Le Rite Ecossais Ancien et Accepté
Par Pierre Noël, 33e, CBCS
4. Les auteurs des rituels bleus du REAA.
Qui a rédigé ces rituels ? La question ne peut avoir de réponse assurée. Nous ne savons pas et ne saurons peut-être jamais qui en furent les rédacteurs. Ceci n’interdit empêcher d’avancer quelques hypothèses, basées sur quelques prémices simples :
- Le ou les rédacteurs connaissaient la maçonnerie habituellement pratiquée en France.
- Ils étaient familiers de la maçonnerie britannique ou américaine, notamment celle pratiquées dans les loges de Rite ancien.
- Ils disposaient de « Three Distinct Knocks » et en connaissaient suffisamment la langue pour le traduire de façon correcte.
- Enfin, ils devaient avoir un intérêt à diffuser, en France, une maçonnerie d’un style nouveau, différente de celle des loges du GODF.
Ne peuvent répondre à ces critères que des maçons ayant vécu à l’étranger et soucieux de se démarquer du Grand-Orient. Or tel était le cas de ces « Américains » qui voulurent introduire à Paris un système en 33 degrés qu’ils présentaient comme une forme maçonnique plus « universelle » que le Rite Français en 7 grades que pratiquait le Grand-Orient depuis 1786. Pour arriver à leurs fins, Ils se devaient d’offrir des rituels nouveaux pour les trois premiers grades. Or ceux-ci n’existaient pas puisque le premier Suprême Conseil du monde, celui de Charleston, avait précisé qu’il laissait aux Grandes Loges la communication des trois degrés de base.
Il fallait donc les inventer pour la cause. C’est ce que firent les rédacteurs en puisant indifféremment dans les rituels existants.
Très habilement, ils intitulèrent « ancien » Ils ne firent d’ailleurs que traduire la titulature américaine : Grand Lodge of Ancient and Accepted Freemasons. le produit de leur compilation, comme l’avait fait avant eux Laurence Dermott, Grand Secrétaire de la Grande Loge anglo-irlandaise de 1751, et, comme lui, ils qualifièrent leurs rivaux de « modernes ». Dans les deux cas, la fascination qu’exerce toute affirmation d’ancienneté suffit à donner à leur produit un aura d’authenticité Fascination dont nous avons aujourd’hui encore de nombreux exemples. . Mais ils eurent garde d’omettre la revendication « Ecossaise », laquelle eut toujours sur les maçons Français un invincible pouvoir d’attraction depuis les affirmations du chevalier Ramsay et l’apparition des premiers hauts-grades.
Peut-on être plus précis ? Le rituel de la Triple Unité est daté de 1804, ce qui signifie qu’il fut soit rédigé soit copié cette année-là. Le copiste, qu’il soit ou non l’auteur du rituel, devait appartenir à cette loge ou, à défaut, à une loge qui partageait les mêmes préoccupations. Comme rien ne permet d’affirmer que le rituel original fût écrit en 1804, l’enquête peut théoriquement remonter jusqu’à la date de parution de TDK mais les circonstances historiques suggèrent que sa rédaction est postérieure au retour des « Américains » dans leur mère-patrie.
Considérant les critères énoncés plus haut, trois noms viennent immédiatement à l’esprit : Grasse-Tilly, Hacquet et Fondeviolles.
Grasse-Tilly était membre du Contrat Social avant son départ pour les îles. Durant son séjour à Charleston, il fréquenta les ateliers des deux Grandes Loges locales dont l’une était de Rite Ancien Il en fut même grand officier. . De retour à Paris en juillet 1804, il s’employa, avec l’appui de sa loge-mère, à fonder la Grande Loge générale Ecossaise qu’il présida en l’absence de Grand Maître. Il fut le fondateur du Suprême Conseil de France dont il devint le premier Grand Commandeur et il traita de puissance à puissance avec les officiers du Grand-Orient. Le traité d’Union lui assura des fonctions importantes, tant au sein du GODF qu’au sein du Grand Chapitre Général. Son rôle fut cependant de courte durée puisqu’il démissionna de sa fonction de Grand Commandeur le 10 juin 1806 et s’en alla aux armées pour ne revenir à Paris qu’en 1814. Il ne manquait ni d’audace ni d’ambition, mais avait-il les qualités requises pour rédiger de nouveaux rituels ? On peut en douter. Rien dans sa carrière ne le prédisposait à une vocation littéraire. Il ne fut après tout qu’un militaire sans trop d’envergure (il ne dépassa pas le grade de chef d’escadron) et un noble sans ressources qui souvent vécut d’expédients et se vit reprocher d’utiliser la maçonnerie à des fins personnelles et intéressées. Tout cela n’empêche rien, certes, mais n’en fait pas le plus susceptible d’un travail ingrat et sans beaucoup d’éclat.
Germain Hacquet, notaire à Saint-Domingue, fut vénérable d’une loge de Port-au-Prince dépendant de la Grande Loge de Pennsylvanie. Lorsque celle-ci installa, en juin 1802, une Grande Loge provinciale dans l’île, il en fut député Grand Maître Baynard, 1937 : 66. . Lorsqu’il arriva en France, en avril 1804, il était muni d’une patente de député Grand Inspecteur général dont il usa pour établir au sein des loges de la Triple Unité et du Phénix, fondée par lui le 14 juin de la même année Hacquet était vénérable du Phénix lors de la réunion de septembre 1805 qui vit la dénonciation du concordat. , un Consistoire du Rite d’Hérédom (c’est à dire du Rite de Perfection en 25 degrés) pour la France. Reçu au 33° par Grasse-Tilly, il devint Grand Surveillant de la Grande Loge générale Ecossaise puis, lors du concordat, Grand Officier de seconde classe du GODF. Le 22 décembre 1804, il devint également Grand Maître des cérémonies du Suprême Conseil, fonction qu’il exerça jusqu’à son ralliement au Suprême Conseil des Rites Actuel Grand Collège des Rites. constitué par le GO en 1815, dont il devint le premier Grand Commandeur 22 novembre 1815 (in Gout, 1992 : 61). . Hacquet occupa une fonction dirigeante dans les cercles qui virent la naissance des rituels bleus du REAA. S’il n’en fut pas le rédacteur, il avait sans conteste les qualités pour le faire. Il serait plaisant que les rituels bleus du REAA aient été rédigés par le premier Grand Commandeur du Grand Collège des Rites.
