Les Constitutions d'Anderson (Obligations), 1723

Les Constitutions d’Anderson de 1723 sont un texte fondateur qui a marqué la naissance de la franc-maçonnerie moderne. Elles ont posé les bases d’un système unifié, structuré et universel, tout en affirmant des valeurs de tolérance, de fraternité, et de perfectionnement moral. Aujourd’hui encore, elles demeurent une référence pour de nombreuses obédiences à travers le monde, témoignant de leur importance historique et philosophique dans l’évolution de l’Ordre maçonnique.
La franc-maçonnerie du début du XVIIIᵉ siècle est marquée par un besoin d’unification et de régulation. Avec la fondation de la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717, les loges anglaises cherchent à se doter d’un cadre légal et symbolique commun. Ce cadre doit permettre de rassembler les maçons opératifs (constructeurs de cathédrales et d’ouvrages) et les maçons spéculatifs (pensée philosophique et spirituelle). En 1721, la Grande Loge charge James Anderson aidé de Jean-Théophile Désaguliers de compiler et de rédiger un document qui synthétiserait les traditions anciennes, tout en les adaptant aux aspirations modernes de la franc-maçonnerie. Publiées pour la première fois en 1723, les Constitutions d’Anderson remplissent cette fonction. Elles constituent un texte central pour comprendre la transition de la maçonnerie opérative des tailleurs de pierre du Moyen Âge vers une institution spéculative philosophique et fraternelle. Les Constitutions d’Anderson sont encore aujourd’hui une référence incontournable pour de nombreuses obédiences maçonniques à travers le monde.

OBLIGATIONS
D’UN
FRANC‑MAÇON

EXTRAITES

Des anciennes ARCHIVES des LOGES d’Outre‑mer, et de celles d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, pour l’Usage des Loges de LONDRES

A LIRE
Lors de l’admission de NOUVEAUX FRÈRES, OU quand le VÉNÉRABLE l’ordonnera

Titres généraux

I. DIEU et de la RELIGION.
II. Du MAGISTRAT CIVIL (suprême et subalterne).
III. Des LOGES.
IV. Des VÉNÉRABLES, Surveillants, Compagnons et Apprentis.
V. De la Direction du Métier pendant les Travaux.
VI. De la TENUE, c’est‑à‑dire :
1° Dans la Loge quand elle est constituée ;
2° Quand la Loge est fermée et que les Frères ne sont pas partis ;
3° Quand les Frères se réunissent sans Étrangers, mais pas en Loge ;
4° En Présence d’Étrangers non Maçons ;
5° A la Maison et dans le Voisinage ;
6° Envers un Frère inconnu.

I. Concernant DIEU et la RELIGION

Un Maçon est obligé, par sa Condition, d’obéir à la Loi morale ; et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un Athée stupide, ni un Libertin irréligieux. Mais bien qu’aux Temps anciens les Maçons fussent tenus en tout Pays d’appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu’elle fût, on estime cependant, main­tenant, plus convenable de ne leur imposer que cette Religion sur laquelle tous les Hommes sont d’accord, et de les laisser libres de leurs Opinions particulières : c’est‑à‑dire, être des Hommes bons et loyaux, ou Hommes d’Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations et Croyances qui puissent les distinguer. Ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de promouvoir la véritable Amitié entre des Personnes qui eussent dû rester perpétuellement séparées.

II. DU MAGISTRAT CIVIL (suprême et subordonné)

Un Maçon est pour les Pouvoirs Civils un paisible sujet, où qu’il réside ou travaille, et ne doit jamais être impliqué dans des Complots et Conspirations contre la Paix et le Bien‑Être de la Nation, ni se conduire irrespectueusement à l’égard des Magistrats subalternes. Alors que la Guerre, l’Effusion de Sang et la Confusion ont toujours nui à la Maçonnerie, les anciens Rois et Princes ont toujours été fort enclins à encourager les Artisans à cause de leur Calme et leur Loyauté. C’est ainsi qu’ils répondirent pratiquement aux Chicanes de leurs Adversaires et servirent l’Honneur de la Confrérie, qui a toujours prospéré en Temps de Paix. Si bien que si un Frère se rebellait contre l’État, il ne doit pas être soutenu dans sa Rébellion, bien qu’il puisse être cependant pris en pitié comme un Homme malheureux ; et s’il n’est convaincu d’aucun autre Crime, la loyale Fraternité doit désavouer sa Rébellion, mais ne doit point porter Ombrage au Gouvernement du moment ni lui donner un Motif de Jalousie politique. On ne peut l’exclure de la Loge et ses Relations avec elle demeurent imprescriptibles.

