grade d’apprenti, le signe se fait en portant la m. d. en équerre, horizontalement à la hauteur de la g. ; le mot sacré est B. ; la batterie trois fois trois coups égaux. Au grade de compagnon, le signe se fait en portant la m. d. sur le s. g. avec le p. levé tandis que la m. g. est levée à la hauteur de l’o., p. vers l’avant ; le mot de passe est S et le mot sacré J. Au grade de maître, le signe d’ordre est de porter la m. étendue, le p. touchant le v., la p. en bas, et de retirer horizontalement la m. comme si on se fendait le v. Rappelons que le signe pénal « au ventre » n’existe pas dans la maçonnerie de style français qui ne connaît pas de pénalité propre au grade de maître. en disant « O Lord My God ». En chambre du milieu, il y a un signe particulier qui est de lever les deux m. en l’air, la p. en avant, les yeux vers le ciel, et de les porter ensuite vers la terre en descendant les deux m. ensemble sur le t., en disant ensemble « O Lord, My God » (signe toujours utilisé par l’actuel « Rite » Emulation). Le mot sacré est Mohabn et le mot de passe T.. La marche de l’apprenti se fait en trois pas en partant du pied gauche.

Remarquons qu’à cette époque, le tablier de maître était blanc doublé et bordé de bleu (et non de rouge), portant un soleil sur la bavette. Un cordon bleu moiré, portant le bijou (équerre, compas et règle) complétait le décor.

3.3. Le manuscrit du Suprême Conseil pour la Belgique.

La bibliothèque du Suprême Conseil possède un manuscrit intitulé « Cahiers des 33 grø de la Maçø Ecossø Rit ancien-accepté » que les santés d’obligation permettent de dater avec précision : la première s’adresse à Napoléon le Grand, Empereur des Français, Roi d’Italie … et à l’Impératrice Marie-Louise, son auguste épouse, ainsi qu’aux Princes et Princesses de la famille impériale. La seconde s’adresse à « Don Joseph, Roi des Espagnes et des Indes, Grand Maître de l’Ordre » Joseph Bonaparte, frère de l’empereur, était le Grand Maître nominal du GODF. et au prince archi-Chancelier, c’est à dire Cambacérès, Grand Maître adjoint du GODF, depuis 1805, et Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, depuis 1806. L’omission du roi de Rome situe le rituel entre le mariage de Napoléon (avril 1810) et la naissance de son fils (20 mars 1811)

Le premier degré est quasiment identique à celui de la Triple Unité Ecossaise, comme à celui du « Guide des maçons Ecossais » d’ailleurs. Mais ce manuscrit contient aussi les 2ème et 3ème degrés dont nous n’avons pas l’équivalent de la Triple Unité.

3.3.1. Le grade de compagnon.

L’ouverture de la loge de compagnon est très simple, marquée seulement par la circulation du mot de compagnon du vénérable au premier surveillant puis au second surveillant, par l’intermédiaire des diacres. Le candidat, « l{es cheveux épars, sur les épaules, portant une règle de la main gauche, dont un bout est appuyé sur l’épaule gauche, les bras nus, retroussés, sans habit ni gilet, la bavette du tablier haute} », est introduit par le maître des cérémonies. Il est interrogé sur les circonstances de la réception d’apprenti et non sur l’instruction traduite des TDK. A la question « Que vites-vous lorsqu’on vous découvrit les yeux ?», il répond « Tous les FFø armés de glaive dont ils me présentèrent la pointe », alors que l’instruction spécifiait qu’il découvrait, à ce moment, les trois « grandes lumières ».

Le candidat, toujours conduit par le maître des cérémonies, fait ensuite cinq voyages qui représentent les années d’apprentissage que doit accomplir tout apprenti. Il est muni d’instruments, (maillet et ciseau au premier voyage, compas et règle au deuxième, règle et pince au troisième, levier au quatrième) lors des quatre premiers voyages mais il a les mains vides pour le dernier qui signifie qu’il doit employer cette cinquième année à l’étude de la théorie.

Il monte ensuite vers le trône et découvre l’Etoile mystérieuse et « le delta resplendissant de lumière » qui lui offre « deux grandes vérités et deux sublimes idées », le nom de Dieu (le tétragramme) et la géométrie (la lettre G). Viennent ensuite l’obligation et la consécration par l’épée, avant la communication du signe, de l’attouchement, du mot sacré (J) et du mot de passe (Sch).

Cette réception ne diffère en rien de celle du Rite Français et du Régulateur. Le rituel et les explications du vénérable sont la copie conforme du document français. Seuls les « secrets » du grade sont « anciens » (mot du grade, J ; mot de passe, Sch.). Par contre, l’instruction qui suit est, une fois encore, traduite de TDK (annexe n° 4) et décrit une réception qui n’est pas celle qu’a vécue le néophyte.

Le rédacteur, se rendant sans doute compte de l’incohérence, tenta d’en corriger les éléments les plus évidents.

  • Dans TDK, le candidat effectue deux tours de la loge et rencontre les mêmes « oppositions » que lors de l’initiation. Or, selon le rituel du SCPLB, il effectue les cinq voyages prévus par le Régulateur. Le rédacteur omit donc très logiquement les questions 11, 12 et 13.
  • Le rituel ignore l’attouchement de passe, d’où l’omission de la question 20.
  • Point capital : le compagnon anglais reçoit son salaire dans la chambre du milieu, tandis que son homologue continental le reçoit à la colonne de son grade, comme l’enseignaient toutes les divulgations françaises des années 1740. Le rédacteur aligna donc les questions 23 et 24 selon la tradition continentale, non sans respecter la répartition « ancienne » des secrets. C’est à la colonne J et non à la colonne B que le compagnon est récompensé de son labeur.

Par contre, il ne modifia pas le moment de la communication du mot de passe qui était une des différences qui séparaient les Moderns des Antients : ceux-là le communiquaient à l’impétrant après son obligation, avec les autres secrets, ceux-ci le faisaient avant son introduction dans la loge. Les rituels français suivaient l’usage « Modern ». Le rédacteur ne put se résoudre à abandonner cette façon de faire : dans la cérémonie, le mot de passe est donné après la consécration mais l’instruction, contre toute logique, suit le texte de TDK.

Plus encore que le premier grade, celui de compagnon témoigne de la difficulté d’allier deux traditions parfois contradictoires.

3.3.2. Le grade de maître

Les mêmes difficultés se retrouvent au 3ème grade.

La loge est disposée comme le voulait la coutume française :


La loge doit être tendue en noir, parsemée de têtes de mort en blanc et de larmes placées par 3.5.7.

Neuf étoiles Notons le triplement des lumières d’angle, comme c’était le cas au rite Français et aux rites Ecossais, philosophique ou rectifié. placées par trois, devant chacun des trois premières lumières.les Mtresø, autant que possible, seront en noir, chapeau rabattu, un long crêpe, des gants blancs, tablier ordinaire et cordon bleu.

Le Vénø Mtreø doit avoir des pleureuses, et un long manteau noir.

Disposition de la chø du milieu.

Au milieu de la chambre, il y aura une bière couverte d’un drap mortuaire parsemé de têtes de mort, d’ossemens en sautoir, avec des larmes. On forme autour de cette bière une séparation avec des panneaux de tentures, pot représenter la chambre du milieu . A un coin de cette chø, du côté du midi, dans son occø, on place une branche d’acacia sur un petit tertre. A la tête de la bière, il y a une équerre posée à terre, au pied, un compas ouvert Rituel du SCPLB, p. 100. .

L’ouverture suit le modèle anglais et les diacres y ont la même fonction que précédemment (transmettre le mot du grade, du vénérable au deuxième surveillant). Par contre, leur rôle s’arrête là et ils n’apparaissent plus dans la cérémonie de réception. Celle-ci est particulièrement dramatique, bien dans la ligne française :

Lors d’une réception, le dernier maître reçu se place dans le cercueil. Il est couvert d’un linceul blanc jusqu’à la taille, le tablier relevé, le visage couvert d’un linge blanc teinté de sang.

Le candidat est sans souliers, les bras et les seins nus, sans métaux. Une petite équerre est attachée à son bras droit, un corde est attachée à sa ceinture. Il porte un tablier de compagnon.

La mise en scène est théâtrale, sinon mélodramatique : soupçonné du meurtre car il déclare, à tort, posséder le mot de passe, le candidat est malmené par le vénérable qui le saisit au collet et ne le lâche que lorsqu’il est convaincu de son innocence. La découverte du cadavre, accompagnée de commentaires menaçants, est suivie par un seul voyage, effectué sous la conduite du maître des cérémonies et du frère terrible qui tient le candidat par la corde. Conduit à l’occident, celui-ci gagne l’orient « en marchant sur le premier degré de l’angle droit du carré long, en formant une équerre sur le deuxième degré par deux pas, et sur le troisième par un seul », puis il prononce son obligation agenouillé sur les deux genoux, les deux pointes du compas sur chaque sein et la main sur la bible, comme dans le TDK :

Je, N …, de ma libre volonté en présence du Gø Aø de l’Uø, et cette Rø Loge dédiée à St-jean, jure et promets solennellement de ne jamais révéler les secrets des Mtre?ø Maçø du rit ancien accepté qu’à celui reconnu pour tel, d’obéir aux ordres émanant d’une loge régulière ; de garder tous les secrets de mes FFø comme les miens propres, excepté dans les cas de meurtre ou de trahison ; de ne jamais leur faire tort, ni souffrir qu’il leur en soit fait ; de les servir de tout mon pouvoir ; de ne jamais séduire leurs femmes, filles ou soeurs, promettant encre de remplir mes précédentes obligations sous peine (ici, le Tø Rø frappe un coup, saisit la main droite du récipiendaire, et lui fait faire le signe de Mtreø) d’avoir le corps ouvert en deux, une partie portée au Sud, et l’autre à l’Ouest, mes entrailles brûlées, les cendres jettées au vent, afin qu’il ne reste rien de moi. Ce dont Dieu me préserve. Ame !Amen ! Amen !

Il baise trois fois la bible et reste à genoux.

Le très respectable (titre du vénérable à ce grade) le relève en lui disant « Levez-vous, Fø J.A.K.I.N. » et lui annonce qu’il va représenter « le plus grand homme du monde maçø, notre Rø Mø Hyram, qui fut tué lors de la perfection du temple ». Le 1er surveillant se place l’ouest, armé d’une équerre ; le 2ème surveillant, au sud, armé d’une règle de vingt-quatre pouces et le très respectable à l’est, armé de son maillet.

Suit le discours historique qui rapporte la version « ancienne » de la légende d’Hiram : le complot ourdi par quinze compagnons, la rétractation de douze d’entre eux, l’obstination des trois derniers (ici nommés Jubulas, Jubulos et Jubulum), la visite d’Hiram au temple, son triple refus de donner le mot de maître, les coups portés au sud, à l’ouest puis à l’est (symboliquement par les surveillants et le très respectable), le transport du cadavre hors de Jérusalem et son inhumation, l’envoi par Salomon des douze compagnons repentis qui se divisent en quatre bandes, la découverte des assassins dans une grotte près de Jaffa (Joppa dans le texte), leur présentation à Salomon et leur exécution ultérieure (Jubulas eut la gorge tranchée, Jubulos le coeur arraché et Jubulum le corps coupé en deux parties, l’une jetée au nord et l’autre au midi), l’échec enfin de la quête des compagnons.

Jusque là, la légende suit fidèlement le récit « ancien », tel qu’il est rapporté dans TDK, y compris l’avertissement de Salomon aux douze compagnons : s’il ne pouvaient trouver la parole de maître, « elle était perdue, attendu quelle ne pouvait être donnée que par trois personnes réunies, dont Hiram faisait partie ». Dans ce cas, le premier signe et le premier mot qui seraient fait et prononcé en retrouvant et en exhumant le corps d’Hiram seraient substitués aux anciens signe et mot de maître.

La suite du récit, très curieusement, adopte la version française, classique depuis « L’Ordre des Francs-maçons trahi… » de 1745 : devant l’échec des compagnons, Salomon envoie neuf maîtres qui découvrent la tombe sur le mont Moriah et la marquent d’une branche d’acacia avant de faire rapport à Salomon. Celui-ci leur ordonne de l’exhumer et de ramener sa dépouille à Jérusalem. L’exhumation se fait de la façon habituelle mais le mot prononcé dans la position des cinq points de perfection est Moabon, le mot en M utilisé par les « Antients » anglais.

Suivent la consécration et la communication des secrets du grade, le « grand signe des maîtres » (bras levés au-dessus de la tête retombant sur le tablier avec l’exclamation, « Ah Seigneur, mon Dieu ! » ) ; le mot de passe, T.; le mot sacré, M.; l’attouchement (les cinq points de la maçonnerie), le signe pénal et l’acclamation écossaise (Houzé ! Houzé ! Houzé !).

On retrouve là encore ce curieux mélange d’éléments « anciens » et « modernes », c’est-à-dire français. Comment en effet concevoir que le mot de maître soit « perdu » si ce sont neuf maîtres, et non douze compagnons, qui relèvent le cadavre ? Or c’est bien là la caractéristique essentielle du Rite ancien : l’ancien mot du maître est bel et bien perdu puisque trois seulement le connaissent et ne peuvent le prononcer que lorsqu’ils sont réunis et d’accord. Au Rite Français, l’ancien mot n’est que remplacé par un mot de substitution, mesure de prudence qui n’empêche qu’il soit connu de tous les maîtres et gravé sur le triangle déposé sur le tombeau d’Hiram.

L’instruction qui suit n’est, une fois de plus, que la traduction littérale de TDK. Elle est donnée en annexe. Pour aider la démonstration, sont présentées la version originale de TDK, celle du manuscrit de Bruxelles, celle du Guide des Maçons Ecossais et une autre version datée de 1812, conservée à la bibliothèque du Grand-Orient des Pays-Bas (fonds Kloss, cote 123 C 45 – 56 H 45), « Lois constitutionnelles, Statuts & Reglemens généraux du Rit Ecossais ou ancien accepté ».

3.4 Le Guide des Maçons Ecossais.

Le Guide suit fidèlement Seule différence notable : lorsque le candidat reçoit la lumière au premier grade, le vénérable dit « Sic transit Gloria Mundi », comme au Rite Rectifié. les rituels que nous venons d’étudier. Il n’en est en fin de compte que la première version imprimée et sa date exacte en perd beaucoup d’importance. Rédigé sous la Restauration, comme l’attestent les santés d’obligation qui ignorent la famille impériale, il est sans doute antérieur à 1821, année qui vit l’organisation de la loge La Grande Commanderie par le Suprême Conseil de France.

Son principal intérêt est son introduction qui le pose en rival du Régulateur, affirmant ainsi la différence essentielle qui sépare Rite français et Rite écossais ancien (et) accepté :

Quoiqu’en disent les détracteurs de la Maçonnerie Ecossaise, il n’en est pas moins constant que les loges de ce rit sont généralement répandues dans tous les états de l’Europe et de l’Amérique, et que le rit d’Hérédon obtient une préférence marquée sur le rit moderne… Des correspondances sont établies, dans toutes les langues, pour que toutes les loges, quelques contrées qu’elles habitent, puissent se procurer ces cahiers ; et des mesures sont prises pour que les exemplaires ne soient confiés, pour le débit, qu’à des Maçons qui se soient acquis le plus haut degré d’estime et de considération afin que ce Guide des Maçons Ecossais n’éprouve une publicité aussi scandaleuse que celle qu’on donne journellement aux cahiers du rit Français, sous le titre de Régulateur du Maçon.

3.5. Essai de synthèse

L’essentiel est la parfaite concordance de ces documents qui donnent des grades bleus du REAA une image concordante :

  • Ils mêlent éléments Anciens et Français (donc Modernes) en une construction hybride et syncrétique qui les rend, tels quels, injouables sans modifications significatives.
  • Les ouvertures et les fermetures suivent le rituel ancien, alors que les cérémonies de réception sont fondamentalement françaises, quoique mâtinées d’éléments anciens.
  • La légende d’Hiram présente un mélange des deux versions, Ancienne et Moderne, qui lui enlève beaucoup de son sens (la parole est-elle perdue ou non ?).
  • Les assassins sont retrouvés et châtiés, ce qui enlève beaucoup de leur pertinence aux grades de vengeance, dits d’Elu.
  • Les Instructions sont traduites de TDK, avec, de ci de là, des concessions aux usages français.
  • Les secrets de chaque grade sont anciens, mais les mots de passe sont communiqués après la cérémonie (usage Moderne) et non avant l’admission du candidat (usage Ancien).
  • Les acteurs devaient se rendre compte que les instructions décrivaient une autre cérémonie que celle effectivement vécue par l’impétrant, contradiction qui paraît insurmontable, à moins bien sûr que l’instruction n’ait été simplement ignorée, comme c’est le cas dans la plupart des loges actuelles !