Jean-Pierre Mongruer de Fondeviolles, propriétaire à Saint-Domingue, serait revenu en France en 1797. Membre du GODF, Rose-Croix, il fonda la Triple Unité le 25 septembre 1801 puis, en 1804, un consistoire du 32° degré grâce à une patente en blanc reçue de Kingston cette année-là Citation de Kloss, aimablement communiquée par Alain Bernheim. . Reçu au 33° par Grasse-Tilly le 24 octobre 1804, il fut actif dans la Grande Loge générale Ecossaise : lors de la tenue du 3 novembre 1804, il y exerça les fonctions de 2ème surveillant, tandis que Hacquet était 1er surveillant. Il assista à la réunion de septembre 1805 au titre de vénérable de la Triple Unité Ecossaise dont il devint plus tard vénérable d’honneur. Il participa régulièrement aux réunions du Suprême Conseil jusqu’à ce que ses activités parallèles le contraignent à en démissionner en 1812.
Les raisons de cette démission sont importantes car elles permettent de jeter un oeil neuf sur les activités du Suprême Conseil de France, de 1805 à 1812.
En septembre 1805, nous l’avons vu, le Grand Consistoire des 33° et 32° avait dénoncé le traité d’union et décidé que le Suprême Conseil aurait une existence indépendante du GODF. Il maintint cependant les dispositions essentielles du concordat, laissant au GO le soin de conférer les grades jusqu’au 18° et de superviser les chapitres. Ces décisions furent suivies par l’élection de Cambacérès, déjà Grand Maître adjoint du GO depuis le 13 décembre 1805, aux fonctions de Grand Commandeur (1er juillet 1806), laissées vacantes par la démission de Grasse-Tilly (10 juin 1806), et par son installation solennelle (13 août 1806). Le premier acte du Suprême Conseil fut hautement significatif : il renonça à organiser des ateliers de tous grades et décréta que les degrés supérieurs au 18° ne seraient à l’avenir conférés qu’en son sein (décret du 27 novembre 1806 Livre d’or du Suprême Conseil. ) :
Art 1 : La puissance dogmatique du REAA appartient au Suprême Conseil des GIGercée sous sa surveillance par le Grand Consistoire.
Art 2 : le SC a sous sa surveillance
- Le Souverain Grand Consistoire des 32°
- les Conseils particuliers des 32°
- les Tribunaux des 31°
L’organisation des Conseils, Tribunaux, Collèges et Chapitres particuliers, attachés aux degrés supérieurs au 18° jusques et y compris les conseils particuliers des 32° est suspendue jusqu’à ce qu’il en ait été autrement décidé par le Suprême Conseil. Tout arrêté contraire à cette disposition, précédemment pris par le Suprême Conseil est révoqué.
Art 3 : Les degrés supérieurs au 18° degré, jusques et y compris le 32°, ne seront conférés à l’avenir, jusqu’à l’organisation des conseils, tribunaux, collèges et chapitres du degré, que par le SC du 33° degré, ou en vertu d’une délégation spéciale et particulière, émanée de lui.
Art 4 : L’établissement des conseils, tribunaux, collèges et chapitres énoncés à l’article ci-dessus, ne pourra être fait, lorsqu’il y aura lieu, qu’en vertu des Chartes capitulaires accordés par le Grand-Orient ; mais la demande d’établissement ne pourra être formée que par le SC du 33° degré, comme ayant la puissance dogmatique.
Et jusques à l’obtention des chartes capitulaires, les requérans ne pourront se former en trav. du degré dont ils solliciteront les chartes, sous quelque prétexte que ce soit.
Par ce décret, le Suprême Conseil s’interdisait toute possibilité d’extension. Il se condamnait lui-même à une vie végétative, repliée sur le seul cénacle parisien. Que cette décision ait été mal vécue par tous ceux qui, 33° ou non, pratiquaient déjà les degrés supérieurs, parfois en vertu de patentes antérieures à la création du Suprême Conseil, ne peut surprendre. Qu’ils aient décidé de continuer sans tenir compte des décisions d’un organisme lointain et coupé de la base était dans l’ordre des choses. Et c’est bien ce qui se passa : les grades supérieurs du Rite furent conférés dans des ateliers de Paris et de province qui s’estimaient habilités à le faire, sans rendre de compte au Suprême Conseil.
Celui-ci en prit ombrage et, constatant, lors de sa tenue du 15 décembre 1808, que de nombreux frères se décoraient de cordons et bijoux de degrés non reconnus par lui et que les hauts-grades étaient conférés avec une facilité suspecte, il décréta quels étaient les degrés Ne pouvaient être conférés que les, 27°, 29°, 31°, 32° et 33° degrés du Rite. qui pouvaient être conférés et ajouta que seuls étaient licites les cahiers du REAA revêtus de son sceau et de la signature du secrétaire du Saint-Empire, Pyron. Le décret ne suffit pas à remettre de l’ordre dans la maison puisque, le 19 janvier 1811, le Suprême Conseil rappela avec force que les hauts grades dépendaient de lui seul : «{Jusqu’au 18° degré, l’autorité réside dans le Grand-Orient de France, de même il faut que, pour les degrés supérieurs, il y ait un centre unique, et ce centre ne peut être que le Suprême Conseil}». Dans la foulée, il revint sur sa décision de 1806 et décida qu’à l’avenir il organiserait des ateliers de grades intermédiaires dans les villes de province, seule décision susceptible d’enrayer le trafic de grades.
Art 27 : La suspension de l’organisation des chapitres, collèges, tribunaux et conseils particuliers, prononcées par l’article 2 du décret du 27 novembre 1808 Décret qui réaffirmait celui de 1806. est levée ; leur organisation aura lieu dans les villes de l’Empire que le Suprême Conseil en jugera susceptibles. Elle ne pourra être faite que près les chapitres du 18° degré du REAA Livre d’or. Les Chapitres dépendaient, rappelons-le, exclusivement du GODF. .