III. Des LOGES

Une Loge est un endroit où s’assemblent et travaillent les Maçons. I1 s’ensuit que cette Assemblée, ou société de maçons dament organisée, est nommée LOGE, et chaque Frère doit appar­tenir à l’une d’elles ; et se soumettre à ses Statuts et aux RÉGLEMENTS GÉNÉRAUX. Elle est soit particulière soit générale, et sera d’autant mieux comprise qu’elle sera fréquentée, et selon les Règlements de la Loge Générale ou Grande Loge, annexés ci‑après. Aux Temps anciens, aucun Martre ou Compagnon ne pouvaient s’en absenter, surtout s’ils étaient avertis d’avoir à y venir, sans encourir une sévère Censure, à moins qu’il n’apparût au Vénérable et aux Sur­veillants que seule la Nécessité les en avait empêchés.

Les Personnes admises comme Membres d’une Loge doivent être des Hommes bons et loyaux, nés libres, et d’un Age mûr et discret, ni Serfs, ni Femmes, ni Hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne Réputation.

IV. Des MAÎTRES (Vénérables), Surveillants, Compagnons et Apprentis

Tout Avancement parmi les Maçons n’est fondé que sur la Valeur réelle et le seul Mérite personnel, afin que les Seigneurs soient bien servis, les Frères non humiliés, et que 1’0rdre Royal ne soit point méprisé. En conséquence, aucun Vénérable ou Surveillant n’est choisi pour l’Ancienneté, mais pour son Mérite. I1 est impos­sible de décrire ces Choses par écrit, et chaque Frère doit jouer son Rôle et apprendre tout cela d’une manière particulière à cette Confrérie. Seuls les Candidats peuvent savoir qu’aucun Vénérable ne saurait prendre un Apprenti s’il n’a pour lui un Emploi suffisant, et à condition qu’il soit un Jeune Homme accompli : I1 ne doit avoir aucune Mutilation ou Défaut en son Corps qui puissent le rendre incapable d’apprendre l’Art ou de servir le Seigneur de son Véné­rable, d’être initié comme Frère, puis, le moment venu, comme Compagnon, lorsqu’il a servi tel Nombre d’Années prescrit par la Coutume du Pays. I1 doit aussi descendre de Parents honnêtes, pour qu’ainsi il puisse atteindre —lorsqu’il sera autrement qua­lifié— à l’Honneur d’être SURVEILLANT, puis Vénérable de la Loge, puis Grand‑Surveillant, et enfin, selon son Mérite, GRAND‑MAÎTRE de toutes les Loges.

Aucun Frère ne peut être SURVEILLANT n’a fait son devoir comme Compagnon, ni VÉNÉRABLE s’il n’a rempli les fonctions de Surveillant ; de même, il ne peut être GRAND‑SURVEILLANT s’il n’a été Vénérable d’une Loge, ni Grand‑Maître s’il n’a été Compagnon avant son Élection. Il lui faut être aussi de noble naissance, ou Gentilhomme de la meilleure Sorte, ou quelque Savant éminent, ou quelque délicat Architecte ou autre Artiste. I1 doit descendre de Parents honnêtes, et avoir, de l’Avis des Loges, un Mérite exception­nellement grand. Pour assurer un meilleur, plus facile et plus honorable Exercice de ses Fonctions, le Grand‑Maître a le Pouvoir de choisir son propre GRAND‑MAÎTRE ADJOINT ; celui‑ci doit être alors, ou avoir été précédemment, Vénérable d’une Loge parti­culière ; il a le Privilège d’agir en tout comme le ferait le GRAND ­MAÎTRE, son Chef, à moins que ledit Chef ne soit présent ou n’ait exprimé son Autorité par Lettre.

Ces Dirigeants et Gouverneurs, suprême et subalterne, de l’ancienne Loge, doivent être obéis en leurs Offices respectifs par tous les Frères, selon les Charges et Règlements anciens, et avec Humilité, Révérence, Affection et Empressement.

V. De la Direction du MÉTIER pendant les Travaux

Tous les Maçons doivent travailler aux Jours ouvrables pour pouvoir vivre honorablement aux Jours de Fête ; et le Temps désigné par la Loi ou le pays, ou confirmé par la Tradition, doit être observé.

Le plus expert des Compagnons doit être choisi ou nommé Maître (Vénérable) ou Contremaître des Travaux du Seigneur, et ceux qui travaillent sous sa direction doivent l’appeler MAÎTRE. Les Artisans doivent éviter tout écart de Langage, et ne pas se donner mutuellement des Noms désobligeants, mais Frère ou Compagnon. Ils doivent se conduire avec courtoisie à l’intérieur et à l’extérieur de la Loge.