Si, marqués par une double influence, française et britannique, ces rituels peuvent à juste titre s’intituler de Rite « ancien », ils diffèrent singulièrement des Rites « Ecossais », philosophique ou rectifié, qui fleurissaient en France au XVIII° siècle. Or, puisqu’ils se nomment bel et bien de « Rite Ecossais ancien et Accepté » et qu’ils furent adoptés par les maçons « Ecossais », il est légitime de concevoir qu’ils le méritaient d’une façon ou d’une autre et, partant, de rechercher une troisième influence.

3.6. L’apport Ecossais – les tuileurs.

L’apport Ecossais se trouve essentiellement dans la disposition de la loge telle que nous la décrivent les Tuileurs de l’époque.

Le « Thuileur des trente-trois degrés de l’Ecossisme du Rit Ancien, dit Accepté » fut publié par de L’Aulnaye (Delaunay) en 1813 et réédité en 1821 sous un nouveau titre, « Thuileur des trente-trois degrés de l’Ecossisme, ou Manuel maçonnique des divers rites pratiqués en France … Nouvelle édition, corr. et augmentée ». Il décrit brièvement la loge d’apprenti « du Rit Ancien » :

Tentures Rouges

Trois lumières, une à l’Est, deux à l’Ouest Souligné par moi.

A l’entrée de la Loge, c’est-à-dire à l’Ouest, sont les deux colonnes, J à droite, et B à gauche.

Titres.

Il y a un Vénérable, placé à l’Orient ; deux Surveillans, l’un à l’Ouest, l’autre au Sud.

Les autres officiers d’une loge ordinaire et complète sont l’Orateur, le Secrétaire, le Trésorier, deux Experts, le Garde-des-Sceaux, l’Hospitalier, le Maître des Cérémonies. Viennent ensuite un Maître des Banquets, un Porte-Etendard, un Porte-Epée, deux Diacres, l’Architecte et le Garde de Temple. En tout dix-huit.

Au grade de maître, par contre, les lumières sont :

Ordinairement trois, ou neuf, groupées par trois, à l’Est, au Sud et à l’Ouest.

Les décors sont un tablier blanc, bavette relevée pour l’apprenti et rabattue pour le compagnon ; un tablier doublé et bordé de rouge pour le maître, avec, au milieu, les lettres M.B. en rouge et un cordon bleu moiré, en écharpe, de droite à gauche.

Les secrets sont ceux du Rite ancien, les noms des colonnes B.. et J… aux 1er et 2ème grades, le mot ancien au 3ème grade, les mots de passe Sc… et Tub … aux 2ème et 3ème grades.

Bref, Delaunay retient du Rite Ecossais la disposition des lumières du grade d’apprenti et, du Rite ancien la disposition des lumières du grade de maître et les diacres. Quant au tablier rouge des maîtres, c’est une innovation qu’ignorait le Tuileur d’Abraham mais qui convient idéalement aux « Ecossais » dont le rouge est la couleur emblématique.

Le « Manuel maçonnique, ou Tuileur de tous les rites de maçonnerie pratiquée en France … par un vétéran de la maçonnerie», publié en 1820 et réédité en 1830 et 1834, complète ces informations. Son auteur, Vuillaume, était particulièrement bien placé : 33°, dès 1818, et membre du Suprême Conseil dit « d’Amérique » présidé par le comte Decazes, il participa, l’année suivante, à une tentative, d’ailleurs avortée, de réunion du GODF et de ce Suprême Conseil, le premier qui eut sous sa direction des loges des trois premiers degrés.

Dans son introduction, Vuillaume écrit :

On nomme rite ancien ou écossais, la Franc-maçonnerie telle qu’elle se pratique en Ecosse, en Angleterre, en Amérique, et dans une grande partie de l’Allemagne. Le rite écossais ancien et accepté, est celui réformé par Frédéric II, roi de Prusse, qui augmenta de huit degrés le rite écossais ancien… on désigne le rite suivi par le Grand-Orient de France et les loges sous sa dépendance, sous le titre de rite moderne ou français Edition de 1830, page 22. .

Vuillaume va plus loin qu’Abraham : Ecossais et ancien sont devenus synonymes et l’auteur se sert de cette affirmation que rien, on l’a vu, ne justifie pour prouver l’universalité du REAA . On retrouve là les prétentions habituelles des tenants de l’Ecossisme dont on sait ce qu’elles valent. Vuillaume lui-même n’en était que partiellement dupe puisqu’il écrit en note, à propos de Frédéric :

Quelques uns prétendent que cette réforme n’est pas due à Frédéric II. On n’a pas l’intention d’entrer ici dans la discussion d’un fait que le Suprême Conseil de France considère comme constant, ni exprimer une opinion particulière ; ce n’est qu’une façon de désigner l’écossisme actuel par une chose convenue au moins entre un grand nombre.

« Convenue » est, dans le contexte le mot juste ! Ceci n’enlève rien à l’intérêt du texte.

La loge d’apprenti, nous rappelle Vuillaume, est tendue de rouge.

A l’ouest, sont deux colonnes de bronze, d’ordre corinthien ; sur chaque chapiteau sont trois grenades entr’ouvertes, sur le fût de la colonne, à droite en entrant, est la lettre J, et sur celui de l’autre colonne, la lettre B.

Autour de la loge est la houpe dentelée.

Sur le pavé, au milieu de la loge, un peu vers l’est, est le tracé ou tableau de la loge.

A l’est, est un dais d’étoffe rouge avec franges en or ; au-dessus du dais, est un trône où se place le président ; devant le trône est un autel sur lequel sont posés une équerre, un compas, une bible, un glaive et un maillet. Le trône et l’autel sont élevés au-dessus du pavé, sur une estrade de trois marches.

A la droite du trône, au-dessous de l’estrade, sont la table du secrétaire, et le bureau de l’hospitalier. Vis-à-vis de ces deux tables, et là la gauche du trône, sont : le bureau de l’orateur, et ensuite celui du trésorier.

A l’ouest, en avant de la colonne B est un fauteuil pour le premier surveillant ; au sud, en remontant vers l’est, est un fauteuil pour le second surveillant Nuance donc par rapport à TDK : le 1er surveillant est au N.O. et non à l’ouest. . Chacun des surveillans a devant soi une table sur laquelle est posé un maillet.

Un peu en avant du trône est placé un petit autel triangulaire, nommé l’autel des sermens…

Suit la liste des officiers, identique à celle de Delaunay, soit dix-huit officiers dont les diacres.

Remarquons les éléments constants de la maçonnerie française : les deux colonnes de bronze à l’ouest, le dais surmontant le trône, l’orateur. Rien de cela ne se trouve dans les loges britanniques « anciennes ». C’est bien d’une loge française qu’il s’agit, qui ne diffère de celle du Régulateur que par la couleur des tentures et la position des surveillants. Si l’emplacement des trois chandeliers (des « lumières ») est omise par Vuillaume, les indications de Delaunay nous les montre aux angles NO, SO et SE.

D’où le schéma suivant :

Loge d'Apprenti au REAA

Fig. 5 : Loge d’apprenti du REAA.

 
La disposition des lumières d’angle est celle du Rite Ecossais pré-révolutionnaire. Par contre, les surveillants sont disposés selon la mode « ancienne » et la situation des colonnes correspond à la distribution des mots des deux premiers grades.

Au grade de maître, Vuillaume décrit les neuf lumières « groupées par trois », à l’est, au sud et à l’ouest. L’habillement est un tablier doublé et bordé de rouge avec, au milieu, peintes ou brodées en rouge les lettres M.B. Le cordon est bleu moiré, avec au bas une rosette rouge à laquelle est attaché le bijou.

Comme de juste, les « secrets » à chaque grades sont ceux du Rite ancien.

Qu’avaient conservé, du Rite Ecossais d’avant 1804, les tenants du nouveau système ? Bien peu de choses : la disposition des chandeliers, la couleur rouge et l’acclamation Houzzé (ou Houzay). Par contre la disposition générale de la loge tenait à la fois de la tradition française et des usages britanniques.

Si c’était dans ce décor que se déroulaient les cérémonies prévues par les rituels d’origine du REAA, la conclusion s’impose : un rituel d’inspiration hybride, alliant le goût français du spectacle à la simplicité britannique, exécuté dans un décor relevant d’une triple influence. Tel était en définitive le REAA aux grades symboliques.

3.7. Clef de lecture.

Quatre critères essentiels (moderne, ancien, français, écossais) distinguent les rites pratiqués en langue française. Les critères « géographiques » (français et écossais) s’excluent mutuellement, de même que les critères de style (moderne et ancien). Les premiers se définissent par la disposition des chandeliers autour du tapis de la loge, le second par l’ordre des mots sacrés et les places des surveillants.

En référant aux figures 1 et 4, on constate qu’un Rite peut être :

  • Français et moderne : c’est le cas du Rite Français et du Rite Suédois Je l’ai vu. .
  • Ecossais et moderne : c’est le cas du Rite Ecossais Rectifié, du Rite Ecossais Philosophique et du Rite Moderne belge .
  • Ecossais et ancien : c’est le cas du REAA, dans toutes ses versions successives.
  • Il n’y a pas de Rite Français et ancien Si ce n’est la construction très récente de René Guilly, intitulée « Rite Français rétabli » (devenu plus tard « Rite Français Traditionnel ») et pratiquée, en Belgique par certaines loges de la Grande Loge féminine. .

 

De la Stricte Observance au Rite Ecossais Rectifié.

Par Pierre Noël, CBCS

 

Le Rite Ecossais Rectifié occupe une place singulière dans la Maçonnerie contemporaine. Pratiqué en Suisse, en France et en Belgique, il est trop souvent l’objet de polémiques passionnées, certains y voyant la forme la plus pure de l’initiation maçonnique, d’autres un rejeton abâtardi, voire dévoyé, de la maçonnerie classique. La pierre de touche de ce débat est le christianisme, vrai ou supposé, qui imprégnerait ce Rite d' »ancien régime », parfois qualifié par ses détracteurs de « crypto-catholique ». Certes, l’atmosphère y est plus religieuse, sinon plus mystique, mais est-ce suffisant pour justifier l’anathème et la marginalisation? Trop souvent d’ailleurs de telles attitudes sont le fait de maçons, par ailleurs sincères, qui n’ont du Rectifié qu’une connaissance lointaine, basée plus sur des racontars que sur une expérience personnelle. Le fait est regrettable, d’autant que le Rectifié présente l’avantage inestimable d’être aisément accessible à l’analyse, les intentions de ses fondateurs nous étant connues par les innombrables documents et exégèses qu’ils ont laissés. Le caractère parfois archaïque de ses rituels peut surprendre, certes. Encore faut-il comprendre que la survivance de formes d’apparence obsolète résulte d’abord de l’ extinction quasi-complète du Rite au XIX° siècle et de sa renaissance inattendue en notre siècle. La première lui permit d’échapper aux réformes dont furent l’objet les autres Rites, Français ou Ecossais, réformes conditionnées par les luttes politiques et religieuses du temps, lesquelles donnèrent à la franc-maçonnerie un visage que n’auraient reconnu ni les pasteurs britanniques des origines ni les maçons lyonnais de 1778. La seconde nous le restitua (presque) inchangé, tel qu’il fut imaginé au confluent du Rhône et de la Saône entre 1778 et 1809. Si le Rite Rectifié paraît aujourd’hui incongru, voire scandaleux, n’est-ce   pas justement à cause de cette fidélité à une certaine image de la maçonnerie dont nos contemporains ont peine à prendre conscience?

Le travail qui suit n’a d’autre ambition qu’une présentation succincte de la chronologie et de l’évolution des rituels « symboliques » de ce Rite trop souvent décrié. Il ne s’agit pas d’une exégèse, moins encore d’un exposé systématique de sa doctrine, tâche d’une autre envergure à laquelle je me risquai autrefois (G.Verval, 1987), mais plutôt du simple débroussaillage d’un paysage passablement confus où se mêlent faits et légendes que chacun utilise à sa guise.

Tel qu’il fut conçu, le Rite Ecossais Rectifié devait comporter trois étapes successives, concentriques dirait J.F.Var, composées des grades « symboliques », de l’Ordre Intérieur chevaleresque et de la (Grande) Profession. Seules sont effectives de nos jours les deux premières. La troisième relève, faute de mieux, de l’érudition personnelle grâce à la publication des textes fondateurs du « Saint Ordre », comme ses thuriféraires aiment à appeler, à tort, la Profession. Je ne m’occuperai ici que des grades symboliques.

Ceux-ci sont au nombre de quatre : à l’apprenti, au compagnon et au maître fait suite le « maître écossais de Saint André ». Au XVIII° siècle, ces quatre grades étaient régis par un directoire écossais dont les pouvoirs furent définis à Lyon en 1778. N’y voyons là rien qui surprenne. A la même époque la Grande Loge anglaise, dite des « Anciens », exerçait son autorité sur quatre degrés, le dernier étant le « Royal Arch ». Il n’en va plus de même aujourd’hui. Les trois premiers grades rectifiés relèvent exclusivement de l’autorité des Grandes Loges tandis que le « maître écossais » est conféré dans des « loges de Saint-André » dépendant des Directoires écossais, terme qui « au symbolique » désigne les Grands Prieurés de l’Ordre bienfaisant des Chevaliers maçons de la Cité Sainte.    Cette dichotomie est condition de « régularité » au sens qu’a pris ce mot durant les premières décennies de ce siècle. Nul ne désire la remettre en cause.

I. Jean-Baptiste Willermoz et la maçonnerie lyonnaise.
1.  Introduction de la Stricte Observance à Lyon.

Ce lyonnais d’une exceptionnelle longévité (1730-1824), fabricant d’étoffes et commissionnaire en soieries, fut à l’évidence le père du Rectifié. Initié en 1750 dans une loge oubliée, il en devint vénérable en 1752 (A.Joly, 1938, p.5). Fondateur en 1756 de la « Parfaite Amitié », constituée par la Grande Loge de France, il en tint le premier maillet jusqu’en 1762. Il contribua entre temps à la fondation de la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon (1760), plus tard Mère-Loge de Lyon. Il fallait, écrivit-il plus tard, « être chevalier d’Orient pour y être admis » (in Steel-Maret, 1893, pp.147-153). Cette Grande Loge ne se voulait-elle pas chargée « à l’instar de celle de Paris…de veiller au maintien de la discipline des loges, de fixer le choix de l’uniformité des grades symboliques jusques et y compris le chevalier d’Orient »? Elle pratiquait officiellement sept grades, soit après les trois premiers ceux de maître élu, maître parfait, maître écossais et chevalier d’Orient. Là ne s’arrêtaient pas les connaissances de Willermoz qui, à l’époque, n’avait de cesse de collectionner grades, décors et rituels. Dans une lettre qu’il adressa le 2 mars 1763 à Chaillon de Jonville, substitut général du Grand Maître de la Grande Loge de France, il fit suivre sa signature des titres suivants: Maître écossais, G(rand) A(rchitecte), R(oï)al Arch, Chevalier d’Orient, d’Occident, du Soleil, de l’Aigle noir, R(ose) C(roix), G.I.G.E.ch.K. (c’est à dire Grand Inspecteur, Grand Elu, chevalier Kadosh) (reproduit en fac similé dans Renaissance Traditionnelle, 1992, 89:31) Le Kadosh lui avait été communiqué par son correspondant messin, Meunier de Précourt une année auparavant (in Steel-Maret, 1893, pp.72-78). .   Les grades supérieurs au chevalier d’Orient étaient pratiqués dans un chapitre des chevaliers de l’Aigle noir, fondé en 1763 ou 1765 et présidé par le propre frère de Willermoz, Pierre-Jacques, médecin, alchimiste, esprit curieux de tout et très en avance sur son temps (A.Joly, 1938, p.15). Ce chapitre très fermé vit peut-être la création du grade de Rose-Croix dont le succès ne devait jamais se démentir.