Pyron Pyron 1817 : 61-64. confirme que de nombreux chapitres s’étaient constitués de leur seule autorité en Grands Chapitres (du 29°), Collèges (du 30°), Tribunaux (du 31°) et Conseils Particuliers (du 32°). Il cite quatre chapitres de Paris, dont le dernier, conduit par Abraham, 32°, avait créé un Tribunal à Neufchâteau (Vosges) et reçu quelques maçons d’Angers au 31°, lesquels avaient organisé un Grand Chapitre du 29° et un Tribunal du 31° dans cette ville.
Le 2 décembre 1811, le Suprême Conseil examina le cas du Consistoire de la Triple Unité. Celui-ci avait été fondé par Fondeviolles en vertu, disait-il, d’une charte capitulaire émanant de Kingston et reçue avant la création du Suprême Conseil. Il estimait dès lors que les décrets postérieurs ne lui étaient pas d’application. Fondeviolles ne put malheureusement fournir cette charte à la commission d’enquête, constituée de Freteau de Peni, Rampon et Rouyer. En conséquence, le consistoire fut déclaré irrégulier, décision qui amena la démission de Fondeviolles du Suprême Conseil Lettre de Fondeviolles, Inspecteur du 33° degré, aux Ill et Sub Inspecteurs généraux, composant le Suprême Conseil du 33°, reçue le 9 décembre 1811 : « ILL G Inspecteurs, mon âge et mes infirmités, presque continuelles, me privent d’assister à vos travaux, comme je le voudrais ; je vous prie de vouloir agréer ma démission de membre du Suprême Conseil. Je n’en ferai pas moins des voeux pour la propagation du Rit ancien et accepté, dont vous êtes le soutien et l’appui. Agréez, …. ». .
Sa démission fut annoncée le 20 avril 1812, en même temps que furent « régularisés » 55 membres du consistoire de la Triple Unité, car ce fut la pratique constante du Suprême Conseil de régulariser les membres de ces ateliers qu’il décrétait d’irrégularité.
Ces événements sont importants car ils démontrent que l’autorité du Suprême Conseil était bien loin d’être assurée et que son activité même se limitait à ces quelques tenues dont son livre d’or nous a laissé la trace. En-dehors de son enceinte, chacun faisait à peu près ce qu’il voulait. D’autre part, ils confirment que les 33° qui le composaient ne s’occupaient d’aucun degré inférieur au 19°, a fortiori des trois premiers grades même si, on l’a vu, le nombre de loges bleues du GODF travaillant au REAA était loin d’être négligeable. On peut légitimement en conclure qu’ils ne furent, en tant qu’institution, pour rien dans la genèse des grades symboliques de « leur » Rite.
Pour en revenir à Fondeviolles, cette affaire montre qu’il ne se sentit jamais lié par les décisions du Suprême Conseil dont il était membre depuis sa fondation. Son terrain était bien plus la Triple Unité dont il était le vénérable fondateur. Peut-on imaginer qu’il ne participa point Je ne dis pas qu’il en fut l’auteur ! la rédaction du rituel du 1er degré que nous avons retrouvé, émanant d’une loge dont il était le vénérable fondateur ? Ce l’est d’autant moins qu’un rituel (de REAA) des trois premiers grades, conservé au fonds Kloss, porte la mention « Geschreven door Br. Fondeviolles Ecrit par le Fr Fondeviolles. ».
Reste Abraham. Certes, rien ne permet d’affirmer qu’il sut l’anglais ni qu’il séjourna hors de France, mais il fut très actif durant la période qui nous occupe et son intérêt pour le Rite ancien et les innovations ramenées d’Amérique ne se démentit jamais. Il accueillit Hacquet, lors de son arrivée en France, et de leur collaboration naquit le « Phénix » le 14 juin 1804. Nous avons vu qu’il publia, dès 1807, un « Art du Parfait Thuileur » qui adoptait les caractéristiques du Rite ancien. Il n’en resta pas là : un « Unique et Parfait Thuileur pour les 33 grades de la Maçonnerie écossaise », paru en 1812, lui fut également attribué, à tort ou à raison. Il fonda, en sa qualité de 32°, un Grand Chapitre du 29° et un Tribunal du 31° degré à Neufchâteau, ateliers que le Suprême Conseil déclara irréguliers les 2 décembre 1811 et 6 avril 1812. Le 8 avril 1812, une commission constituée de Hacquet, Challan et Chasset, déposa un rapport devant le Suprême Conseil qui concluait qu’Abraham avait indûment conféré des grades et délivré des cahiers de rituels aux Frères du Père de Famille d’Angers. Ce chapitre avait bien été constitué par le GODF mais celui-ci avait pour règle de ne donner que les grades qu’il était autorisé à conférer, c’est à dire jusqu’au 18°, et les grades supérieurs donnés par Abraham l’avait été de façon illégitime. Le Suprême Conseil déclara irrégulier ces ateliers (décret du 8 avril 1812) et Pyron d’ajouter que les diplômes concédés par eux étaient nuls et de nul effet et qu’Abraham fut rayé du tableau des membres du 32° degré. La même année, le 7 août, le Souverain Chapitre Métropolitain du Rite Ecossais Philosophique, présidé par le général baron Rouyer, mettait en garde contre un ouvrage, « Les Règlemens généraux de la Maçonnerie Ecossaise », publié à Paris et distribué par un M. Piat qui reconnut qu’ils les avaient reçu d’Abraham. Or celui-ci avait été employé en 1805 par le Chapitre « pour des travaux d’écriture » et il en avait profité pour dérober un exemplaire de ces Règlements. Enfin, le 14 septembre, le Suprême Conseil ordonna l’envoi d’une circulaire à tous les ateliers du Rite pour les prémunir contre le trafic des hauts-grades et cahiers de la maçonnerie, et notamment contre Abraham qui se présentait à beaucoup de loges comme revêtu des plus hauts-degrés du REAA, du REP et du Rite d’Hérédom de Kilwinning.