Parce que le Vénérable se sait capable d’Habileté, il doit entreprendre les Travaux du Seigneur, aussi raisonnablement que possible, et administrer loyalement ses Biens comme s’ils étaient les siens. I1 ne doit point donner à aucun Frère ou Apprenti un Salaire plus élevé que celui qu’il mérite réellement.

Comme le Vénérable et les Maçons reçoivent justement leur salaire, ils doivent être fidèles au Seigneur et achever honnêtement leurs Travaux, qu’ils soient à la Tâche ou à la Journée. Ils ne doivent pas mettre à la Tâche les Travaux qu’il est d’usage de faire à la Journée.

Personne ne doit éprouver d’Envie pour la Prospérité d’un Frère, ni le supplanter ou le chasser de son Travail s’il est capable de l’achever pour lui : aucun Homme ne saurait terminer la Besogne d’un autre pour le Profit du Seigneur, s’il ne connaît à fond les Projets et Plans de celui qui l’a commencée.

Quand un Compagnon est choisi comme Surveillant des Travaux sous la direction du Maître, il doit être loyal aussi bien envers le Vénérable que les Compagnons. En l’absence du Maître, il doit diriger les Travaux avec soin et pour le Profit du Seigneur, et ses Frères doivent lui obéir.

Tous les Maçons employés doivent recevoir humblement leur Salaire, sans Murmurer ou se révolter, et ne doivent pas abandonner le Vénérable avant la fin des Travaux.

Un jeune Frère doit être instruit dans les Travaux, pour éviter le gaspillage des Matériaux par manque de Jugement, et pour accroître et maintenir l’Amour Fraternel.

Tous les Outils employés aux Travaux doivent être approuvés par la Grande‑Loge.

Aucun Travailleur ne doit être employé aux Travaux pro­prement dits de la Maçonnerie, et les Francs‑Maçons ne doivent pas travailler avec ceux qui ne sont point libres, sauf Nécessité urgente. De même, ils ne doivent pas instruire les Travailleurs et Maçons non acceptés, comme ils le feraient pour un Frère ou Compagnon.

VI. DE LA TENUE, C’est‑à‑dire :

1° Dans la Loge quand elle est Constituée

On ne doit pas tenir de Comités privés ou de Conversations séparées, sans Autorisation du Vénérable, et l’on ne doit parler de quoi que ce soit d’impertinent ou inconvenant, ni interrompre le Vénérable ou les Surveillants, ou quelque Frère parlant au Véné­rable. On ne doit point se conduire de façon plaisante ou comique lorsque la Loge est occupée à des choses sérieuses et solennelles ni user d’un Langage inconvenant, sous quelque Prétexte que ce soit. Il faut au contraire montrer une Déférence correcte envers le Vénérable, les Surveillants et Compagnons, et l’on doit les honorer.

Si une Plainte quelconque est déposée, le Frère déclaré cou­pable doit se soumettre au Jugement et à la Décision de la Loge, où se trouvent les Juges convenables et compétents pour toutes les Controverses de ce Genre. Il peut toutefois se pourvoir en Appel devant la GRANDE‑LOGE ; mais c’est à la Loge qu’il doit s’adresser, à moins que cela ne nuise aux Travaux du Seigneur : en ce Cas, il peut être procédé à un Renvoi particulier. Mais on ne doit jamais faire appel à la Loi pour ce qui concerne la Maçonnerie, sans Nécessité absolue et évidente pour la Loge.

2° Quand la LOGE est fermée et que les Frères ne sont pas partis

On peut s’amuser d’une Gaieté innocente en se traitant mutuel­lement selon ses Moyens ; mais il faut éviter tous Excès, ne forcer aucun Frère à manger ou à boire au‑delà de son Goût, ni l’empêcher de partir lorsque ses Obligations l’appellent. On ne doit faire ni dire rien de choquant ou qui puisse interdire une Conversation aisée et libre : cela détruirait notre Harmonie, et ferait échouer nos louables Desseins. En conséquence, aucune Dispute ou Querelle privée ne doit franchir la Porte de la Loge, et bien moins encore toutes Querelles à propos de Religion, de Nations, de Politique d’État. En tant que Maçons, nous n’appartenons qu’à la Religion Universelle citée plus haut ; nous sommes aussi de toutes les Nations, Langues, Parentés et Langages, et nous sommes résolument opposés à Toute politique, parce qu’elle n’a encore jamais contribué au Bien‑Être de la Loge, ni ne le fera jamais. Cette Obligation a tou­jours été strictement imposée et observée, spécialement depuis la Réforme en GRANDE‑BRETAGNE, ou Dissidence et Séparation de nos Pays d’avec la Communion de ROME.