Au début de leur carrière, Willermoz et ses proches pratiquèrent donc cette maçonnerie qui sera appelée plus tard  de « Rite Français ». Jamais cependant elle ne put les satisfaire entièrement. Willermoz était trop intimement convaincu que la maçonnerie devait receler des connaissances « sublimes » pour se satisfaire d’un système aussi rudimentaire que décevant à ses yeux. Il chercha hors des loges classiques ces « vérités essentielles » qu’il devinait sous le couvert des allégories maçonniques héritées des spéculatifs britanniques. Il crut les trouver, en 1767, dans l’Ordre des « chevaliers Elus Coens de l’Univers » du théosophe Martinez de Pasqually. Reçu en 1768 au grade ultime de Réau-Croix, il avait créé à Lyon un « Tribunal » d’Elus Coens, réservé à ses intimes, et s’était consacré avec ferveur, quoique sans succès bien assuré, aux expériences théurgiques prescrites par le « Grand Souverain » de l’Ordre, Don Martinez. Déçu peut-être par les « Esprits Intermédiaires » qui se refusaient à lui, désemparé par le départ de son maître qui, en 1772, quitta la France pour n’y plus revenir Martinez mourut à Saint-Domingue en 1774. , Willermoz écouta d’autres sirènes sans pour autant oublier l’enseignement du disparu ( de 1774 à 1776, les élus coens lyonnais continuèrent à se réunir assidûment, ce dont témoignent leurs « conférences » éditées par A.Faivre en 1975 aux éditions du Baucens, Braine-le-Comte).

En 1772, des correspondants strasbourgeois l’informèrent de l’existence outre-Rhin d’une forme nouvelle de maçonnerie, caractérisée par sa belle ordonnance et le sérieux de ses « connaissances », la Stricte Observance, ou plus exactement « l’Ordre supérieur des chevaliers du temple sacré de Jérusalem ». Fondée en 1751 par le baron (FreiHerr) Charles-Gotthelf von Hund (1722-1776), elle enseignait que la franc-maçonnerie n’était autre que la perpétuation de l’Ordre du Temple, aboli en 1312 par le pape Clément V sur ordre du roi de France, Philippe IV « le Bel ». Dirigée par de mystérieux « Supérieurs Inconnus » dont von Hund n’était que le mandataire, elle ne visait rien moins que le rétablissement de l’Ordre défunt et la récupération de ses biens matériels. Des amis de Von Hund prétendirent plus tard qu’il avait été admis dans l’ordre à Paris en 1743 par un mystérieux chevalier « au plumet rouge » dont ils laissaient entendre qu’il était un familier de Charles-Edouard Stuart, fils du prétendant à la couronne d’Angleterre et d’Ecosse Charles-Edouard ne fut jamais initié. Une enquête entreprise à la demande du duc de Brunswick en fit la preuve en 1777. Le prince déclara à l’envoyé du duc que son père, le chevalier de Saint-Georges, lui avait refusé son consentement. (in J.F.Var, 1991, p. 31). (A.Bernheim, 1998).  Il aurait reçu une patente de Grand Maître Provincial dont il s’était servi pour introduire l’Ordre en Allemagne. Si les supérieurs inconnus étaient parfaitement imaginaires, cette patente existe bel et bien. Conservée dans les archives de la Grande Loge du Danemark, elle est rédigée en un langage chiffré dont nul jamais ne donna la clef. Tout cela, faut-il le dire, ne fut connu de Willermoz que bien plus tard, après qu’il eut depuis longtemps mesuré les faiblesses du système allemand.

En 1772 donc, Willermoz  sollicita son admission au sein de la Stricte Observance  dans une lettre adressée à von Hund en date des 14 et 18 décembre (in Steel-Maret, 1893, pp. 147-153). Celui-ci lui répondit le 18 mars 1773 et le renvoya au baron de Weiler, son émissaire chargé d’implanter l’Ordre en France. La correspondance échangée montre à l’envi le quiproquo : le lyonnais parlait de l’objet caché de la maçonnerie qui ne pouvait traiter que des questions essentielles, l’allemand n’avait en vue que la restauration de l’Ordre du Temple. Nonobstant cette incompréhension fondamentale (ou peut-être à cause d’elle), les négociations n’allèrent pas sans quelques difficultés suscitées par la méfiance des frères lyonnais de la Grande Loge des Maîtres Réguliers que Willermoz eut bien peine à amadouer (A.Joly, 1938, pp.47-50). Tout finit pourtant par s’arranger et Weiler, qui avait déjà établi à Strasbourg le directoire écossais de la V° Province Templière dite de Bourgogne (octobre 1773), put inaugurer celui de la II° Province dite d’Auvergne à Lyon le 21 juillet 1774, puis, la même année, celui de la III° Province dite d’Occitanie à Bordeaux (A.Joly, 1938, p.63).

Armés chevaliers par Weiler les 11 et 13 août, Willermoz et ses disciples avaient prêté serment d’obéissance au baron von Hund et au duc de Brunswick-Lünebourg, « Superior Magnus Ordinis » depuis que le convent de Kohlo (juin 1772)  avait reconnu l’inanité des prétentions de von Hund, ce qu’ignoraient d’ailleurs les lyonnais. En échange, ils avaient reçu leur nom d’Ordre ( Eques ab Eremo pour Willermoz) et les cahiers des rituels allemands. On devine sans peine leur déception.  Loin de leur apporter la manne attendue, ces rituels ne différaient guère de ceux que connaissaient les Français. Quant à la « survivance » templière, Willermoz connaissait depuis toujours l’inanité de cette chimère, amoureusement cultivée par d’aucuns depuis que Ramsay, en un célèbre discours, avait attribué aux chevaliers Croisés la paternité  de l’Ordre maçonnique. De ceux-ci aux templiers, il n’y avait qu’un pas que les émules du chevalier de Saint-Lazare avaient aisément franchi. Le lyonnais n’ignorait rien de cette fable enseignée dans les grades de « Commandeur du temple » ou de « Chevalier templier » pratiqués dans le chapitre de son frère (A.Joly, 1938, p.15). N’était-ce pas d’ailleurs la justification du Kadosh qu’il avait appris à connaître en 1762 et dont il se méfiait depuis lors? ( cf. la lettre de Meunier de Précourt du 29 avril 1762, in Steel-Maret, 1893, pp. 79-80). Echaudé peut-être mais sérieux comme toujours il le fut, Willermoz se mit au travail, bien décidé à faire de la capitale des Gaules le phare de la maçonnerie templière.

Un an plus tard, le convent de Brunswick (26 mai au 6 juillet 1775) ratifia la « restauration » des provinces françaises et les « Règlements généraux » de l’Ordre furent expédiés à la V° Province. Ils stipulaient que

l’Ordre Intérieur, voilé sous le titre de Directoire écossais, (était) composé de trois grades qui en font partie, et dont le dernier en est le complément. Savoir: 1° celui d’Ecossais Vert qui commence à en développer les symboles, mais par lequel l’Ordre ne s’engage point à l’avancement de celui qui y est admis et peut le laisser pendant toute sa vie…2° celui de Novice…3° le grade de Chevalier…On appelle Profès ceux qui ont fait leur dernière profession; cette profession n’est point un grade qui augmente les connaissances mais un acte libre et uniquement à la volonté de celui qui le fait, par lequel il s’engage irrévocablement envers l’Ordre (cité par J.F.Var, 1991, pp.49-50).

Le dernier grade était divisé en six classes selon la condition sociale de l’impétrant (Eques, socius, armiger, clerc, servant et valet d’armes), distinctions mondaines qui n’empêchaient pas que les « connaissances » de l’Ordre soient communiquées à tous (sauf aux servants d’armes).

Pour des raisons dictées, sans doute, par les usages locaux, Weiler avait en 1773 concédé aux strasbourgeois le droit de cumuler les hauts-grades français avec ceux de l’Ordre Intérieur, constituant par là une classe intermédiaire qui fut évoquée par le chapitre d’Auvergne, à Lyon, en sa séance du 23 juillet 1774:

…On a lu pareillement les deux autres grades du Grand Ecossais Rouge et du Chevalier de l’Aigle, dit Rose-Croix: ils ont été proposés pour la seconde classe intermédiaire à l’instar de la V° Province (3° protocole de la Province d’Auvergne).

L’échelle des grades adoptée à Strasbourg différait donc de celle en usage en Allemagne par cette « deuxième classe » intermédiaire entre le symbolique et l’intérieur, soit:

  • 1° classe: apprenti, compagnon, maître.
  • 2° classe: écossais rouge, Rose-Croix.
  • 3° classe: écossais vert, novice, chevalier.
    (A.Joly, 1938, pp.66-67).

Les lyonnais ne se prononcèrent pas sur la mise en application de ce système et renvoyèrent à plus tard « l’examen et la décision des grades qui composeraient la 2° classe ». Dans un premier temps, ils se rallièrent à la position strasbourgeoise, comme l’atteste le « Petit mémoire d’instruction » remis, l’année suivante, au F. Bruyzet chargé par le chapitre d’Auvergne de répandre dans les loges de France la réforme germanique. Il précisait que les loges désireuses de s’agréger au nouveau système « pourraient obtenir du directoire la permission de conférer (les grades de la classe intermédiaire)…Tout grade d’élu et tout cordon noir étaient proscrits. Les grades de la 2° classe dite intermédiaire étaient l’écossais rouge et le chevalier d’Orient » (in Steel-Maret, 1893, pp. 175-176). Le débat, de toute façon, fit long feu: en 1777, le chapitre de Bourgogne renonça aux grades intermédiaires (R.Dachez et R.Désaguliers, 1989, 80:290).

Restait à résoudre le problème posé par l’implantation en France d’un organisme d’obédience étrangère. Ni Willermoz ni les templiers d’Auvergne ne voulaient rompre avec le Grand Orient de France, garant de la bienveillance du gouvernement. Dès janvier 1776, Willermoz annonçait que des négociations étaient amorcées avec l’obédience parisienne et qu’il en attendait une issue favorable. De fait un « Traité d’Union Intime » fut signé le 31 mai de cette année entre le Grand Orient de France et les trois Directoires de Lyon, Bordeaux et Strasbourg, représentés par Bacon de la Chevalerie, bien connu pour ses accointances Coen (in L. Charrière, 1938). Ce traité, en dix articles augmentés de deux articles « secrets », prévoyait la réunion des Directoires et de leurs corps subordonnés au Grand Orient (article 1). Chacun « conservait exclusivement l’administration et la discipline sur les loges de leur Rite et Régime » (article 6). L’équivalence des « grades fondamentaux » des deux Rites était garanti, comme les droits d’intervisite et de double appartenance: « Les membres des loges de l’un et l’autre Rites pourraient régulièrement passer dans les loges de l’autre Rite, sans cesser d’être membre de la loge à laquelle ils appartenaient primitivement » ( article 9). Ce Traité, qui devait être reconduit en 1811 sans modifications notables, ratifiait la parfaite régularité de la maçonnerie « réformée » et, jamais dénoncé, justifie, aujourd’hui encore, la pratique du Rite Rectifié au sein du Grand Orient de France.

2. Les grades de la Stricte Observance (1775).

Les rituels conservés à la bibliothèque municipale de Lyon furent récemment publiés par J.F.Var (1991) qui les juge rudimentaires, d’une maigreur squelettique et dépourvus de toute valeur initiatique: « de la gestuelle, un moralisme banal, rien de plus » (p.53). Le jugement est abrupt et sans nuances, reconnaissons-le. Est-il mérité? Chacun jugera, selon ses vues, sans oublier que ces rituels ne diffèrent guère de ceux en usage dans les loges du temps, de ce côté ou de l’autre du Rhin.

La disposition générale de la loge bleue est celle, « ordinaire », des loges françaises. Elle est éclairée par trois bougies devant le vénérable, deux devant les surveillants, une devant le secrétaire. Les flambeaux d’angle, autour du tableau (ou tapis), ne sont pas mentionnés. Est-ce à dire qu’ils manquaient? C’est peu probable au vu des usages de l’époque. Gageons plutôt que l' »ordinaire » prévoyait la disposition classique des flambeaux aux angles N.E., S.E. et S.O., conforme aux prescriptions du Rite Français ainsi qu’à celles du Rite Suédois. De fait, une gravure représentant la loge d’apprenti-compagnon selon le Rite de la Stricte Observance, attribuée au dernier tiers du XVIII° siècle, nous les révèle ainsi disposés autour d’un tableau qui ne diffère en rien de ceux présentés par les divulgations continentales des années 1745-1755 (document conservé dans les archives de la Grande Loge du Danemark, in K.C.F. Feddersen, 1982, d/14) (pl.1).

Relevons une innovation notable, pleine d’avenir:

« Derrière la chaire du vénérable est pendu peint sur du carton ou autrement le symbole du grade que l’on y donne ». Ce symbole est « une colonne rompue par en haut mais ferme sur sa base » (1° grade), « une pierre cube (sic) sur laquelle est posée une équerre » (2° grade), « un vaisseau démâté sans voiles et sans rames, tranquille sur une mer calme » (3° grade). Les devises s’y rapportant sont, dans l’ordre, « Adhuc Stat », « Dirigit Obliqua », « In Silentio et Spe Fortitudo mea ».

L’ouverture des travaux ne comporte ni allumage des flambeaux ni prière. Le vénérable, après un bref échange de répliques du catéchisme avec les surveillants, ouvre la loge par trois fois trois coups, devant les frères debout tenant de la main gauche l’épée, pointe en terre, et portant la main droite au col. La réception ne s’écarte guère de l’exemple français, si ce n’est par une autre innovation remarquable: la « lumière » est donnée en deux temps avec, au deuxième temps, l’exclamation « Sic Transit Gloria Mundi ». L’obligation d’apprenti comprend les pénalités traditionnelles (gorge coupée, coeur percé et arraché, le tout réduit en cendres). Le catéchisme rappelle les fondements de la loge française et son articulation en trois colonnes (Sagesse-Force-beauté) et trois Grandes Lumières, ici énoncées « le Soleil, la Lune et les Etoiles« , celles-ci remplaçant, on ne sait trop pourquoi, le Maître de la Loge (ou l’Etoile Flamboyante.). Le soleil signifie le maître en chaire, la lune les surveillants et les étoiles les maîtres et compagnons « qui guident les apprentis dans les routes sombres et mystérieuses de l’Art Royal ».

Le deuxième grade, réplique succincte du premier, était sans doute conféré le même jour. Les mots sacrés sont, dans l’ordre, J… et B… comme le voulait l’usage continental depuis l’inversion (anglaise) de 1739 (cf. G.Verval,1988), les mots de passe ceux révélés par le « Trahi… » de 1744,Tub…et Schi…

La réception à la maîtrise suit la version « française » de la légende d’Adonhiram : les neuf maîtres envoyés à sa recherche décident de leur propre autorité de changer le « mot de maître », mesure dictée par la seule prudence. Sur la tombe de l’architecte est déposée « une médaille triangulaire sur laquelle est gravé l’ancien mot de maître avec deux branches d’acacia en sautoir ». L’instruction précise que cet ancien mot n’est autre que « le Saint Nom de l’Eternel en hébreu ». Après l’obligation, le candidat est renversé et recouvert d’un drap noir tandis qu’on allume les « neuf cierges jaunes », seule allusion aux flambeaux d’angle ( qu’un autre document conservé à Copenhague, daté de 1770, montre aux angles habituels, in Feddersen, 1982, d/94, pl.2 ). Le signe d’horreur est le seul enseigné au nouveau maître, le signe « au ventre » relevant d’une autre tradition, celle des « Anciens » anglais. Enfin le mot de passe, Gi…, et le mot « substitué » M…B… sont ceux de la tradition française.

L’écossais vert achève la série. Pour simple qu’il soit, il contient déjà des éléments bien reconnaissables. Le candidat, désarmé, une corde à la taille et sous la menace d’un glaive, est introduit dans la loge tendue de vert et éclairée par quatre lumières disposées en carré. Délivré du joug de « la maçonnerie symbolique » par son engagement d’obéissance au directoire et à ses chefs, il reçoit l' »habit » (le tablier) vert, un signe « la main droite comme pour saisir quelqu’un par la tête », un attouchement au coude et deux mots, Jehovah et Notuma. S’il n’est fait mention ni de Zorobabel ni du second temple, le tableau montre Hiram ressuscitant « qui tend les bras pour sortir du tombeau où il n’est plus qu’à demi » (pl.3). Il est entouré de quatre animaux, emblèmes des vertus du grade: le lion (valeur et générosité), le singe (adresse et habileté), l’épervier (clairvoyance) et le renard (ruse sans fourberie). A peu de choses près, ces animaux sont ceux que présentait, au grade d' »écossais », le tableau de la divulgation de 1747, « Les francs-maçons écrasés… » (la colombe y remplaçait l’épervier) (pl.4).

3. Premières réformes.

Après la mort de Weiler (novembre 1775) et celle de Hund (8 novembre 1776), les lyonnais décidèrent d’étoffer les rituels, décidément trop rudimentaires à leurs yeux, de leurs initiateurs germaniques. De décembre 1777 à janvier 1778, il fut décidé de confier à Willermoz et au strasbourgeois Salzmann la rédaction des grades symboliques, à Jean de Türckeim, autre strasbourgeois, celle des grades de l’Ordre Intérieur. Dans la foulée, Willermoz s’attribua la rédaction d’une classe nouvelle, « secrète », la (Grande) Profession.