Qu’en conclure sinon qu’Abraham joua un rôle mal connu mais conséquent dans la diffusion des grades Ecossais, en dehors de tout contrôle du Suprême Conseil dont l’influence exacte durant la période impériale reste à écrire.
Un dernier mot concernant le Suprême Conseil d’Amérique. Réveillé par Delahogue (1744-1822), beau-père de Grasse-Tilly et son lieutenant Grand-Commandeur, il conféra lui aussi des patentes et créa des ateliers supérieurs dans la métropole dès 1810, ce qui ne l’empêcha pas de réclamer en 1813 qu’il fût établi un « Suprême Conseil pour les possessions françaises d’Amérique » auprès du SCDF. Pyron Pyron, 1817 : 69-71. relève à cette occasion qu’ils avaient reçu une quantité considérable de maçons aux 30°, 31° et même au 33° degré, et qu’ils avaient délivré nombre de diplômes de degrés supérieurs au 18° degré, tant en France qu’à l’étranger, diplômes signés à l’orient de Paris ou de Saint-Domingue Leur demande fut rejetée lors de la tenue du 30 janvier 1813 Livre d’or du Suprême Conseil de France. Séance du 30 janvier 1813. . Ceci n’empêcha pas que le nom des « Américains » soit à nouveau mentionné dans le tableau suivant, daté du 5 mars 1813 A.Bernheim, 1987, p. 37. . Malgré cette marque de bonne volonté, ces mêmes Américains s’adressèrent au GODF le 27 octobre :
Le Très-Illustre F De Grasse-Tilly, G Commandeur ad vitam du suprême conseil pour les possessions françaises d’Amérique, joint à ce titre éminent celui extrêmement précieux de premier rep particulier du G M du G O de France. Ce double lien resserre encore plus les noeuds qui lient ces pères de la maçonnerie écoss à l’étoile maç qui éclaire et dirige tous les maçons de France.
Quoique prisonnier des Anglais, le T Ill G G est cependant au milieu du sup Cons, par l’affection que chacun des chev lui porte ; les pouvoirs qui le constituent sont entre les mains des TT Ill GG II GG 33° degré, qui, réunis au T Ill F Lieut G C De la Hogue, les conservent avec les titres, chartes, constitutions, timbres et sceaux du sup Cons, qui possède avec orgueil sur son livre d’or les signatures de presque tous les ill Membres du G O de France Allusion au registre contenant le serment d’obéissance prêté au Suprême Conseil par les dignitaires du GODF, dont Roëttiers, le 29 décembre 1804 lorsqu’ils furent reçus aux 18°, 31°, 32° ou 33° degrés (texte dans Pyron, 1817 : 26 ; Jouaust, 1865 : 312 et Lantoine, 1927, II : 145-146). .
Le sup Cons pour les possessions françaises de l’Amérique, réfugié en France, n’exerce point sa juridiction pour la France ; il se borne à constater son existence maç par des procès-verbaux de carence. Il voit avec douleur s’éloigner, par la prolongation de la guerre maritime, le moment où il pourra retourner dans ses foyers. Depuis le jour où les membres du sup C ont mis le pied sur le sol de la mère-patrie, chacun d’eux a tenu à un atelier régulier sous le régime du G O de France ; plusieurs d’entre eux ont propagé la vraie lumière, et quel que soit le grade élevé dont il ait été revêtu, il s’est empressé de rendre hommage et de reconnaître l’autorité et le pouvoir suprême de ce corps législatif et sénat de la maç Française.
Le sup Cons pour les possessions françaises de l’Amérique vient donc unanimement exécuter la pensée du T Ill F de Grasse-Tilly, devenue la sienne ; il se range sous la bannière du G O de France ; il vous demande, T Ill FF, la faveur d’accueillir maintenant et pour toujours son député ; de le recevoir parmi les FF qui composent le G O de France. Le sup Cons désire y puiser de nouvelles lumières, mériter l’éloge de tous les maç de l’Amérique française, et, par sa demande franche et digne de tout vrai maç, proclamer la vérité incontestable que le G O De France est le premier et le seul pouvoir constitutif de la France, et que s’éloigner un moment du cercle de sa puissance, c’est commettre une erreur coupable et contraire au concordat signé en décembre 1804, qui a réuni dans le souv chap du G O De France, les consist et sup cons de la maç écoss
Cette époque, TT Ill FF, sera mémorable pour le sup Cons ; et lorsque la paix le ramènera dans le Nouveau Monde, il s’empressera de répandre cette vérité, qui fixera à jamais tous les consist, conseils et collèges sous le régime du G. O de France.
Fait à l’O de Paris, le 27° j du 8° mois de l’an de la v L 5813.
Signé : Le GT(trésorier) ad vitam, Hannecart-Antoine ; De La Hogue, lieut G Commandeur ad vitam du 33° degré pour les dominations françaises de l’Amérique ; Tissot, lieut G Insp Gén, 33° degré ; Devillainez, 33°, Ill G A ; Nazon.
Par commandement : le secrétaire du Saint-Empire, A. Teissier de Marguerittes. In Vassal, 1827 : 43-45. Il ne semble pas que le Grand-Orient ait répondu à cette lettre.
Il est cependant peu probable qu’ils aient participé à la rédaction des grades bleus : Delahogue était encore en Amérique en 1804 Il était, cette année-là, vénérable de la loge la Charité n° 93 à la Nouvelle-Orléans avant de recevoir, le 29 juillet une patente, délivrée par le Suprême Conseil de Charleston, de Souverain Grand Inspecteur Général du 33° degré et lieutenant Grand Commandeur des Indes occidentales françaises » (in « History of the Supreme Council, 33°. Antient Accepted Scottish Rite of Freemasonry. Northern Masonic Jurisdiction of thee United States of America», S.H.Baynard, 1937 : 65.) , la plupart de ses partisans, à l’exception d’Antoine, n’avaient jamais mis les pieds outre mer et leur Suprême Conseil ne constitua aucune loge bleue avant la Restauration.