3° Quand les Frères se réunissent sans Étrangers, mais pas en Loge

On doit se saluer réciproquement d’une manière courtoise, ainsi que cela sera enseigné, en s’appelant l’un l’autre Frère. I1 faut se donner de mutuelles Instructions si l’on juge la chose utile, mais sans être aperçu ou entendu, et sans abuser l’un de l’autre ou déroger au Respect qui est dû à tout Frère (même à un non‑Maçon). En effet, tous les Maçons sont comme des Frères sur le même Niveau, mais cependant la Maçonnerie ne prend à un Homme aucun des Honneurs qu’il a déjà ; au contraire, elle lui en ajoute d’autres, surtout s’il a bien mérité de la Fraternité : celle‑ci doit honorer ceux qui le méritent, et elle évite les mauvaises Manières.

4° En présence d’ÉTRANGERS non Maçons

Il faut être prudent dans les Paroles et le Maintien, pour que l’Étranger (le Profane) le plus perspicace ne puisse découvrir ou deviner ce qu’il n’est pas convenable de lui communiquer. Il faut parfois détourner un Entretien, et le conduire avec Prudence pour l’Honneur de la respectable Confrérie.

5° A la Maison et dans le voisinage

On doit agir comme il convient à un Homme sage et moral. En particulier, on ne doit rien dire des Affaires de la Loge à sa Famille, ses Amis et Voisins : il suffit de réfléchir sagement sur son propre Honneur et celui de l’ancienne Confrérie, pour des Raisons à ne pas mentionner ici. Quand les Travaux de la Loge sont ter­minés, il faut aussi songer à sa Santé et ne pas s’attarder trop longtemps loin de la Maison ; de même, il faut éviter la Gloutonnerie et l’ivrognerie, ce qui ferait négliger la Famille et la blesserait, et rendrait également impropre aux Travaux.

6° Envers un Frère inconnu

On doit l’examiner avec Prudence et selon la Méthode indiquée par la Circonspection, de manière à n’être point abusé par un ignorant Imposteur, qu’il conviendrait de rejeter avec Mépris et Dérision, et à qui il faudrait se garder de donner les moindres Signes de Reconnaissance.

Mais si l’on découvre qu’il est un vrai et authentique Frère, il faut le respecter en conséquence ; et s’il est dans le besoin, on doit le soulager si l’on peut le faire, ou alors lui indiquer comment il peut l’être. On doit l’employer quelques Jours, ou alors le recommander pour un emploi. Mais on n’est point tenu d’agir au‑delà de ses Moyens, mais seulement de préférer un pauvre Frère (qui est un Homme bon et loyal) à tout autre Pauvre dans les mêmes Circonstances.

EN CONCLUSION, on doit observer toutes ces Obligations, de même que celles qui seront communiquées d’apôtre façon. Il faut cultiver l’AMOUR FRATERNEL, Fondement et Pierre‑Angulaire, Ciment et Gloire de cette ancienne Confrérie ; éviter toutes Disputes et Querelles, Médisance et Calomnie, et ne permettre à quiconque de calomnier un honnête Frère, mais le défendre et lui rendre tous bons Offices autant qu’il est possible pour l’Honneur et la Sécurité, sans plus. Si l’un des Frères cause un Préjudice, on doit s’adresser à sa Loge ou à celle de l’accusé ; on peut ensuite faire appel à la GRANDE‑LOGE, lors de 1’Assemblée Trimestrielle, puis encore à la GRANDE‑LOGE annuelle, selon la louable Coutume de nos Prédé­cesseurs en toutes Nations. Il ne faut jamais laisser prendre à ces choses un cours légal, sauf quand le Cas ne peut être tranché d’autre façon ; on doit écouter avec Patience l’Avis honnête et amical du Vénérable et des Compagnons, s’ils veulent vous éviter d’aller devant la Loi avec des Étrangers ou vous inciter à accélérer la Période de toutes les Instances légales, de manière que vous puissiez vous ‑ occuper des Affaires de la MAÇONNERIE avec d’autant plus d’empressement et de Succès. Quant aux Frères ou Compagnons en Procès, le Vénérable et les Frères doivent leur proposer aima­blement leur Médiation, et les Contestants doivent s’y soumettre avec Reconnaissance. Si la Médiation est impraticable, les Frères en dispute doivent alors poursuivre leur Procès, sans Colère ni Rancune (pas de la manière commune) ; ils ne doivent rien dire ou faire qui puisse entraver l’Amour Fraternel et interdire la continuation des bons Offices. Ainsi, tous peuvent voir la bénigne Influence de la MAÇONNERIE, et ce que tous les vrais Maçons ont fait depuis le Commencement du Monde, et feront jusqu’à la Fin des Temps.

 

Amen, qu’il en soit ainsi.

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