Dans la Stricte Observance, la Profession , nous l’avons vu, n’était pas un grade mais l’acte libre par lequel le chevalier s’engageait irrévocablement envers l’Ordre, à l’instar de la « profession » monastique. L’ambition ici était toute autre: il s’agissait de condenser l’enseignement théosophique de Martinez, du moins sa partie théorique, en de longues « Instructions » qui ne seraient communiquées qu’aux élus jugés dignes de les recevoir en deux grades « secrets », la Profession et la Grande Profession. Le travail fut rondement mené: les textes étaient déjà près lorsque se réunit le Convent des Gaules, dix mois plus tard. A propos de cette Profession, voir entre autres la plaquette de J.F.Var et G.Verval, « Willermoz et son oeuvre », 1992. Les Instructions Secrètes de la Profession furent publiées par P.Vuilaud dans son « Joseph de Maistre franc-maçon » (1926) et celles de la Grande Profession par A.Faivre en appendice à l »ouvrage de R.Leforestier « La franc-maçonnerie templière et occultiste au XVIII° siècle » (1970).

Quelques remaniements apparaissent déjà dans les « trois premiers grades des Loges Rectifiées en France avant la tenue du Convent national de Lyon en 1778 » (in Dachez et Désaguliers, 1989, pp.294 et suivantes). Conservées dans les archives de la Cour et de l’Etat à Vienne, ils sont paraphés par Gaybler qui sera secrétaire du Convent de Lyon. On y remarque le soin tout particulier accordé à la préparation du candidat. Un frère « préparateur » est désigné à cet effet et son rôle minutieusement détaillé qui ne rappelle en rien les brimades écossaises des manuscrits d’Edimbourg (1696-1700), pas plus d’ailleurs que les rodomontades du « Frère Terrible » des loges françaises. L’accent est celui de la dignité et du formalisme qui visent à convaincre le candidat de l’importance de sa démarche autant qu’à s’assurer de sa sincérité. Les cérémonies elles-mêmes sont peu modifiées. Relevons en passant que le mot de passe, ou plutôt le nom, du maître est « acacia »  et non Gi…

La bibliothèque nationale de Paris conserve une autre série de rituels « intermédiaires », venant de Strasbourg ceux-là (« Régime rectifié 1776. Directoire Ecossais de Strasbourg avant le Convent Général tenu à Wilhelmsbad en 1782 », cité par Dachez et Désaguliers, 1989, pp.297 et suivantes). Malgré leur date (1776), ils ne diffèrent que peu de ceux qui seront adoptés à Lyon deux années plus tard. Les maximes lors des voyages manquent encore mais les châtiments physiques traditionnels sont déjà omis des serments.

Le 27 avril 1777, le Directoire d’Auvergne arrêta que le grade d’écossais vert serait rendu « ostensible » dans toutes les loges sous la seule dénomination d' »écossais », devenant ainsi le « complément de la maçonnerie symbolique » et non plus le premier de l’Ordre intérieur. Cette délibération « définitive » prévoyait aussi que les vénérables communiqueraient « sans cérémonies et sans frais » aux écossais les hauts-grades en usage avant la réforme: chevalier d’Orient, Rose-Croix et autres de la même veine (article 7), à l’exclusion toute fois des grades « à cordon noir », élus ou kadosh que Willermoz avait en horreur. Ces grades étaient expressément proscrits et il était interdit aux visiteurs d’autres régimes d’en porter les décors en loge (article 9). Cette décision supprimait de fait la classe « intermédiaire », concédée autrefois par Weiler, dont les lyonnais ne savaient trop que faire Prise à la lettre, cette délibération permettrait aujourd’hui aux Grands Prieurés Rectifiés la pratique de ces grades, depuis longtemps réservée aux Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Les accords tacites existant entre ces différents corps empêche bien sûr une telle éventualité, du moins dans les pays où de tels accords existent. .

L’article 6 de cette même délibération décrit le tableau du grade d’écossais et son « symbole distinctif« : un lion jouant avec des instruments de mathématiques, ainsi que sa devise « Maeliora praesumat » (sic) (in Renaissance Traditionnelle, 1989, pp.313-316 et Cahiers verts, Bulletin Intérieur du Grand Prieuré des Gaules, 1992, n° 10-12, pp.233-237). Cet écossais, nouvelle manière, synthèse de l’écossais vert importé d’Allemagne et des grades écossais pratiqués en France, sera développé au Convent de 1778.

II. Le Convent national des Gaules (1778).
1. La Réforme de Lyon.

Il se tint à Lyon du 25 novembre au 10 décembre 1778, en présence des délégués des Provinces d’Auvergne et de Bourgogne, ceux d’Occitanie n’ayant pas jugé bon de s’y présenter. Il y fut surtout question des hauts-grades et de l’organisation administrative du Rite.

Le titre « Chevalier bienfaisant de la Cité Sainte » remplaça celui de « Chevalier templier« . Cette décision, imposée par Türckeim et Willermoz, n’était pas anodine. Certes la prudence voulait que toute référence à un Ordre condamné par les prédécesseurs du roi régnant et du pontife romain, condamnation jamais révoquée, soit, au mieux, camouflée sous une appellation moins compromettante, mais là n’était pas la raison profonde de cette mesure. Willermoz et ses amis étaient convaincus que la source des connaissances maçonniques et l’origine de l’initiation étaient bien antérieures à l’Ordre médiéval, lequel n’avait été que le détenteur ponctuel et transitoire d’une tradition immémoriale. Les délégués se rallièrent sans peine à cette décision dès la première séance du Convent, même si certains ne le firent qu’avec une réticence inavouée (ce fut notamment le cas de Beyerlé, Préfet de Lorraine et futur adversaire de Willermoz).

La « matricule » (c’est à dire l’organisation territoriale du Régime) des Provinces, Prieurés et Commanderies de l’Ordre Intérieur fut adoptée dans un grand élan d’optimisme, sans trop tenir compte des effectifs à vrai dire squelettiques du système. Le « Code Général de l’Ordredes Chevaliers bienfaisants de la Cité sainte » fut adopté ainsi qu’une « Règle des chevaliers », aujourd’hui perdue. Les rituels de l’Ordre Intérieur, préparés par Türckeim, furent approuvés. A l’inverse des rituels allemands, ils supprimaient les différences basées sur la naissance et admettaient à la « chevalerie » les bourgeois et roturiers pourvu qu’ils puissent faire état de revenus substantiels et d’une situation « honnête » dans la société civile. Les « frères à talents » étaient cependant tolérés, comme dans les loges bleues, à condition que leur présence soit un véritable bénéfice pour l’Ordre.

Les grades symboliques ne furent pas oubliés pour autant. Un « Code maçonnique des loges réunies et rectifiées de France » fut approuvé et les nouveaux rituels, rédigés par Willermoz, ratifiés au cours des 11° et 12° séances (E.Mazet, 1985). Plusieurs copies de ces rituels sont conservées, dont l’une fait partie du fonds Kloss de la Bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas (catalogue VII-h-4). Ce qui suit est basé sur cette copie primitivement destinée au Directoire de Bourgogne et certifiée par son chancelier, Rudolph Salzmann.

2.Les grades symboliques du Convent des Gaules.

Le tableau de la loge d’apprenti est divisé en deux parties: l’une à l’occident figure le porche, l’autre à l’orient figure le temple. Elles sont séparées par une balustrade placée au-dessus d’un escalier à sept marches. Il conduit au pavé mosaïque, situé en face de la porte d’entrée du temple, qui est fermée, entourée des deux colonnes J et B. Aux quatre points cardinaux sont placées quatre portes dont celle d’orient, qui mène au sanctuaire, est elle-aussi fermée. En haut du tableau sont dessinés le soleil, la lune et l’étoile flamboyant laquelle contient en son milieu la lettre G.

« Autour de ce tableau, qui figure l’enceinte intérieure du temple, est tracé à la craie, à quelques pouces de distance, un quarré long dans la même forme qui figure la seconde enceinte ou le second parvis. A égale distance de celle-là, il en sera tracé un autre qui figure la troisième enceinte ou le parvis extérieur dans lequel voyage l’apprenti. On supprime ce dernier pour les voyages du compagnon et tous deux pour ceux du maître ».

La loge d’apprenti est éclairée par « trois flambeaux dont deux seront devant les FF. surveillants et l’autre à l’Orient du côté du Midi« . L’innovation mérite d’être soulignée. C’est en effet la disposition typiquement « écossaise » des flambeaux d’angle, commune au « Rite Ecossais Ancien et Accepté » et au Rite Moderne Belge. Elle semble être apparue en Avignon, vers 1776, dans la loge « Saint-Jean de la vertu persécutée », loge-mère de la loge parisienne « Saint-Jean du contrat social » qui sera le berceau du Rite Ecossais Philosophique (cf. R.Désaguliers, 1983). Il ne peut s’agir d’une simple coïncidence. La proximité dans le temps et l’espace suggère qu’il y eut influence réciproque. Ajoutons cependant que cette disposition des flambeaux était déjà celle de la divulgation française de 1747, « Les Francs-maçons écrasés… », texte énigmatique dont on ne sait trop ce qu’il faut penser mais qui suggère en tout cas que l’idée était dans l’air depuis quelque temps déjà. J’ai déjà eu l’occasion d’insister sur le glissement de sens induit par ce déplacement qui confond autour du tableau les colonnes et les lumières de la loge, je n’y reviendrai pas (cf. G.Verval, 1987, pp.11-24; P.Noël, 1993, pp.61-63).

L’ouverture de la loge d’apprenti se fait par la récitation de répliques de l’instruction et ne diffère guère de celle pratiquée au Rite Français. Le vénérable tient son épée de la main gauche, pointe en haut, tandis que les assistants tiennent la leur pointe en bas. Soulignons l’absence de prière.

Le candidat, dans la chambre de préparation, découvre trois questions « d’ordre »:

  • Croyez-vous à un seul Dieu, créateur de l’univers, à l’immortalité de l’âme et à la nécessité des devoirs qui en résultent?
  • Quelles sont vos idées sur la vertu…?
  • De quelle manière pensez-vous que l’homme puisse se rendre le plus utile à ses semblables?

Le préparateur, après l’avoir entretenu sur ces question, l’examine sur l’opinion qu’il se fait de la maçonnerie avant de souligner que son but est « la vertu, l’amitié et la bienfaisance« .

Introduit dans la loge, le récipiendaire déclare « sa religion et son état civil« , sans qu’il lui soit demandé son nom de baptême. Les voyages, effectués dans l' »enceinte » décrite plus haut sont ponctués de coups de tonnerre et des trois maximes aujourd’hui classiques:

  • L’homme est l’image immortelle de la divinité…
  • Celui qui rougit de la religion…
  • Le maçon dont le coeur ne s’ouvre pas… »

Le candidat monte ensuite « de l’Occident à l’Orient à côté du tableau par le Nord, à pas libres jusque devant la table du Vénérable Maître« . Le serment, pris sur l’évangile de Saint Jean, est l’occasion de la question suivante:

Ce livre sur lequel votre main est posée est l’évangile de Saint Jean. Y croyez-vous? Si vous n’y croyez pas, quel confiance pouvons nous avoir en votre engagement?

En dépit de cette exhortation, le serment ne contient aucune clause de fidélité à la religion chrétienne. Les châtiments physiques sont omis, omission qui traduit sans doute le souci d’hommes parfaitement honorables de n’être pas accusés de crimes imaginaires. C’est le même souci qui poussera le Grand Orient de France à supprimer les pénalités en 1858, exemple que suivra la Grande Loge Unie d’Angleterre en 1985 seulement.

La réception se termine par une courte explication du cérémonial et du tableau, simple ébauche de l’instruction actuelle. Elle ne contient aucune allusion à la progression cherchant-persévérant-souffrant qui sera introduite à Wilhelmsbad. Enfin les secrets sont ceux de la maçonnerie classique du temps, les mots de passe devenant le « nom » de l’apprenti, du compagnon et du maître.

Au 2° grade le candidat, les yeux bandés et dépouillé d’une partie seulement de ses métaux, fait cinq voyages « mystérieux » et entend deux maximes, après les 3° et 5° tours (« L’insensé voyage toute sa vie…L’homme est bon… »). Il est ensuite conduit devant un miroir caché par un rideau. Après que le vénérable l’a incité à rentrer en lui-même pour y passer en revue ses erreurs et ses préjugés, le bandeau lui est enlevé et il contemple son visage « dans le miroir éclairé par un réverbère ». Il gravit ensuite les cinq marches du grade « qu’il demande » avant de les redescendre et de gagner l’orient par la marche des compagnons (cinq pas en équerre en partant du pied droit du côté du midi). Le mot du grade est B…. Par contre le « nom » du compagnon est devenu Gi… sans qu’on sache pourquoi il remplace l’habituel Schi….

Au 3° grade apparaissent le mausolée d’occident et une tête de mort à l’orient.

A l’Occident sera placé sur le mur ou en relief un mausolé (sic), consistant en une urne sépulchrale posée sur une base triangulaire et à trois faces. Dans chaque triangle il y aura trois boules dans les trois angles. Au-dessus du triangle une tête de mort repose sur des ossements. De l’urne sortira une vapeur enflammée avec l’inscription « deponit Aliena ascendit Unus », au-dessous, dans le triangle, on lira ces mots « Tria formant, Novena dissolvunt ».

Les neuf flambeaux d’angle, disposés comme au grade d’apprenti, ne sont allumés que lorsque le candidat est couché dans le cercueil. Introduit à reculons, il découvre le mausolée avant d’entamer neuf voyages, « réduits à trois« , au cours desquels il écoute trois maximes dont existent plusieurs versions. Il gagne ensuite l’orient par sept pas, suivis des trois pas du maître. La légende d’Hiram est lue avant le simulacre du meurtre. Elle est conforme au canon français et l’ancien mot J… est donné in extenso. Le mot substitué, M…B…, est celui en usage dans la maçonnerie anglaise dite des « Modernes », le « nom » du maître est Gabaon.

Au grade de maître écossais seize lumières supplémentaires viennent s’ajouter aux quatre flambeaux d’angle et aux lumières du vénérable, ici appelé député-maître, et des surveillants (soit vingt-cinq en tout) tandis qu’apparaissent le double triangle et la lettre H, disposés au mur d’Orient. Le rituel prévoit deux tableaux dont le premier est en deux parties: le temple en ruines à l’occident, le temple réédifié par Zorobabel à l’orient. Le deuxième tableau montre la résurrection d’Hiram entouré non plus de quatre animaux mais du nom des vertus dont ils étaient l’emblème (Bienfaisance, Prudence, religion et discrétion). La réception, considérablement étoffée, ne diffère guère de celle en usage de nos jours. L’introducteur présente au candidat les mêmes questions d’ordre qu’aux grades précédents et l’invite à y répondre « catégoriquement » avant de lui lier les poignets au moyen d' »une chaîne en fer blanc dont les anneaux sont de forme triangulaire« . Introduit « en maître » dans la loge, l’impétrant écoute un premier discours relatant la destruction du temple avant de gagner l’Orient par sept pas, le premier le conduit à la porte d’occident du tableau, les trois suivants à la porte d’Orient par-dessus le tableau, les trois derniers « en équerre » jusqu’à l’autel. Après l’Obligation, il est reçu « Maître libre écossais » et reçoit l’épée et la truelle. Ainsi armé, il oeuvre à la réédification du temple, relève l’autel des parfums et découvre la lame d’or « qui contient le mot sacré qui était perdu« . Un deuxième discours lui retrace la geste de Zorobabel et les circonstances de la construction du second temple, image bien imparfaite du premier. Enfin investi de l’habit du grade, blanc doublé de vert et bordé de rouge, du cordon vert « mélangé de rouge » et du bijou (à une face seulement), il entend le troisième et dernier discours,  imprégné de martinézisme à peine voilé, qui compare les « révolutions » du temple de Jérusalem, « ce grand type de la maçonnerie« , aux états successifs de la destinée humaine (la gloire de son premier état, la déchéance qui suit la faute, la réintégration promise aux élus). Celle-ci est annoncée par la résurrection d’Hiram « sortant à demi du tombeau« . Enfin le symbole du grade, un lion jouant avec des instruments de mathématiques sous un ciel orageux, et la devise « Meliora praesumo », à la première personne cette fois, lui laissent entendre l’existence d’une étape ultérieure dont les « symboles » seront absents. Les  secrets sont ceux de la Stricte Observance mais le signe se donne cette fois « au front« .