5. L’essor du Suprême Conseil et l’abandon de l’héritage « ancien ».
La chute de l’empire vit celle du Suprême Conseil. La plupart de ses membres rallièrent le GODF et le « Grand Consistoire des Rites Il deviendra l’actuel Grand Collège des Rites du GODF. », installé le 22 novembre 1815 et présidé par Hacquet, et les irréductibles conduits par Pyron et Thory n’eurent d’autre solution que la mise en sommeil. Le Suprême Conseil d’Amérique, par contre, en trouva une vigueur nouvelle, d’autant que son grand Commandeur, Grasse-Tilly, était revenu de captivité et avait repris la direction des travaux.
Ce Suprême Conseil prit sous sa direction des loges bleues, ce que n’avait jamais fait le Suprême Conseil de France. Il n’avait en 1815 qu’une seule loge La Rose Etoilée que vint rejoindre, l’année suivante, La Rose du Parfait Silence. Le 24 octobre 1818, le Suprême Conseil d’Amérique, présidé par le comte Decazes, élu Grand Commandeur cinq jours après la démission (10 septembre ) de Grasse-Tilly, consacra la loge Les Propagateurs de la Tolérance, « mère-loge du Rite Ecossais », loge aristocratique comprenant tous les 33° en activité et présidée par le général baron Louis Joseph César de Fernig (1774-1847), initié en 1804 dans la loge Les Amis Philanthropes à Bruxelles.
Il fallut attendre 1821 pour que les survivants (entre autres Valence, Muraire, Lacépède, Fréteau de Pény) du Suprême Conseil de France décident le réveil de leur institution et acceptent sa fusion avec le Suprême Conseil d’Amérique Les querelles intestines consécutives à la scission du Suprême Conseil d’Amérique en deux organismes rivaux mais homonymes, dits de Pompéi et du Prado, n’entrent pas dans notre propos. Nous ne parlons ici que de « Pompéi ». , fusion qui fut consacrée le 24 juin, le comte de Valence devenant Grand Commandeur, le comte de Ségur lieutenant Grand-Commandeur, le comte Muraire et Fernig secrétaires. Le même jour, fut installée la loge de la Grande Commanderie, organisme qui était censé régir tous les grades jusqu’au 29ème degré. En juillet de l’année suivante, la Grande Commanderie devint la Grande Loge Centrale, portant le n° 1 sur le tableau de l’obédience tandis que Les Propagateurs de la Tolérance devenait le n° 2.
Que devint le rituel hybride concocté par les tenants du REAA ? Puisque le Guide fut publié vers cette époque, il est vraisemblable qu’il fut utilisé, en tout et en partie. Nous ignorons quel rituel était utilisé par les Propagateurs de la Tolérance. Les procès-verbaux de cette loge, conservés à bibliothèque royale de Bruxelles, font état de plusieurs initiations, entre 1818 et 1819, mais ne mentionnent des cérémonies que les « épreuves ». Tout au plus peut-on dire que cette loge connaissait les diacres. Le prince d’Arenberg était premier Grand Diacre et le comte de Castellane deuxième Grand Diacre tandis que les FF Gaborrio et Rascol étaient diacres titulaires.
Le Guide fut-il ensuite pratiqué par les loges dépendants du Suprême Conseil de France après sa réorganisation en 1821 ? La réponse ne peut qu’être nuancée. Tel quel, il était impraticable, ne fût-ce que par l’incohérence des cérémonies proprement dites et des instructions de chaque grade. Deux solutions étaient possibles : soit adapter les cérémonies aux prescriptions des instructions, ce qui revenait à faire de « l’Emulation », avant la lettre, soit réécrire les instructions et, pourquoi pas, ajouter à l’ensemble des innovations supplémentaires, aussi loin de l’exemple britannique que du « Régulateur » français. C’est, semble-t-il, la deuxième option qui fut choisie.
5.1. Les rituels de 1829.
Le manuscrit BN coté FM4 96, intitulé « Rite Ecossais Ancien et Accepté. Rituel des trois premiers degrés selon les anciens rituels », fut récemment réédité par le Suprême Conseil de France Gout 1999, pp. 297-476. . Le premier degré ne diffère guère de celui du Guide. Seule modification notable : la purification par l’eau au 2ème voyage. Le second degré par contre introduit de longs et fastidieux développements, lus au cours des voyages, sur les cinq sens, les ordres d’architecture et les arts libéraux.
Le troisième degré subit une mutation radicale : la légende d’Hiram devient allégorie solaire, mutation que nous développons plus loin.
5.2. Le rituel de la loge Le Progrès de l’Océanie.
La Franc-maçonnerie fut introduite dans les îles Hawaii en 1843 par un marin français, Georges Le Tellier, 18° degré du REAA (Suprême Conseil de France). Possesseur d’une patente de cette obédience lui permettant « de créer et constituer conformément aux règlements généraux du Rite de nouvelles loges sous l’obédience du Suprême Conseil dans tous territoires dont la juridiction n’a ni été décidée ni reconnue » Charte décernée le 20 avril 1842 et signée par le général comte de Fernig, lieutenant Grand Commandeur, et A. Genervay, secrétaire général du SCDF. , il réunit quelques maçons à Honolulu et ouvrit la loge Le Progrès de l’Océanie n° 124 le 8 avril 1843, loge qui est toujours en activité de nos jours, sous l’autorité de la Grande Loge locale. Son rituel fut traduit en anglais Traduction rééditée par Art de Hoyos, 1995. par Erik Palmer, passé maître de la loge Americus n° 535, Grande Loge de New York, à une date inconnue. Il fut, lui aussi, réédité par le Suprême Conseil de France en 1999 « Le rituel de la R L « le Progrès de l’Océanie », Ordo ab Chao, 1999, n° 39-40 : 477-650. . Ce document fondamental montre les développements du Rite de 1821 à 1843.
Les officiers de la loge sont ceux prévus pas le « Guide » : le vénérable maître, deux surveillants, un gardien, deux diacres, un secrétaire, un orateur, un maître des cérémonies, un couvreur, un expert et un aumônier. La disposition de la loge est conforme aux prescriptions de Vuillaume et de Delaunay, mais les chandeliers sont placés « L’une à Est, vers le Sud. Deux à l’Ouest, l’une vers le Sud et l’autre vers le Nord », selon la pure tradition Ecossaise. Au-dessus du trône se trouve un delta ou triangle portant le tétragramme en hébreu.
L’ouverture suit fidèlement les indications du « Guide » ou, si l’on préfère, du rituel de la Triple Unité. Seule manque la circulation du mot du grade, du vénérable au second surveillant par l’intermédiaire des diacres. Les circonstances de l’initiation suivent le même schéma, y compris la prière et la question de la croyance en Dieu, avec cependant quelques modifications non négligeables :
- C’est le premier diacre qui introduit le candidat puis le conduit lors de ses voyages (il est alors dénommé F. Terrible).
- Le candidat est purifié par l’air lors du premier voyage, par l’eau au deuxième et par le feu au troisième. De même les bruits divers, les cliquetis d’armes, le silence enfin accompagnent les trois voyages, comme c’est l’usage aujourd’hui dans les loges belges de Rite « moderne ».
- La lumière est donnée en un temps, suivant l’exemple du « Régulateur », sans l’épisode du cadavre du parjure.
L’obligation est prise devant l’autel, le candidat à genoux, la main droite sur l’épée nue, l’équerre et le livre des statuts de l’ordre (et non plus la bible), la main gauche tenant le compas ouvert à 60°, une pointe sur le coeur, l’autre dirigée vers le bas. Le vénérable renvoie ensuite le candidat à l’ouest, entre les colonnes, où la lumière lui est donnée dans le cercle des épées. Suit la consécration, à l’est, par trois coups sur l’épée placée sur la tête de l’impétrant. La formule utilisée diffère quelque peu dans les deux rituels publiés :
Au nom de Dieu, seul auteur et souverain maître de toutes choses, sous la protection de St Jean, au nom et sous les auspices des SS GG II Gén, chefs, protecteurs et vrais conservateurs de l’ordre, 33° et dern deg du Ecoss Anc Acc composant le Sup Cons du St Empire pour la France et ses dépendances, en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par eux et cette resp Loge je proclame le F…. que vous voyez présent entre les deux colonnes, apprenti maç et en cette qualité Membre de la resp Loge n° ….constituée sous le signe distinctif de à l’Or de (in Ordo ab Chao, 1999 : 528)
A la gloire du Grand Architecte de l’Univers, au nom et sous les auspices des Souverains Grands Inspecteurs, véritables conservateurs de l’ordre, 33° et degré du Rite Ecossais Ancien Accepté, composant le Suprême Conseil du Saint-Empire pour la France et ses dépendances. En vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par eux et par cette vénérable loge, je vous crée, reçois et constitue apprenti maçon, premier degré du Rite Ecossais Ancien Accepté, et membre de la vénérable loge symbolique constituée sous le n° 124 et le titre distinctif Le progrès de l’Océanie, à l’orient d’Honolulu dans les îles Sandwich.(in Collactanea, 1995 : 55)
L’instruction est d’un intérêt fondamental car elle démontre que l’influence « ancienne », si prégnante dans le « Guide », fut considérablement atténuée. Les questions-réponses ont été réécrites, pour les aligner sur la cérémonie mais aussi pour les adapter au goût du discours moralisateur si caractéristique de l’époque. La description de la réception est conforme aux péripéties vécues par le néophyte et les voyages décrits comme le passage du chaos à l’ordre et à la paix. La description de la loge apporte quelques précisions inédites :
Où travaillez-vous ?
Dans une loge.
Comment se nomme votre loge ?
Elle a pour nom générique la loge saint Jean ;
Que veut dire cette dénomination ?
Comme St Jean que les Anciens nommaient Janus semble garder les portes du ciel et les ouvrir à l’astre radieux du jour la route céleste que parcourt le soleil Phrase curieuse dont manquent sans doute un ou plusieurs mots. La traduction anglaise est tout aussi incorrecte. , fut nommé le temple ou l’empire de Janus ; de même aussi la loge où travaillent les maç Pour parvenir à la connaissance de la Vérité qui est la vraie lumière, a été nommée la loge St Jean parce qu’elle est l’image de l’Univers
Comment est construite votre loge ?
C’est un carré long, sa longueur s’étend de l’Est à l’Ouest, dont la largeur est du Nord au Sud, la hauteur de la terre au cieux, et la profondeur de la surface de la terre au centre.
Comment est couverte votre loge?
Par une voûte de couleur d’azur parsemé d’étoiles sans nombre, et où circulent le soleil et la lune, et d’innombrables globes qui se soutienne par leurs attractions pondérées.
Quels sont les soutiens de cette voûte ?
Douze belles colonnes.
La loge n’a-t-elle pas d’autres appuis ?
Elle est encore fondée sur trois piliers.
Quels sont-ils ?
Sagesse, Force, Beauté. Trois des principaux attributs de la Puissance Suprême.
Comment sont représentés dans la loge ces trois attributs de la puissance Sup?
Par trois grandes lumières
Comment sont placées ces trois grandes lum?
Une à l’Est, une à l’Ouest et la 3° au Sud. Ordo ab Chao, 1999 : 544-545.
Surprenante est l’introduction de notions « ésotériques » qu’on n’attendrait pas si tôt, l’allusion à Janus par exemple qu’on croirait empruntée à René Guénon ou encore la signification des colonnes de bronze du temple comme portes solsticiales :
Que signifie le porche ?
Il marque le point de l’Est où le soleil se lève sur l’hémisphère ; c’est aussi le symbole de l’initiation aux mystères de la maçonnerie.
Que signifient les deux piliers de bronze ?
Ils marquent les deux points solsticiaux que depuis des milliers de siècles l’étoile du matin n’a jamais encore traversé comme si elle était retenue par une barrière de bronze.