Ainsi furent unis en une synthèse harmonieuse les thèmes de Zorobabel, de la reconstruction du Temple et de la découverte de la parole « innominable » (empruntés aux chevalier d’Orient et aux divers « écossais » français) à celui  de la résurrection d’Hiram entouré des quatre animaux emblématiques des « vertus » maçonniques (propre à l’écossais vert allemand).  Willermoz s’en expliqua plus tard dans une lettre à Charles de Hesse:

« On jugea aussi qu’il conviendrait de conserver sans le quatrième grade les principaux traits caractéristiques de la maçonnerie française pour servir de pont de rapprochement avec elle » (lettre à Charles de Hesse du 12 octobre 1781, in Van Rijnberck, 1935, pp. 166-168) Dans cette lettre essentielle à la compréhension du Rectifié, Willermoz reconnut avoir rédigé les « Instructions Secrètes » de la Profession, non sans ajouter qu » »il ne voulait absolument pas être reconnu pour leur seul auteur ». .

III. Le Convent général de Wilhelmsbad (1782).
1. Les prémisses.

Au début des années 1780, la Stricte Observance traversait une crise grave dont les causes, multiples, sortent de notre propos Les principales étaient le doute grandissant concernant la filiation templière de l’Ordre Intérieur et l’existence des « Supérieurs Inconnus ». La fiction Stuardiste s’était évanouie après les déclarations du principal intéressé à l’envoyé du duc de Brunswick . Le duc de Brunswick annonça en septembre 1780 la convocation imminente d’un Convent général des maçons écossais dont les débats devaient apporter les réponses à toutes les questions qui agitaient l’Ordre. Il ne s’ouvrit que le 15 juillet 1782 à Wilhelmsbad, petite ville d’eaux proche de Hanau. Trente-quatre délégués s’y retrouvèrent, issus des diverses « Provinces » de l’Ordre, et parmi eux les délégués de Strasbourg et de Lyon, bien décidés à y prendre une part prépondérante et à faire ratifier l’abandon de la fiction templière ainsi que la réforme de Lyon dont Willermoz avait communiqué l’essentiel aux deux instigateurs du Convent, le duc de Brunswick (1721-1792) et le prince Charles de Hesse-Cassel (1744-1836), coadjuteur de la VII° Province (Basse-Allemagne) et Maître Provincial de la VIII° Province (Haute-Allemagne) Ce personnage attachant , parent du roi de Danemark, chercha sa vie durant l’illumination mystique dans toutes les sociétés secrètes de son temps. Prêt à tous les excès, (il crut un temps être en communication directe avec le Christ), il déclara, lors de la dernière séance du convent, que le but de la maçonnerie était « la recherche de Dieu, Jehovah ». .

L’enjeu du Convent débordait largement la question des seuls rituels. L’origine de l’Ordre, ses buts réels et son organisation firent l’objet essentiel de séances parfois houleuses et de débats animés. Un compte-rendu critique en fut publié la même année par le Préfet de Lorraine, Beyerlé (absent au Convent) sous le titre « De Conventu Generali Latomorum apud aquas Wilhelmina… », qui appela en 1784 une « Réponse aux assertions du F. A Fascia (Beyerlé)… », tout aussi polémique, rédigée par Willermoz et son collaborateur, Millanois. Plus près de nous, A.Joly (1938) et surtout R.Le Forestier (« La franc-maçonnerie templière et occultiste au XVIII° et XIX° siècles » ,1970) ont relaté les péripéties de cet été 1782. Malheureusement, l’un et l’autre se basèrent sur les deux ouvrages précités, n’ayant pas eu accès aux protocoles authentiques du Convent, d’où le côté parfois incomplet ou erroné de leur analyse. Les protocoles en langue française et la traduction de leur version allemande furent heureusement publiés, il y a quelques années, par des chercheurs belges, en une circulation hélas confidentielle. Ayant eu le bonheur de disposer du produit de leurs recherches, c’est de ces protocoles dont je me suis servi dans ce qui va suivre.

Les treize premières séances furent consacrées à des problèmes administratifs, à la vérification des pouvoirs des délégués et surtout à l’épineux problème de la filiation templière et des buts réels de l’Ordre. Ils ne nous retiendront pas, l’objet de ce travail étant limité aux grades symboliques et, accessoirement, aux Codes qui devaient en déterminer la pratique.

2.La préparation des rituels symboliques.

Lors de la 14° séance (3 août), un comité fut chargé de préparer les cahiers des différents grades et de les soumettre à l’approbation des délégués. Composé de sept membres (Charles de Hesse, acquis aux vues de Willermoz; le chevalier Savaron, Visiteur Général de la 2° Province; Sébastien Giraud, chancelier du Grand Prieuré d’Italie; l’autrichien Euber Bödecker; le baron de Durckeim, Grand Maître Provincial de Bourgogne, 5° Province; Chrétien de Heine, du duché de Schlesvig, et Willermoz ), ce comité reçut à disposition « les rituels approuvés au Convent de Lyon, les grades suédois et ceux de la Grosse Landesloge de Berlin, les rituels des quatre grades intérieurs de la VII° Province et un rituel des Frères Clerici ,également de la VII°Province« . Onze jours plus tard, le 14 août, Charles de Hesse annonça au Convent réuni en sa 15° séance qu’après avoir comparé les anciens rituels à ceux arrêtés au Convent des Gaules, il avait chargé Willermoz de la rédaction du premier grade. Ce dernier donna lecture d’un projet qui s’intitulait « Rituel d’apprenti des chevaliers francs-maçons rectifiés ». Il s’ensuivit une vive discussion sur l’opportunité d’un tel titre, le Convent ayant résolu en sa 13° séance de renoncer à la filiation templière, non sans maintenir qu’il existait « un rapport » entre l’Ordre du temple et celui des franc-maçons, rapport que devait expliciter une « Instruction historique » destinée au dernier grade du Rite. Finalement on décida de ne pas adopter à ce stade l’intitulé de Willermoz, tout en reconnaissant aux loges de Vienne et de Berlin le droit de le conserver, si elles le désiraient. Moyennant quoi le rituel d’apprenti fut approuvé par 15 voix contre 3 après quelques corrections mineures ne portant que sur le style.

Lors de la 16° séance (15 août), Jean de Türckheim, chancelier de la V° Province et ami de longue date de Willermoz, présenta la Règle (à l’usage des loges réunies et rectifiées) qu’il avait préparée, déclarant qu’il l’avait conçue en forme d’une prière ou d’une prescription. Une première mouture ayant paru « trop étendue et trop chargée d’ornements oratoires« , il en avait concentré l’essentiel en une version plus courte  et simplifiée. Les deux furent lues à l’assemblée, toutes deux en neuf articles, la « longue » étant pourvue d’un préambule original et d’un épilogue. Le Convent décida de les approuver également, la version courte devant être lue à l’impétrant lors de son initiation, l’autre lui étant remise pour étude ultérieure.

Lors de la 17° séance (16 août), Willermoz donna lecture du catéchisme et de l’instruction finale d’apprenti, bien augmentée depuis l’ébauche de Lyon. Celui-ci suscita un débat assez vif sur la constitution ternaire de l’homme (esprit-âme-corps) dont le lyonnais voulait qu’elle soit un « secret » (ou « mystère ») de l’Ordre La composition ternaire de l’homme était un de ces points sur lesquels tombaient d’accord tous les occultistes du XVIII° siècle. La cérémonie d’ouverture d’un temple Coen débutait par le dialogue suivant:
« Le Souv: M. demande au Conducteur en chef d’Orient et d’Occident,
Quel est le motif qui vous rassemble dans ce lieu?
Le Commandeur d’Orient répond:
Puiss: M., le désir ardent que nous avons d’acquérir ce que nous avons perdu.
D. Qu’avez vous perdu?
R. La connaissance du corps, de l’âme et de l’Esprit; et de tout ce qui est contenu dans le macro et le microcosme.
D. Pourquoi êtes vous ainsi déchu de toutes ces connaissances?
R. Par la prévarication de nos premiers parents, laquelle nous a plongés dans les plus épaisses ténèbres. »

( « Cérémonies à observer pour les officiers du Temple des Elus Coens », dossier Thory, fonds F.M., Bibliothèque Nationale, Paris)
, illustré par les trois coups de maillet que reçoit le récipiendaire lors de sa consécration. Un délégué allemand, von Kortum, fit remarquer que la triple nature de l’homme, bien qu’enseignée « par plusieurs anciens docteurs de l’Eglise« , n’était que spéculation philosophique. Il suffisait à un chrétien de savoir que « son âme séparée du corps était immortelle« . Willermoz rétorqua que cette doctrine était conforme à l’Ecriture Sainte et explicitement citée par Saint Paul:

Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même en toute matière et que tout votre être, esprit, âme et corps, soit gardé irréprochable pour la venue de notre seigneur Jésus-Christ ( 1° épître aux Thessaloniciens, V.23).

Nonobstant cette opposition, le convent arrêta à la pluralité des voix que l’instruction serait adoptée « salva ratificatione » (sous réserve de ratification).

La 21° séance (21 août) fut consacrée au grade de maître écossais. Certains voulaient sa suppression, d’autres désiraient qu’il devint le premier de l’Ordre Intérieur. A l’opinion de Willermoz qui estimait que le grade écossais devait constituer une classe intermédiaire, séparée à la fois des grades bleus et de l’Ordre Intérieur, Charles de Hesse ajouta que la maçonnerie, par ses trois classes, devait représenter le ternaire fondamental: la 1° classe représentait l’Ancienne Loi, la 3° la Loi Nouvelle, la 2° devait être l’étape intermédiaire composée d’un ou plusieurs grades. Chefdebien, délégué de la III° Province (Occitanie), adversaire déclaré de Willermoz depuis que celui-ci lui avait refusé l’accès à la Grande Profession, ne voyait pas, déclara-t-il, la nécessité de cette classe intermédiaire puisque « l’Ancien Testament s’arrête là où commence le Nouveau« . Finalement on résolut que le grade écossais serait considéré comme le quatrième grade « symbolique » et constituerait une classe intermédiaire entre la maçonnerie et l’Ordre Intérieur, son objet essentiel étant la résurrection d’Hiram et la reconstruction du Temple. La même séance vit la lecture de l’acte de renonciation à la filiation templière, reprise en annexe (n° 147) aux protocoles du Convent.

Au cours de la 22° séance (22 août) fut débattue la question des « symboles » des grades dont certains voulaient qu’ils soient remplacés par ceux en usage dans la maçonnerie habituelle, la colonne brisée et le vaisseau démâté paraissant une allusion trop évidente à l’Ordre du Temple. On passa outre et Willermoz put donner lecture du rituel de compagnon proposé par la commission des rituels. Il fut adopté sans difficulté.

La 23° séance (23 août) vit la définition du nombre et du rang des officiers de la loge. Sept étaient essentiels (Vénérable, surveillants, orateur, secrétaire, trésorier et élémosynaire), deux facultatifs (maître des cérémonies et économe). Plus importante fut la décision de fixer à 21 ans l’âge minimum de réception, « de préférence prouvé par un certificat de baptême« . Cette exigence nouvelle n’était pas, on le voit, dictée par un souci d’orthodoxie religieuse (aucun des délégués n’aurait imaginé qu’on puisse initier un non-chrétien) mais bien par la volonté de s’assurer de l’âge du candidat par le seul document probant à l’époque.

Le projet de rituel du troisième grade fut présenté, par Willermoz toujours, lors de la 25° séance (25 août). Trois points particuliers furent adoptés:

  • Les trois coups donnés au récipiendaire le seraient au front, au coeur et à l’abdomen (curieusement Willermoz ne tint aucun compte de cette décision dans ses remaniements finaux.).
  • L’ancien mot du maître, Jéhovah, ne serait plus enseigné au nouveau maître mais seulement sa première (J) et sa dernière lettre (A).
  • Le nombre de larmes sur le tableau serait indéfini (Willermoz en voulait 27 au grade de maître et 81 à celui d’écossais).

Lors de la 26° séance (26 août), le Convent, sur proposition de Willermoz, estima opportun d’introduire une prière à l’ouverture et à la fermeture de la loge, « à l’instar de ce qui se faisait en Allemagne« . Après lecture du catéchisme du 3° grade, les délégués durent se prononcer sur l’ensemble des trois grades. Après un dernier plaidoyer de Charles de Hesse, les rituels furent adoptés, sous réserve de ratification ultérieurs par les loges du Régime. Il fut donné aux Provinces jusqu’à la fin de 1783 pour donner leur accord final (celui-ci ne vint jamais).

Le lendemain (27 août) eut lieu la réception au grade d’apprenti, selon le nouveau rituel, du Landgraf de Hesse-Hamburg. Le duc de Brunswick ouvrit les travaux qui furent présidés par Charles de Hesse, Willermoz faisant office de préparateur.

La 28° séance fut décisive. Willermoz y présenta un « Projet d’ébauche pour servir de base, au Rituel du 4e Grade » qui donna lieu à une discussion animée.

Le F. ab Eremo a présenté la première Esquisse du nouvel écossisme, 4. Grade de notre Maçonnerie Rectifiée : sur la quelle on a fait plusieurs remarques. On a demandé l’abolition du gibet & de la corde au cou par les récipiendaires : ce qui a été convenu à la pluralité. L’ Em.G.M.Gén. (Brunswick) & le Sér.F. a Leone resurgente  (Charles de Hesse) ont cependant protesté contre l’abolition de la Corde au cou. Le F. a Cruce cerulea  (Hyacinthe Chappes de la Henrière, député de la Préfecture de Nancy) a demandé la conservation des deux tableaux de l’écossisme du Convent des Gaules, surtout le Maître Hiram sortant du tombeau & l’autel avec le feu sacré : on a observé, que les nouveaux symboles présentés dans l’esquisse étaient connus depuis longues années en France, & y avoient été abandonnés. Le F. a Lilio convallium  (Bode) croit que nos maçons ne sont pas encore assez préparés à un écossisme aussi sublime & aussi religieux & a ajouté qu’il se souvenait que le tableau de l’écoss(isme) il y a 20 ans avait été partagé en trois parties: l’inférieur contenant quelques symboles & instruments Maçonniques, au milieu le Chandelier à 7 branches: autel des parfums, table des pains de proposition: l’arche d’alliance & les colonnes du Temple brisés; à la 3ème partie Supérieure il y avait le mont Sion et l’agneau céleste. Le F. ab Eremo a désiré qu’en adoptant le tapis conforme à celui indiqué par le F. a  Lilio convallium, on y ajouta le Maître Hiram Ressuscité & le feu sacré. Le Sér.M.Prov. (Charles de Hesse) étant entré dans les idées du F. ab Eremo, on est convenu de faire la rédaction d’après ces principes. (Orthographe modernisée).

La conclusion s’impose : à Willermoz échut le soin de rédiger la version définitive du 4° grade.

3. Le « Code ».

Le 3 août, lors de la 14° séance, un Comité fut désigné qui devait s’occuper « de tout ce qui avait rapport au Code et à la rédaction des Lois comme Règle, matricule, code des règlements des loges et de l’Ordre Intérieur« . Il fut composé de quatorze membres dont quatre français (Virieu et Jean de Türckheim, alliés de Willermoz; Chappes de la Henrière et Chefdebien, viscéralement opposés au lyonnais). Différents documents lui furent soumis dont les Codes de Lyon n’étaient qu’une partie, à côté des règlements de la Grosse Landesloge de Berlin, des lois et statuts suédois, des codes du Grand Orient de Hollande et d’autres.

Virieu donna lecture des premiers travaux de ce comité lors de la 16° séance (15 août). Il ne s’agissait que d’une introduction aux principes généraux qui devaient présider la rédaction du Code général, laquelle ne put être achevée faute de temps. Après divers rapports toujours partiels, le Grand Maître dut constater que le Code ne pourrait être élaboré au cours du Convent. Lors de la 28° séance (28 août), il en confia la rédaction ultérieure à Virieu, Jean de Türckheim, Kortum et von Knigge. Le lendemain, sur proposition de Virieu, il proposa que ces quatre frères préparent, chacun, un projet de code et le lui envoient. La rédaction finale serait établie au départ de ces propositions.

Le projet n’aboutit jamais et aucun des frères pressentis n’accomplit la tâche qui lui fut confiée. Le Convent s’acheva sur un projet sans lendemain, échec qui ne fut pas sans jouer un rôle dans la dissolution rapide de la Stricte Observance au cours des quelques années qui suivirent Wilhelmsbad. Soulignons en tout cas que les Codes établis à Lyon ne furent pas ratifiés par le Convent général quoiqu’en disent certains.