Remarquons aussi que les Grandes Lumières ne sont pas constituées par l’ensemble bible-équerre-compas, selon l’usage « ancien », mais par les trois chandeliers d’angle, sans cependant qu’elles ne renvoient au ternaire « moderne », soleil-lune-maître de la loge.
Le deuxième degré amène des modifications significatives. Une préface annonce la signification nouvelle des trois degrés, inconnue des Anciens comme des Modernes, les trois âges de l’homme et introduit « l’allégorie solaire ».
De même que le gr d’app est la figure de la jeunesse, de même aussi le gr de comp représente la société dans l’âge civil … On pourrait encore en suivant l’allégorie solaire, comparer le second deg de la Maç à cette précieuse partie de l’année qui se renferme entre les deux équinoxes du printemps de d’automne… Ibid. 1999 : 550.
Le schéma de la réception est inchangé : cinq voyages, sous la conduite de l’expert et non d’un diacre, précédant la découverte de l’Etoile Flamboyante, mais leur signification n’est plus celle du « Régulateur ». Certes, ils sont toujours marqués par le port des mêmes outils et représentent, comme par le passé, les années d’apprentissage, mais l’enseignement qui les accompagne ne porte plus sur la formation opérative. Au premier voyage, le candidat découvre les cinq sens et l’Etoile Flamboyante ; au deuxième les cinq ordres d’architecture Toscan, dorique, ionique, corinthien et composite. ; au troisième, les sept arts libéraux ; au quatrième, les globes terrestre et céleste ; au cinquième, l’unicité singulière de l’Etre Suprême, « créateur et conservateur de tout ce qui est », représenté par l’Etoile Flamboyante. L’instruction finale résume cet enseignement qui « représente les âges successifs de l’homme ou de la société ».
L’ouverture de la loge de maître ne prévoit plus de diacres. La loge est obscurcie et drapée de noir, éclairée seulement par « trois étoiles mystiques ». Le candidat est introduit à reculons et ne se retourne qu’après qu’ont été examinés ses mains et son tablier. Il gagne ensuite l’orient, par-dessus le cadavre et écoute la légende d’Hiram. Celle-ci est déjà simplifiée : il n’est plus fait allusion à un complot de 15 compagnons dont douze se retirent in extremis mais seulement des trois assassins ; le parcours est (pour la première fois ?) « solaire », de la porte de l’est à celle de l’ouest et, détail capital, l’obligation que trois soient réunis pour prononcer le mot a disparu. Ni la cérémonie ni l’instruction finale ne font allusion à une perte du mot et l’accent est mis sur la résurrection de l’architecte, assimilée au retour de la lumière. Lorsque le vénérable relève le candidat, il prononce ces paroles :
Dieu soit loué ! Le Maître est retrouvé, et il paraît aussi radieux que jamais.
(Après avoir conduit le néophyte à l’orient, il ajoute) Célébrons, mes Frères, par des acclamations de joie cet heureux jour qui ramène sur notre atelier attristé depuis si longtemps la lumière qui en paraissait bannie pour toujours ; notre Maître a revu le jour, il renaît dans la personne de notre Frère… Ibid. 1999 : 631-632.
L’instruction nouvelle ne laisse aucun doute sur la signification solaire de la légende :
Que signifie donc l’histoire d’Hiram ?
Je pense que, dans la vérité, cette histoire est une figure de la marche apparente du soleil dans les signes inférieurs pendant trois mois qui s’écoulent depuis l’équinoxe d’automne ; que ces trois mois sont les trois conspirateurs, causes immédiates de sa fin apparente au solstice d’hiver.
A quelles circonstances reconnaissez-vous cela ?
Le soleil, à cette époque de deuil pour toute la nature, paraît vouloir fuir à jamais notre hémisphère. Cependant il semble bientôt se relever, retourner vers l’équateur et reparaître dans tout son éclat. De même nous voyons notre vénérable maître Hiram retiré des bras de la mort et revenir à la vie.
5.3. La mutation naturaliste
Ces deux rituels témoignent d’un éloignement évident des usages « anciens », comme de la tradition française. Certes le schéma de base des cérémonies (introduction, voyages, serment, consécration, communication) est conforme au Guide mais des apports nouveaux l’en distinguent nettement.
Au 1er grade, la purification par l’eau s’ajoute à celle par le feu, ce qui ne manque pas de logique, d’autant que le Rite Français les connaissait depuis 1786 Notons que le rituel d’apprenti du Rite de Misraïm, daté de 1839, prévoit les épreuves da la terre (cabinet de réflexions), de l’eau (1er voyage), du feu (2ème voyage) et de l’air (3ème voyage). C’est à ma connaissance la première mention explicite des quatre éléments. Ce rituel mêle éléments du Guide (notamment les secrets « anciens ») et du Régulateur. Les diacres y sont nommés « lévites » (manuscrit 1207 de la bibliothèque de Toulouse, réédité dans Serge Caillet, 1994 : 35-75). .
Les enseignements distillés au candidat lors de ses cinq voyages au 2ème grade méritent qu’on s’y arrête. Les cinq sens et les sept arts libéraux ne posent guère problème : ils étaient déjà expliqués dans l’instruction d’apprenti de TDK comme dans celle du Guide et leur insertion dans la cérémonie de réception du compagnon n’était finalement qu’une modification scénique. Par contre, l’apparition des cinq ordres d’architecture et des deux globes était une innovation réelle dont l’inspiration doit être trouvée aux Etats-Unis. Elle se trouve en effet dans un ouvrage célèbre outre atlantique, le « Freemason’s Monitor or Illustrations of Masonry » de Thomas Smith Webb (1771-1819), ouvrage, publié pour la première fois en 1797, plusieurs fois réédité du vivant de l’auteur comme après son décès, qui exerça une influence considérable sur la mise en forme des cérémonies pratiquées aux Etats-Unis et valut à Webb le titre de « père du Rite Américain » Erronément appelé, aujourd’hui, « Rite d’York » en France. Rappelons que cette expression, aux USA, désigne un ensemble de grades additionnels au trois grades symboliques, du Mark Master au Knight Templar en passant par le Royal Arch et les degrés « cryptiques ». .