4. Le « Recès » final.

Le Convent fut clôturé le 1er septembre 1782. Jean de Türckeim lut le « recès » en huit articles, extrait des protocoles des séances, lequel fut adopté à l’unanimité. Son quatrième article traite des rituels:

Notre attention principale s’est portée sur les rituels des trois premiers grades, base commune de tous ceux qui s’appellent maçons. Occupés à réunir sous une seule bannière les autres régimes, nous sentions qu’il était impossible de l’effectuer sans conserver tous les symboles essentiels et séparer ceux que l’esprit de système y avait ajoutés. Pénétrés intimement que les hiéroglyphes de ce tableau antique et instructif tendaient à rendre l’homme meilleur et plus propre à savoir la vérité, nous avons établi un comitté (sic) pour rechercher avec le plus grand soin quels pouvaient être les rituels les plus anciens et les moins altérés; nous les avons comparé avec ceux arrêtés au Convent des Gaules qui contiennent des moralités sublimes et en avons déterminé un pour les grades d’apprenti, compagnon et maître, capable de réunir les loges divisées jusqu’ici et qui se rapproche le plus de la pureté primitive. Nous publions ce travail et invitons les loges à le méditer et à le suivre, permettant aux Provinces qui auraient des observations à y faire de les communiquer à notre Eminentissime Grand Maître Général. Et comme dans presque tous les régimes il se trouve une classe écossaise dont les rituels contiennent le complément des symboles maçonniques, nous avons jugé utile d’en conserver un dans le nôtre, intermédiaire entre l’ordre symbolique et intérieur, avons approuvé les matériaux fournis par le comitté (sic) des rituels et chargé le Respectable Frère ab Eremo (Willermoz) de sa rédaction.

Il n’est pas sans intérêt de comparer cet article à la lettre adressée par le duc de Brunswick aux FF. de la grande Loge Ecossaise-Mère « Frédéric au Lion d’Or » de Berlin (annexe n° 164 aux protocoles du Convent). Datée du 10 août 1782, elle montre la parfaite concordance de vue du « Magnus Superior Ordinis » avec les conclusions du recès:

L’Ordre ostensible des maçons a été divisé en deux classes essentielles, savoir l’Ordre maçonnique et un Ordre Intérieur. Le premier reste composé des trois grades fondamentaux d’apprenti, compagnon et maître, le second des deux grades qui forment ensemble un Ordre de chevalerie sous le nom de chevalier bienfaisant. Les FF. français se sont réservés le droit d’y ajouter ces mots: de la Cité Sainte. Entre le premier et le second il y aura un grade écossais qui n’a pu être fini, mais le plan a été convenu et la rédactiondece gradereste conférée à un de nos frères de Lyon qui a eu grande part à la rédaction des autres. le but particulier de ce grade, qui sera encore symbolique, sera d’offrir un passage de l’Ancienne Loi à la Loi de Grâce ou de Christ, et de préparer par là des vrais chevaliers de la Foy pour l’Ordre Intérieur auquel on réserve la règle et l’administration ostensible du futur Régime réuni.

L’article VI du Recès prit acte qu’il n’avait pas été possible d’entreprendre la rédaction du Code, ce qui aurait nécessité « de prolonger les séances au delà du terme limité par les occupations civiles des députés« . Le Convent s’était borné à en approuver une « introduction ».

Qu’en conclure sinon que, dans l’esprit des délégués et de leur chef, les rituels des trois premiers grades étaient bel et bien achevés. Seul le quatrième restait à l’état d’ébauche et sa rédaction finale confiée à Willermoz. L’affirmation si souvent rencontrée que les rituels bleus de Wilhelmsbad n’étaient qu’esquissés et qu’au lyonnais était confiée la tâche de les achever est une légende, intéressée certes, mais sans fondement. Ceci n’enlève rien au fait qu’il avait pris une part prépondérante à la rédaction des rituels bleus lors du Convent lui-même. Quant au Code définitif, il ne vit jamais le jour. Les Codes adoptés à Lyon, qualifiés à Wilhelmsbad de « précieuses esquisses« , ne furent jamais ratifiés par un Convent général.

5. Les rituels de Wilhelmsbad.

Ils furent imprimés en une brochure de vingt-quatre pages pour le premier grade, neuf pour le deuxième et onze pour le troisième, intitulée « Rituel du grade (d’apprenti, de compagnon, de maître franc-maçon) pour le régime de la maçonnerie rectifiée ». Plusieurs versions manuscrites en sont connues, dont celle conservée à la bibliothèque du Grand Orient des Pays-bas, intitulée « Ritual (sic) du grade d’apprenti pour le régime de la franche-maçonnerie rectifiée, rédigé au Convent général de l’Ordre tenu à Wilhelmsbad en 5782 et Règlements concernant les loges de cérémonie et de réception, aussi pour les banquets d’Ordre » (catalogue n° VI-h-7). Il porte en dernière page la mention « expédié pour la Très R. Grande L. (Régence) écossaise séante à Strasbourg. (signé) Fr. Türckheim cadet, chancelier du Grd. Dir. Ecoss. expédié pour la R.L. La Candeur et Ferdinand aux neuf étoiles à l’Orient de Strasbourg, réunis sous l’inspection de la Rble Grande L. Ecossaise y séante. (signé) F. Metzler, chanc. de la Grde L. Ecossaise ».  Les grades de compagnon et maître portent les numéros VI.h.8 et VI.h.9. Les versions imprimées et manuscrites ne diffèrent que sur quelques points.

Souvent comparables à ceux adoptés à Lyon, ils témoignent néanmoins d’une élaboration remarquable en bien des aspects.

Le triangle fait son apparition au mur d’Orient, avec la mention « Et tenebrae eam non comprehenderunt ». Il y remplace le symbole du grade (la colonne brisée) qui trouve sa place définitive « sur le tapis devant l’autel« . De même, l’étoile flamboyante orne l’Orient au 2° grade et le symbole du grade (la pierre cubique) est disposée devant l’autel.
La lettre B disparaît au 1° grade, modification somme toute logique, inspirée par l’exemple suédois : depuis 1750, cette lettre ne figurait plus sur le tableau d’apprenti (Feddersen, 1982, D/90, pl.5).
Pour la première fois l’ouverture des travaux prévoit l’allumage rituel des flambeaux, « en silence« , par le vénérable et de leur « lumière » par les surveillante et le secrétaire. C’était là une innovation notable, sans doute empruntée par Willermoz aux rituels Coens Lors de l’ouverture d’un temple Coen, l’illumination du « Tribunal » était minutieusement décrite. Elle faisait suite à la prière prononcée par le Souverain maître:
« Illumination.
Ensuite le Souv: M. allume son chandelier et les autres lumières prescrites par les Statuts Généraux: Il a soin que ce soit de la lumière de la bougie placée sur l’autel à l’Orient, laquelle ne doit jamais sortir de sa place. Dans les grandes cérémonies, il prend la bougie qui est au centre de son chandelier à sept branches, en faisant sept tours, à chacun desquels il prononce +.
Lorsqu’il a fini d’allumer les bougies que son grade, il ordonne aux deux Réaux + d’aller prendre chacun une bougie, pour continuer l’illumination.
Les deux Réaux + font ensemble une inclinaison, la main droite à l’ordre, et vont, savoir: celui qui est sur la droite du Souv: M., prendre une bougie du chandelier à trois branches qui est devant le Commandeur d’Orient; et le Réaux + qui est à la gauche, prendre la bougie qui est devant le Conducteur d’Occident; lesquelles ils présentent tous les deux au Souv: M., qui les allume à son chandelier à sept branches et les tend aux deux Réaux + pour aller allumer les autels d’Orient et d’Occident: le Réaux + de la droite, l’Orient; le Réaux + de la gauche l’Occident. Après avoir fait, ils reprennent leurs places en s’inclinant vers l’Orient.
Tandis qu’ils reprennent leurs places les surveillants du T(ribunal) s’inclinent tous les deux vers l’Orient et vont à pas libres allumer leurs lumières à l’autel du Conducteur d’Orient.
Les surveillants du P(orche) font la même cérémonie et allument leur lumière à l’autel du Conducteur d’Occident. »

(« Cérémonies à observer pour les officiers du Temple des Elus Coens », fonds Thory, B.N.)
La ressemblance avec l’illumination de la loge Rectifiée est frappante.
. En 1778 encore, les flambeaux étaient allumés avant l’ouverture de la loge selon l’usage constant de la maçonnerie française. Cet usage, toujours inconnu en Angleterre, sera plus tard adopté par les loges de tous rites et complété, au XX° siècle, par l’énoncé des paroles rituelles « Que la sagesse…que la force …que la beauté… » (au Rite écossais Ancien et Accepté et au Rite Moderne Belge).

Apparaissent également la succession des « heures », si caractéristique du Rectifié , et le retour à l’heure profane lors de la fermeture.

Une prière est prononcée à l’ouverture et à la fermeture de la loge. Le rituel imprimé ne comporte que celle de fermeture. Toutes deux sont contenues dans le manuscrit de La Haye.
Les fonctions du Préparateur sont considérablement développées: 8 pages manuscrites contre deux seulement à Lyon. Les questions d’Ordres sont celles de Lyon dans le texte imprimé. La version manuscrite, sans doute rédigée plus tard, ajoute à la première question cette chute nouvelle: « …et que pensez-vous de la religion chrétienne?« .

A la porte de la loge le récipiendaire décline son nom de baptême et celui de son père. L’introducteur l’abandonne, dès son entrée,  au soin du second surveillant qui lui fait subir l’épreuve du glaive.

La triple enceinte de Lyon disparaît, remplacée par les FF « formant la loge » autour du tapis lors des voyages (par le Nord, le Midi et le Nord) du récipiendaire, lequel assume pour la première fois les états de cherchant-persévérant-souffrant. Après avoir gravi, puis redescendu , les trois premières marches de l’escalier du temple, il gagne l’Orient par « trois grands pas en équerre sur le tapis » (le premier de l’Occident au Midi, le deuxième du Midi au Septentrion, le troisième du Septentrion à l’Orient), subit l’épreuve fictive du sang et prête une obligation qui, innovation sans doute due à la religiosité du duc de Brunswick, contient une clause de fidélité à la « sainte Religion Chrétienne ». Au préalable il a du répondre à la question concernant l’évangile de Saint Jean ainsi formulée: « Votre main est posée sur l’évangile de Saint Jean, le croyez-vous? » (à Lyon, la question était « y croyez-vous? ».). Les châtiments physiques sont remplacés par une pénalité toute morale: « Si j’y manque, je consens d’être réputé homme sans honneur et digne du mépris de tous mes frères… » Les pénalités physiques d’autrefois sont cependant rappelées dans l’Instruction morale du grade qui les énumère in extenso, non sans ajouter qu' »une sage précaution les fit supprimer ».

Le catéchisme, ou instruction par questions et réponses, est divisé en trois sections. Il distingue trois lumières, qui sont « le soleil, la lune et le vénérable maître« , de trois autres, représentées par le chandelier à trois branches de l’autel d’Orient, qui font allusion à la « triple puissance qui ordonne et gouverne le monde« , notion des plus martinéziste malgré son apparence trinitaire. Le premier ensemble ne peut désigner que les flambeaux d’angle. La Bible cesse d’être un « meuble »: « elle signifie le pouvoir qui est confié au vénérable maître, qui est fondé sur la loi même qui constitue la loge« .

Le pavé mosaïque qui à Lyon « ornait le seuil de la porte et s’appliquait aux compagnons » couvre ici « l’entrée du souterrain du temple entre les deux colonnes », rappel sans doute des degrés « cryptiques » que Willermoz connaissait de longue date. N’avait-il pas fait suivre sa signature du titre « Roïal Arche » dans la lettre à Chaillon de Jonville, citée plus haut? Relevons cependant que le souterrain sous le Mont Moriah était également décrit dans un catéchisme des Elus Coens, le « Philosophe Elu Coen de l’Univers ».

L’ouverture successive aux 1°, 2° et 3° grades est prescrite lors des travaux aux grades supérieurs, sans qu’il soit possible d’y déroger. Au grade de compagnon apparaît la 2° maxime (« Celui qui ayant embrassé le chemin de la vérité n’a pas le courage…« ) qui vient compléter les deux prévues à Lyon, tandis que le récipiendaire est dispensé des deux derniers des cinq voyages. Il gagne l’Orient « par les trois mêmes pas du grade d’apprenti par-dessus le tapis » après avoir monté cinq marches en marquant un temps d’arrêt après le troisième.
Au grade de maître, le tableau à tête de mort est triplé ainsi que l’inscription « pensés (sic) à la mort« . Le mausolée est ainsi décrit:

dans l’angle du Sud-Ouest sera un tableau ou mausolé (sic) posé sur une baze (sic) triangulaire élevée sur trois marches. Au milieu de cette baze sera une urne sépulchrale du haut de la quelle s’élèvera une vapeur enflammée ascendante, et détachée de l’urne: au-dessous de l’urne seront à chaque angle du monument trois petites boules de couleurs bien tranchantes faisant en tout neuf, avec ces mots: « Tria Formant »; et au-dessous de la vapeur enflammée sera une autre inscription avec ces mots: « Deponit Aliena, Ascendit Unus ».

Introduit à reculons, le candidat effectue neuf voyages puis monte les sept marches de l’escalier du temple, avant de gagner l’Orient par trois pas « en diagonale par-dessus le tableau« .

L’ancien mot du maître n’est plus communiqué, mais seulement les lettres J. et A., déjà inscrites sur le tapis. Cette décision signifiait l’abandon de la tradition française, conservée au Rite du même nom, qui prévoyait la communication de l' »ancien mot », en fait le tétragramme hébraïque, dès la réception à la maîtrise. Le troisième grade se vit ainsi amputé de sa conclusion logique, d’où la nécessité d’un grade supplémentaire qui vienne pallier cette lacune. Le même processus, en Grande-Bretagne, amena le développement du degré de l’Arche Royale.

Le « nom » du maître est Gabaon et le mot de reconnaissance Schi…

L’ébauche du quatrième grade, avec l’introduction de Saint André et de la Jérusalem céleste, est publié en annexe.

6. L’influence méconnue du Rite Suédois.

En arrivant à Wilhelmsbad, Willermoz ne connaissait des rituels suédois que ce que Charles de Hesse avait bien voulu lui confier dans une lettre du 22 septembre 1780 (publiée in Van Rijnberck, 1948 : 19). Lors de la 12° séance (31 juillet), il demanda que « soient lus les différents cahiers arrêtés au Convent National (de Lyon), ainsi que ceux de Suède et de Berlin ». Il eut gain de cause puisque ceux-ci furent remis, nous l’avons vu, au comité des rituels.

On sait peu de chose du Rte Suédois en dehors des pays scandinaves, sinon qu’il est chrétien et que l’influence française, et non britannique, y est prédominante, la franc-maçonnerie ayant été introduite en Suède en 1735 par le comte Axel Ericson Wrede-Sparre, initié à Paris vers 1730, suivi par le baron Charles-Frédéric Scheffer, initié lui aussi à Paris le 14 mai 1737 dans la loge Coustos-Villeroy, qui devint le premier Grand Maître National en 1753. En 1756, les rituels français utilisés jusque là furent revus par une commission présidée par le Comte Posse, vénérable de la loge Saint Jean Auxiliaire (le baptiste) fondée le 13 janvier 1752. La même année fut « régularisé » Charles Frédéric Eckleff (1723-1786), un employé du ministère des affaires étrangères, qui fonda, le 30 novembre, une loge de Saint-André intitulée « L’Innocente », puis, le 25 décembre 1759, le « Chapitre Illuminé de Stockholm ». Devenu Ordens+Meister, il le présida jusqu’à ce que lui succède, le 14 mai 1774, le duc de Sudermanie (1748-1818) qui deviendra roi de Suède en 1809 sous le nom de Charles XIII.  Ces deux personnages donnèrent au Rite Suédois la forme qui est toujours la sienne : trois grades symboliques dits de Saint-Jean, trois grades écossais, dits de Saint-André, quatre grades capitulaires d’inspiration templière et un grade ultime, le onzième, dit Chevalier Commandeur de la Croix Rouge.

En 1782, le système était encore inachevé. Le prince Charles de Hesse en énuméra les grades lors de la 9° séance du convent :

  • Loges de Saint Jean. Apprentif, Compagnon, Maître.
  • Loges de Saint André. Appr. Comp. Maître.
  • Chev. d’Orient. Historique du T.
  • Chev. d’Occident – continuation du T. , nommé sous officier ou officiant.
  • Grand Officier ou Confident de Saint Jean.
  • Magister Templi

Les rituels scandinaves sont rarement mentionnés et ne sont jamais discutés. Le souci du secret, très développé dans ces lointaines contrées, a toujours empêché qu’ils soient divulgués. Aujourd’hui encore ils sont jalousement conservés dans les archives des loges et confiés aux officiers pour la seule durée des tenues. Ils ne furent jamais publiés en français, ni en anglais. Je n’en connais qu’une divulgation allemande, plus tard traduite en néerlandais, « Sarsena… » (Bamberg, 1816) qui n’en présente que les grades de Saint-André (P.Noël, 1998). Willermoz pourtant les reçut en dépôt, en suédois et en français, ce qui explique que certains d’entre eux (les grades de Saint-André en tout cas) se trouvent aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Lyon.

Personne, à ma connaissance, n’a remarqué l’importance des apports suédois aux rituels adoptés à Wilhelmsbad. Il suffit pourtant d’avoir assisté à une tenue au grade d’apprenti, à Stockholm ou ailleurs, pour constater ces emprunts. Je n’en citerai que les plus significatifs :

  • L’absence de la lettre B sur le tableau de la loge d’apprenti.
  • Les répétitions des annonces par les deux surveillants.
  • La succession des heures (midi, midi plein) en ordre croissant et décroissant lors de l’ouverture et de la fermeture des travaux.
  • La triple répétition des signes pour ouvrir et fermer la loge.
  • La succession cherchant-persévérant-souffrant.

(Par contre, l’influence française est tout aussi évidente. Ainsi la disposition des flambeaux d’angle dans ce système est celle du Rite Français (NE, SE et SO), qui fut abandonnée lors de la réforme de Lyon au profit de la disposition « écossaise ». Ajoutons que la réception à la maîtrise est pratiquement identique à celle adoptée par le Grand Orient de France en 1786).

Autre élément significatif, saint André fut introduit à Wilhelmsbad dans l’ébauche du 4° grade. Or celui ci avait été omis à Lyon, délibérément sans doute puisque Willermoz connaissait, depuis 1761 au moins, un « Chevalier de l’Aigle, du Pélican, Chevalier de Saint-André ou Maçon d’Heredon », c’est à dire le Rose-Croix (A.Joly, 1938 :.9). Pourquoi a-t-il introduit, ou accepté, à Wilhelmsbad une référence qu’il avait négligée 4 ans plus tôt ? Est-il insensé de penser que l’importance accordée à l’apôtre par le système suédois fut la cause de ce revirement ?

IV.  Les remaniements d’après Wilhelmsbad.
1.Le demi-mensonge de Willermoz.

Le Convent, loin d’être le succès espéré, sonna le glas de la Stricte Observance. Les loges allemandes rechignèrent à accepter la réforme de Lyon et, pour la plupart, soit en revinrent à la maçonnerie anglaise soit se tournèrent vers d’autres horizons. Là n’est pas notre propos.

Les Français, par contre, voulurent achever le travail entamé. Dans la lettre célèbre qu’il adressa à Charles de Hesse le 10 octobre 1810, Willermoz s’en explique en des termes soigneusement choisis qui ne révélaient que ce qu’il voulait bien dire à son lointain correspondant:

Votre Altesse se rappelle sans doute que le temps que les députés au Convent général pouvaient accorder pour la durée de cette assemblée étant insuffisant pour perfectionner la multitude des travaux projetés, on s’occupa d’abord des plus importantes; on se borna ensuite à esquisser la réforme des grades symboliques et des deux de l’Ordre Intérieur. L’esquisse des trois premiers considérés comme suffisante pour satisfaire la première impatience des loges et des chapitres et leur faire connaître le véritable esprit qui avait dirigé ce travail fut imprimé et distribué aux députés. Une commission spéciale prise dans le sein de l’assemblée parmi les frères d’Auvergne et de Bourgogne, connus pour les plus instruits, fut chargée d’en faire plus à loisir la révision et la rédaction définitive avec la faculté de s’adjoindre à Lyon et à Strasbourg les frères qu’ils jugeraient les plus capables de leur (sic) aider à perfectionner ce grand et important travail. La rédaction définitive adoptée par les trois provinces françaises et celle d’Italie fut présentée à l’Eminent Grand Maître Général qui l’approuva en 1787. Dès lors, ils furent publiés dans les chapitres de France. (in Steel-Maret, 1893, p.6).

Ce n’était là que demi-vérité. Selon le Recès, les grades bleus avaient été bel et bien achevés à Wilhelmsbad, seuls restaient incomplets le quatrième et ceux de l’Ordre Intérieur. Les chevaliers d’Auvergne et de Bourgogne n’avaient nulle part été constitués en commission des rituels et Willermoz avait outrepassé le mandat reçu en remaniant encore les grades bleus. Certes Brunswick avait entériné, en 1787, la version que le lyonnais lui proposait mais jamais il n’eut connaissance de la rédaction finale des degrés, achevée l’année suivante seulement.

La version officialisée par l’accord a posteriori du Grand Maître Général est déposée aux archives municipales de Lyon. Intitulée « Rituel pour le régime de la franc-maçonnerie rectifiée adoptée au Convent général de l’Ordre à Wilhelmsbad en 1782 » (toutes les versions postérieures au Convent portent la mention « adoptée au Convent général »!), elle porte en première page la précision suivante: « Originaux des grades maçonniques pour les Archives du Directoire Général de Lyon en juillet 1784…utilisés de 1783 à 1788″, mais 1788 est biffé et remplacé par 1785, date qui est celle d’une révision dont nous reparlerons. Certifiés par Millanois, ils furent sans doute utilisés jusqu’à cette date (Ms 5922, bibliothèque de la ville de Lyon).

Publiés récemment par l’I.M.R.E.T.(1987), ils ne s’éloignent guère de ceux adoptés à Wilhelmsbad. Comme de juste, ils prévoient l’ajout de la religion chrétienne dans la première question d’Ordre. Pour le reste la seule modification notable est le déplacement du S.E. au N.E. du triple flambeau d’Orient au troisième grade.

Le 5 mai 1785, le Directoire d’Auvergne décida que le nom de l’apprenti serait dorénavant Phaleg, suite aux révélations de l' »Agent Inconnu » A partir d’avril 1785, Willermoz se désintéressa de son système rectifié. Les révélations mystérieuses d’un « agent », écrites sous une inspiration « surnaturelle », analogue au sommeil magnétique, retinrent toute son attention. Il fonda la « Société des initiés »consacrée à l’étude de ces textes et y reçut Saint-Martin. Selon l’agent inconnu, Tubalcaïn était un personnage détestable, « capable des plus honteuses prévarications en voie charnelle ». Le caractère libidineux du « premier ouvrier en métaux » ne permettait pas qu’on utilise son patronage. Ce n’est que deux ans plus tard que les « initiés » devinrent plus critiques, lorsqu’ils apprirent que l’agent n’était autre qu’une chanoinesse de Remiremont, Marie-Louise de Monspey (Madame de Vallière). Elle n’en continua pas moins à leur envoyer ses « révélations » jusqu’à la fin du siècle. Reconnaissons que l’Agent ne faisait que confirmer les affirmations de Martinez. Le « Traité  de la Réintégration des Etres… » distingue deux sortes d’hommes selon qu’ils descendent de Cain ou de Seth. Les premiers sont irrémédiablement perdus, les seconds susceptibles de recouvrer l' »état glorieux » d’Adam avant sa chute.  Tubalcain appartient de toute évidence à la première catégorie, Phaleg à la seconde. . Tubalcaïn étant un ouvrier en métaux, son initiation ne pouvait être qu' »impure », l’apprenti devant être dépouillé de ses métaux. Phaleg, descendant de Sem, béni par Noé, était « le véritable instituteur de la maçonnerie et le premier qui ait tenu loge ».

2. La dernière révision (1787-1788).

La rédaction finale fut achevée par Willermoz de novembre 1787 à avril 1788, époque qui vit le séjour à Lyon de Louis -Claude de Saint-Martin. Est-ce le « philosophe inconnu » qui lui inspira cette ultime révision? C’est possible, sinon probable (je n’affirme rien). L’ancien secrétaire du « Grand Souverain » s’était toujours tenu à l’écart de la maçonnerie templière, malgré une adhésion tardive et de principe, et ses ouvrages montrent qu’il était resté très proche des enseignements de son maître disparu. A-t’il réveillé chez son ami une flamme quelque peu négligée? Des notes de Willermoz le suggèrent (Dachez et Désaguliers, 1990, pp.16-20). En tout cas la dernière version des rituels bleus, envoyée en 1802 au vénérable maître Achard de la loge de Marseille « la Triple Union » (Ms FM 418, B.N. Paris), témoigne d’une imprégnation Coen jamais atteinte jusque là. Elle ne fut jamais, à ma connaissance, soumise à l’approbation des supérieurs allemands de l’Ordre. Ces rituels , utilisés de nos jours par les loges rectifiées de la Grande Loge Nationale française, ne peuvent, en tout état de cause, être présentés comme conformes aux décision de Wilhelmsbad. Ils s’en éloignent par trop d’innovations qui auraient bien surpris les délégués au Convent.

Les instruments (équerre, niveau, perpendiculaire) complètent le tableau du premier grade.

L’Introducteur accompagne le candidat durant ses voyages, avec le second surveillant.

Le candidat rencontre au cours de ceux-ci les « éléments » (mieux vaudrait dire les « essences spiritueuses »): le feu au Midi, l’eau au Nord, la terre à l’Occident. Cette péripétie, que ne connaissent ni le Rite Ecossais Philosophique ni le Rite français ( les épreuves-purifications y furent introduits à la même époque mais leur signification y est toute différente), relève de la cosmologie de Martinez. Le caractère ternaire de la Création  est le reflet de la « Triple Puissance » qui gouverne le monde: la Pensée, la Volonté et l’Action divine, représentées dans la loge par le triple chandelier d’Orient. D’après Martinez, l’Univers a la forme d’un triangle dont la pointe regarde l’occident, chaque angle étant occupé par un des trois éléments fondamentaux de la matière:

Nord                         Sud
eau                          feu

Occident
terre

Au grade d’Apprenti de l’Ordre des Elu-Coens, les trois éléments sont ainsi disposés autour du candidat, couché à même le sol, les pieds vers l’Orient, et enveloppé dans trois tapis, noir, rouge et blanc, emblématiques desdits éléments (C.A. Thory, 1812, pp. 246-247). Le rituel rectifié rappelle cette disposition et souligne que le candidat parcourt les trois régions en lesquelles le monde est divisé.

Les emblèmes de la Justice (à l’Orient) et de la Clémence (à l’Occident), allusions à la chute du premier homme et à la condition de sa « réintégration » en son état primordial, son successivement présentés au récipiendaire lorsqu’il reçoit « le premier rayon de lumière« .

Au grade de compagnon furent introduits la « vertu » du grade (tempérance) et le rejet de pièces de métal (fer, airain, argent) qui ponctue les trois voyages du récipiendaire, usage sans précédent dans la franc-maçonnerie du XVIII° siècle. L’Instruction ajoute qu’elles devraient être cinq, en conformité avec le nombre théorique de voyages dont les deux derniers sont épargnés à l’impétrant.

D : Qu’avez-vous appris dans les trois voyages que vous avez faits?
R : J’ai éprouvé les vices des métaux mais docile aux avis de mon guide, je les ai jetés à mes pieds, hors de l    ‘enceinte du temple et j’ai obtenu des maximes salutaires.
D : Quels étaient ces métaux?
R : Dans mon premier voyage, j’ai trouvé l’argent au Nord; dans mon deuxième, l’airain au Midi et, dans le     troisième, le fer à l’Occident.
D : Pourquoi ne vous a-t’on pas fait éprouver l’or qui est le premier des métaux?
R : Parce que l’or étant à l’Orient, les apprentis et les compagnons ne pourraient le découvrir.
D : Pourquoi ne vous a-t’on pas fait connaître les deux autres métaux?
R : Je ne sais, ayant été dispensé des deux derniers voyages.

Cette péripétie nouvelle était empruntée au grade de Maître élu, quatrième grade de la hiérarchie coen qui en contenait onze (R.Dachez, 1981, pp. 189-191). L’épreuve la plus remarquable du rituel est un ensemble de cinq serments que doit prêter le récipiendaire, aux quatre points cardinaux puis au centre du temple. Chacun se termine par la formule « Abrenuncio » et le rejet d’une pièce de métal: de plomb à l’Occident, de fer au Septentrion, de cuivre au Midi, d’or à l’Orient et d’argent au centre. L’ordre des métaux diffère mais l’inspiration est bien reconnaissable.

Le troisième grade, inchangé dans l’ensemble, voit l’introduction de la vertu de prudence qui complète l’énumération des vertus cardinales.

3. Le grade de maître écossais de Saint André.

Il ne fut achevé qu’en 1809 par Willermoz alors âgé se 79 ans et devenu bien seul:

J’ai annoncé plus haut à Votre Altesse que le travail de rédaction presque fini du 4° grade avait été forcément suspendu en 1789…Vingt années se sont écoulés en cet état, mais l’année dernière après la grande maladie que j’essuyai me voyant rester seul de tous ceux qui avaient participé à cet ouvrage, effrayé du danger que je venais de courir et sentant vivement toutes les conséquences fâcheuses qui en résulteraient si cette lacune dans le régime rectifié n’était pas rempli avant ma mort, j’osai entreprendre de le faire (in Steel-Maret, 1893, pp. 12-13)

Dans cette lettre adressée en 1810 à Charles de Hesse, le patriarche lyonnais rappelait que le Convent n’avait arrêté que les bases du quatrième grade, avec le tableau de la Nouvelle Jérusalem et la montagne de Sion surmontée de l’agneau triomphant. Par contre, il s’abstint soigneusement d’ajouter que les « discours » et l' »Instruction finale », entièrement de sa main, constituaient une introduction très complète à la doctrine de Martinez et un excellent prélude aux enseignements de la (Grande) Profession, que n’avaient jamais, et pour cause, prévus les députés au Convent.. De fait ces textes étaient l’occasion d’expliciter enfin la filiation spirituelle de l’ensemble de l’oeuvre.

Le grade lui-même ne s’écarte guère de l’ébauche de Wilhelmsbad. Le quatrième tableau et son évocation de l’Apocalypse, la référence à saint André paraissent bien appropriés à un grade de transition qui « figure le passage de l’Ancien au Nouveau Testament« . Rien là de bien neuf. Au-delà même de l’ébauche du Convent, Willermoz n’avait qu’à puiser dans ses souvenirs: le dernier grade du chapitre des chevaliers de l’aigle noir n’était-il pas, en 1761, la « chevalier de Saint André » (A.Joly, 1938, p.9). Quant à la Nouvelle Jérusalem, elle apparaissait au grade de « Sublime Ecossais » (source probable du 19° degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté) qui avait pour thème « une haute montagne où il y a une ville carrée qui a douze portes » (lettre de Meunier de Précourt, 1761, in Steel-Maret, 1893, p.75). Ces développements permettaient à Willermoz d’affirmer « L’Ordre est chrétien, il doit l’être  et ne peut admettre dans son sein que des chrétiens ou des hommes libres disposés à le devenir de bonne foi ».

L’instruction était aussi l’occasion de définitions dont le style et la conception semblent empruntées aux catéchismes en usage dans le diocèse de Lyon à l’époque (J.Granger, 1978, in « La Franc-maçonnerie chrétienne et templière des Prieurés Ecossais Rectifiés », 1982). Ainsi en va-t-il des Juifs exclus « religieusement » du Rite, de la fraternité limitée aux seuls maçons chrétiens, de l’Ancienne Loi considérée comme « abolie ». Toutes, notons-le, furent introduites tardivement (les rédactions antérieures les ignoraient) alors que s’affirmait le messagemartinéziste. .

Le patronage de Saint André permit aussi l’achèvement de la médaille du grade. Jusque là,  elle n’avait qu’une face avec le double triangle et l’initiale du nom d’Hiram, comme le montre la médaille de maître écossais de Willermoz conservée à la bibliothèque municipale de Lyon. Depuis la révision finale, elle présente à son revers le martyre de l’apôtre sur la croix « en sautoir » qui porte son nom.

V. Epilogue.

Willermoz vit-il jamais exécuter son dernier rituel? On peut en douter. Le Rite Rectifié ne se remit jamais des événements révolutionnaires qui virent la disparition des institutions fondées avant 1789. Certes quelques loges ranimèrent le flambeau, à Marseille, Avignon, Paris et, surtout, Besançon mais leur existence fut éphémère ou sporadique. Cambacérès, chef de la maçonnerie française sous l’Empire, accepta la Grande Maîtrise du Rite en 1809 mais ce fut là un geste de pure forme. Willermoz remit à la Préfecture de Neustrie (Paris) cahiers et rituels en 1808 mais celle-ci ne survécut guère à cet envoi. Lorsqu’il mourut, le 29 mai 1824, ne subsistaient que le Grand Prieuré d’Helvétie, fondé en 1779, et celui de Bourgogne, reconstitué à Besançon en 1817, tous deux appartenant à la V° Province.

Après quelques années de léthargie, le Directoire  de Bourgogne fut réveillé à Besançon le 5 avril 1840,  peu avant la reprise des travaux (5 juin) de la loge « La Sincérité et la Parfaite Union »  qui s’unit le 26 septembre 1845à la « Constante Amitié » du même Orient. Dépositaires des archives de l’ancien Directoire de Strasbourg, V° province, cette loge, inscrite aujourd’hui encore au tableau du Grand Orient de France, abandonna par la suite la pratique du Rite Ecossais Rectifié, pour ne la reprendre qu’en 1937.

De nos jours, les deux seules filiations légitimes du Rite sont le très irrégulier Grand Orient de France et le Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie, obédience-mère des Grands Prieurés actuels , qu’ils soient  « des Gaules », « de France », « d’Amérique » ou « de Belgique » Comme pour toute obédience de « hauts-grades », leur régularité dépend de celle des Grandes Loges où elles recrutent leurs membres. .

VI. Conclusions.

Mon récit s’arrête là car les péripéties ultérieures renvoient sans plus à l’évolution idéologique et obédientielle des XIX° et XX° siècles. Une seule mérite d’être citée: la décision du Directoire du Grand Prieuré d’Helvétie de scinder le quatrième grade en « maître écossais » et « maître parfait de Saint André » (29 novembre 1893). Cette partition qui allège le pesant rituel de 1809 s’accompagna aussi, heureusement, de la suppression des remarques désobligeantes, voire outrageantes, à l’égard des Juifs ( également expurgées des rituels en usage de nos jours en Belgique).

Les rituels du Rite Ecossais Rectifié furent élaborés en quelques vingt-quatre années, de 1775 à 1809, qui virent un travail intense et une mise en place laborieuse. On peut y distinguer quatre étapes essentielles: les rituels de Lyon, ceux de Wilhelmsbad, la version « courte » de 1785, la version « longue » de 1788, cette dernière caractérisée par une imprégnation martinéziste qui devait culminer dans le rituel de 1809. Rien n’empêcherait, aujourd’hui, les loges rectifiées de choisir l’un ou l’autre de ces rituels successifs, tous conformes à un moment de la pensée du fondateur.

L’empreinte d’un seul homme, Willermoz, donna à toute cette entreprise une cohérence que peuvent lui envier bien des Rites maçonniques. Convaincu que la maçonnerie devait enseigner des « vérités essentielles », il les trouva, ou crut les trouver , dans l’enseignement de Martinez de Pasqually. Ainsi instruit, il n’eut de cesse qu’il ait imprégné l’institution maçonnique de ce martinézisme, allusif dans les grades bleus, apparent dans les discours et l’Instruction finale du quatrième grade, avoué dans les Instructions secrètes de la Profession. Reconnaissons qu’il sut habilement se servir de la tradition maçonnique française pour communiquer un message théosophique qui lui était étranger.

Mais si le martinézisme est sans conteste la ligne directrice de la réforme, la structure du Rite reste celle de la maçonnerie ordinaire, c’est à dire une adaptation plutôt réussie de l’héritage britannique. Heureusement d’ailleurs puisque cela seul justifie qu’il ait sa place au sein de la maçonnerie régulière. Nous pouvons sans crainte poser la prémisse suivante: le Rite Rectifié est une forme parmi d’autres de maçonnerie traditionnelle qui s’en distingue par un apport doctrinal extra-maçonnique dont chacun fait ce qu’il lui plaît, Martinez n’étant ni un juge infaillible ni, a fortiori, un Père de l’Eglise.

Le christianisme du Rite, si souvent allégué, est, à mes yeux, un faux problème. Certes Willermoz était un chrétien dévot et un catholique engagé, ce que n’étaient ni Martinez ni Saint-Martin, chrétiens eux aussi mais bien peu orthodoxes. Les rituels qu’il rédigea s’en ressentirent malgré le soin qu’il mît à les rendre acceptables aux luthériens de Strasbourg et d’ailleurs. Vu le personnage, on ne peut s’étonner d’affirmations écrites sous l’Empire telles : « Les Juifs, les mahométans et tous ceux qui ne professent pas la religion chrétienne ne sont pas admissibles dans nos loges » (Instruction finale du quatrième grade) ou encore  « L’institution maçonnique, tous les faits le démontrent, est religieuse et chrétienne » (lettre de 1814-1815, in cahiers verts, n°10-12, 1992, pp. 241-268). Willermoz était un homme de son temps, d’une époque où les Juifs n’étaient que tolérés dans la société. Rien ne sert de le lui reprocher, n’est pas l’abbé Grégoire qui veut! Remarquons plutôt qu’il fallut 1809 pour que soit explicitée une exclusion jusque là tacite. Outre une radicalisation due à l’âge que j’appellerais volontiers le syndrome de Jean Barrois, j’y verrais plutôt la réaction à une situation nouvelle qui rendait plausible  ce qui était autrefois impensable: la candidature d’un Juif à l’initiation maçonnique. N’avaient-ils pas enfin acquis, en 1791, ce droit de cité que l’Ancien Régime leur avait toujours refusé?

Les oeillères et les petitesses du patriarche lyonnais, pour compréhensibles (je ne dis pas excusables) qu’elles soient, suffisent en tout cas pour que nous refusions, sans crainte d’altérer la « tradition », des affirmations aujourd’hui inacceptables même pour l’Eglise de Jean-Paul II. Certains affirment, certes, que le Rite Rectifié est chrétien dès le premier grade  et ne peut accepter que des chrétiens à l’initiation. Cette évidence découlerait du contenu des rituels, sans même qu’il faille insister sur la personnalité de son rédacteur. Or les rituels symboliques , si on veut bien les lire naïvement, ne disent rien de tel. Ils sont d’abord des rituels maçonniques entièrement basés sur la construction du temple de Salomon et sa réédification par Zorobabel, sans  contenu intrinsèquement chrétien.

La clause de « fidélité à la Sainte Religion Chrétienne » de l’obligation Il ne suffit pas d’exiger dans un serment la fidélité  à la religion chrétienne (ou israélite, ou musulmane) pour que l’objet de ce serment devienne chrétien (ou israélite ou musulman). Imaginez qu’une telle clause soit ajoutée au serment d’Hippocrate, cela ne ferait pas de la pratique médicale une pratique chrétienne (ou israélite ou musulmane). , le nom de baptême du candidat et celui de son père (question qui revient à exclure les convertis, un comble même à l’époque), la question d’ordre concernant la religion chrétienne (introduite après Wilhelmsbad) sont des ajouts de surface qui ne changent rien ni au fond des rituels ni à leur « efficacité » initiatique, ni même à l’économie générale du système comme le démontre à satiété l’usage constant des loges Rectifiées belges qui les ont supprimés depuis l’introduction du Rite dans ce pays. L’exposition de l’évangile de Saint Jean est une constante de la maçonnerie continentale depuis son introduction en France et ailleurs (14) L’insistance sur l’Evangile de Saint Jean  vient, me semble-t’il, non de son contenu « ésotérique » mais plutôt de l’importance toute particulière que lui accordait l’Eglise catholique d’avant le Concile de Vatican II. Son prologue était exposé durant la messe et lu par le prêtre après qu’il eût renvoyé les fidèles, quel que soit le jour de l’année liturgique. . Quant aux prières elles ne présentent aucun caractère confessionnel et peuvent être prononcées par tous. Qu’en conclure sinon que les grades bleus rectifiés sont exclusivement « vétéro-testamentaites » comme leurs homologues du Rite Moderne Belge ou du Rite Anglais (ce qui bien sûr n’interdît à personne d’en faire une lecture chrétienne, comme c’est depuis toujours le lot du Pentateuque ou de ce merveilleux chant d’amour charnel qu’est le Cantique des Cantiques). Willermoz lui-même l’admit dans une lettre adressée à Bernard de Türckheim (8 juin 1784, in Renaissance Traditionnelle, 26:285, 1978):

Vous ne pouvez nier que les trois premiers grades ne peuvent présenter que des emblèmes et des symboles…tous fondés sur le temple de Jérusalem ou l’Ancien Testament qui lui-même est fondé sur la Loi écrite ou religion révélée qui a succédé à la Loi ou religion naturelle, lesquelles sont désignées dans nos loges par les deux colonnes du vestibule.

L’Instruction finale de 1809 ne dit rien d’autre:

Tout ce que vous avez vu jusqu’à présent dans nos loges a eu pour base unique l’Ancien Testament et pour type général le temple célèbre de Salomon à Jérusalem qui fut et sera toujours un emblème universel.

Avec le quatrième grade apparaît une autre dimension. Le tableau final est la première référence chrétienne univoque qui soit présentée au maçon rectifié dans le corps d’un rituel, et non dans une glose connexe ou un commentaire parallèle. Rien là que de très normal puisque ce tableau « dont l’explication est si facile figure pour le maçon le passage de l’Ancienne Loi qui a cessé à la Nouvelle apportée aux humains par le Christ » (Instruction finale). Le message est clair. Si les grades bleus sont « vétéro-testamentaires » et maçonniques, ce cycle est clos par le quatrième grade qui annonce ou plutôt ouvre le cycle chevaleresque chrétien. Les deux Ordres, maçonnique et équestre, articulés par un grade de transition, sont distincts comme le sont le Craft britannique et l’Ordre des Knights Templar (ou du Red Cross of Constantine), articulés par le degré intermédiaire du Royal Arch. Dans les faits, le Rite Rectifié s’aligne sur la maçonnerie anglo-saxonne qui offre une série de degrés non-confessionnels et d’autres, chrétiens, ouverts à tous ceux qui en acceptent la spécificité. Rien n’empêche donc qu’un maçon reçoive les quatre premiers grades du Rite rectifié et s’abstienne de poursuivre si sa conscience lui interdit d’accepter le christianisme de l’Ordre Intérieur. N’est-ce pas ce que  Willermoz écrivait  dans la lettre déjà citée de 1814-1815:

La première des trois question d’Ordre présentée à la méditation du candidat dans la chambre de préparation est ainsi formulée: quelle est votre croyance sur l’existence d’un Dieu créateur et Principe unique de toutes choses, sur la Providence et sur l’immortalité de l’âme humaine, et que pensez-vous de la religion chrétienne? A cette question le candidat répond librement tout ce qu’il veut et on ne le conteste nullement. On lui présente les mêmes questions aux deuxième, troisième et quatrième grades et on ne le conteste point sur ses réponses. Mais au quatrième on le prévient que le moment est venu de faire connaître franchement ses pensées sur leur contenu et que ses progrès ultérieurs dans l’Ordre dépendront de la conformité de ses principes et opinions avec ceux de l’Ordre.

Le candidat répond donc librement à la question « sans qu’on le conteste« , il peut exprimer une conviction qui ne soit pas celle de son interlocuteur et néanmoins être reçu jusqu’au quatrième grade inclus. Qu’espérer de mieux? Son admission dans l’Ordre Intérieur, seule, dépendra « de la conformité de ses réponses« . Laissons là le côté déplaisant et inquisitorial du questionnaire, impensable de nos jours (dans les Ordres chrétiens anglo-saxons, le candidat doit reconnaître une Foi trinitaire sans que nul ne s’avise de s’informer si elle est « conforme » aux principes de l’Ordre), contentons-nous de l’aveu même s’il est involontaire, ce que je concède volontiers. Sans doute Willermoz a-t-il mal mesuré ses paroles, n’ayant jamais prévu la lecture iconoclaste que j’en fais, pas plus qu’Anderson n’a imaginé ce que certains feraient de son « athée stupide »! Qu’importe si, dans une intuition prémonitoire, le lyonnais a laissé échapper un propos qui, aujourd’hui, permet la pratique harmonieuse d’un des Rites les mieux conçus que la maçonnerie connaisse, en parfaite concordance avec les principes de la Franc-Maçonnerie régulière .

Résumé.

Stricte Observance 1775.

  • Symboles des grades bleus et devises
  • Lumière en deux temps, « Sic transit Gloria Mundi »
  • Ecossais vert: quatre lumières, un tableau (Hiram ressuscitant)

Lyon 1776.

  • symbole du 4°grade (lion…)

Lyon 1778.

  • questions d’Ordre
  • disposition « écossaise » des lumières
  • maximes
  • Question-test évangile de Saint Jean
  • omission des pénalités
  • miroir au 2°
  • mausolée du 3°
  • Ecossais:

* deuxième temple

* trois tableaux

* Zorobabel

* découverte du « Nom »

Wilhelmsbad 1782

  • triangle d’Orient
  • allumage des flambeaux
  • prières
  • nom de baptême et « Sainte religion Chrétienne »
  • structure ternaire de l’homme
  • ouverture successive aux trois grades
  • disparition du mot de maître
  • ébauche du 4° grade (saint André)

Lyon 1785

  • Phaleg
  • déplacement du flambeau du S.E. au 3°

Lyon 1788

  • Justice et Clémence
  • épreuves des éléments
  • rejet des métaux
  • vertus cardinales

Lyon 1809 (4°grade)

  • 4° tableau
  • Saint André
  • discours et instruction martinézistes

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Bibliographie.

Bernheim A. (1998) : « La Stricte Observance ». Acta Macionica 8 :67-97. Bruxelles.
Charrière L. (1938) : »Le Régime Ecossais Rectifié et le Grand Orient de France. Notice historique: 1776-1938″. Paris
Dachez R. (1981) : « Les premiers grades Coens. A propos d’un grade d’Elu (4° grade) ». Renaissance Traditionnelle 71: 161-192)
Dachez R. et R.Désaguliers (1989-1990) : « Essai sur la chronologie des rituels du Rite Ecossais Rectifié pour les grades symboliques jusqu’en 1809. » Renaissance Traditionnelle 80:286-316; 81:1-56
Désaguliers R. (1983) : »De la loge-mère de Marseille à la « Vertu Persécutée » d’Avignon et au « Contrat Social. » Renaissance Traditionnelle 54-55:88-101.
Feddersen K.C.F. (1982) : « Die Arbeidstafel in der Freimaurerei ». Quatuor Coronati n°808 Bayreuth
Granger J. (Eques a Rosa Mystica) (1986) : « La franc-maçonnerie chrétienne et templière des Prieurés Ecossais Rectifiés ». Paris
Joly A. (1938) : « Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie. Jean-Baptiste Willermoz. 1730-1824. » Lyon
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« Minutes des Protocoles français tenus à l’assemblée du Convent Général de Wilhelmsbad en 1782 avec recès original du Convent en langue française et annexes aux protocoles » (deux volumes) Circulation privée. Bruxelles.
Noël P. (1993) : « Genèse et devenir du Rite Français dit Moderne ». Acta Masonica 3:37-76, Bruxelles.
Noël P. (1998). « De Stocholm à Lyon. D’un rituel suédois et de l’usage qu’en fit J.B.Willermoz ». Acta Macionica 8 :99-150., Bruxelles.
Steel-Maret E. (1893) : « Archives secrètes de la franc-maçonnerie ». Lyon. Rééd. Slatkine, Paris-Genève, 1985.
Thory C.A. (1812) : « Histoire de la fondation du Grand Orient de France ». Rééd. 1981, Paris
Van Rijnberck G. (1935-1938) : « Un thaumaturge au XVIII° siècle. Martinez de Pasqually, sa vie, son oeuvre, son Ordre ». Deux volumes, Lyon.
Van Rijnberck G. (1948) : « Episodes de la vie ésotérique. 1780-1824 ». Lyon.
Var J.F. (1991) : « La Stricte Observance ». Travaux de la loge nationale de recherches « Villard de Honnecourt » 2°série, 23:15-122
Verval G. (1987) : « La spécificité du Rite Ecossais rectifié ».  Nivelles

Remerciements.
Je remercie chaleureusement mon ami Frits van Geleuken qui m’a communiqué les copies des rituels établis aux Convents des Gaules et de Wilhelmsbad (références dans le texte), conservés au fonds Kloss de la bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas.

Légendes des planches :
Pl. 1: loge  d’apprenti de la Stricte Observance. Noter la disposition des chandeliers d’angle.
Pl. 2: tableau du 3° grade (Stricte Observance).
Pl. 3: tableau du 4° grade (Stricte observance): Hiram sortant du tombeau.
Pl. 4: tableau d’écossais tiré de la divulgation « Les francs-maçons écrasés… » (1747).
Pl. 5: tableau d’apprenti, Rite Suédois, vers 1770.

Annexe
N°1: esquisse du 4° grade adopté à Wilhelmsbad.

Notes