Or, dans l’ouvrage de Webb, les « Remarques sur le second discours » contiennent une « exhortation à l’initiation au second degré » Webb, 1797 : 61-84. , en deux sections. La première présente une dissertation sur les cinq ordres d’architecture des Anciens et sur les cinq sens ( par eux, l’homme peut découvrir la nature et la bonté divine). La seconde illustre et explique les sept arts libéraux et la doctrine des sphères, terrestre et céleste, dont la contemplation doit inspirer la révérence pour la divinité, tous éléments qui se retrouvent dans tous les rituels américains actuels, au deuxième degré, en des termes souvent identiques à ceux de Webb. C’est là, croyons-nous, qu’il faut chercher l’inspiration des réviseurs du rituel de compagnon du REAA.
Mais Webb lui-même n’inventait rien. En effet, on sait qu’il suivit fidèlement l’oeuvre d’un de ces prédécesseurs, l’écossais (mais londonien d’adoption) William Preston (1742-1818), dont les « Illustrations of Masonry » parurent en 1772, avant de nombreuses éditions ultérieures. C’est dans cet ouvrage que se trouve le texte que copia littéralement Webb. Il s’y intitule de même « Remarques sur le deuxième discours » et contient l’explication des cinq ordres d’architecture, des cinq sens, des sept arts libéraux et des globes Preston, 13° édition, 1821 : 47-67. Dans de nombreuses loges anglaise actuelles, les piliers supportant les « petites lumières » sont respectivement d’ordre ionique (pour le vénérable maître), dorique (pour le 1er surveillant) et corinthien (pour le 2ème surveillant). Quant aux globes, ils surmontent les colonnettes placées sur le plateau des deux surveillants. .
Essentielle, enfin, est l’interprétation nouvelle du mythe d’Hiram. Son thème-clef n’est plus la perte de l’ancien mot du maître dont il n’est plus fait mention, mais bien l’identification de l’architecte au soleil. Sa mort brutale devient une allégorie du déclin de l’astre du jour lors des trois mois d’automne et de sa disparition au solstice d’hiver, tandis que sa résurrection ultérieure, affirmée par le texte même de la cérémonie, illustre le retour de la lumière. Hiram devient ainsi un avatar de ces dieux proche-orientaux « qui meurent et renaissent », Mithra ou Adonis. Très curieusement, cette innovation avait été introduite par un réformateur qui était membre du Grand-Orient de France Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette mutation ne fut pas le fait du Rite de Misraim que ses fondateurs tentèrent d’implanter à Paris sous la Restauration. Le grade de maître y suit fidèlement le récit du Guide (Caillet, 1994 : 95-117). : Nicolas Chaales-Des Etangs (1766-1847). Vénérable de la loge parisienne Les Trinosophes, il avait publié en 1825 un long ouvrage intitulé « Le véritable lien des peuples ou la Franc-maçonnerie rendue à ses vrais principes », qui contenait des rituels réformés des trois grades symboliques, du Rose-Croix et du Chevalier Kadosch. Apôtre d’un modernisme romantique, d’un mysticisme intellectuel où les frères de toutes confessions pourraient se retrouver, il rêvait d’une maçonnerie où La Mecque, Genève, Rome et Jérusalem seraient confondus. Au grade de maître, Hiram devient le prête-nom d’Osiris ou du soleil. Frappé par l’Ignorance, le Mensonge et l’Ambition, il est découvert par les neuf maîtres envoyés à sa recherche qui constatent avec bonheur qu’il n’est pas mort :
C’est notre Maît ! s’écrièrent-ils ; c’est notre Maît ! » L’un d’eux voulut essayer de le soulever : mais son trouble fut si grand, qu’il s’écria que la chair quittait les os !…Et leur consternation fut extrême ! Cependant le Maît les entendait ; il n’était pas mort, il avait dormi seulement Souligné par moi. ;le repos avait guéri ses blessures, et se levant doucement à l’aide d’un Maç Fidèle, il leur dit : « cessez de pleurer ; ne craignez point. Vous m’avez cherché, vous m’avez trouvé. Me voilà ! ». Et son visage devint radieux comme le soleil. Des Etangs, 1825 : 99-100.
La lecture nouvelle de la légende d’Hiram lui enlevait son caractère d’origine. Son assimilation à un phénomène naturel transformait le mythe en une allégorie naïve. Il n’en est pas moins curieux de constater que cette mutation, proposée par un maçon du Rite Français, fut immédiatement adoptée par les tenants du REAA.
Un autre maçon célèbre du temps, Chemin-Dupontès Jean-Baptiste Chemin-Dupontès (1767-1850), écrivain et fondateur de la « théophilanthropie » (culte familial, déiste et humanitaire). Il fut membre de la Grande Loge Ecossaise des Propagateurs de la Tolérance, dépendant du Suprême Conseil d’Amérique, fut vénérable des Sept Ecossais Réunis (SCDF) en 1823, membre des Rigides Ecossais en 1827, puis de la loge Isis-Montyon (GODF) en 1835. En 1833, il préside la Chambre du Suprême Conseil des Rites du GODF. , membre des deux Rites, développa le thème naturaliste dans son « Cours Pratique de Franc-maçonnerie publié sur la demande et sous les auspices de la R?L? Isis-Montyon » (1841). La résurrection d’Hiram y devient « une fiction », par lesquelles la maçonnerie veut avertir ses disciples que beaucoup de faits de ce genre, contraires aux lois de la nature, ne sont que des symboles, des secrets que les Maç intelligents découvrent. L’immortalité et le génie, représentée par la lettre G, sont les deux objets principaux que le grade rappelle à l’attention du néophyte.
Dans toutes les initiations se trouve un personnage innocent arraché à la vie d’une manière barbare. Elles semblent avoir voulu nous familiariser avec la mort. Elle est en effet une grande leçon pour les vivans, et il est bon qu’ils en aient souvent l’image devant les yeux « Cours … », 1841 : 184. .
Mais l’immortalité d’Hiram est assurée :
Hiram, dont la substance corporelle est déjà en décomposition, se relève plein de force. Certes, on n’a pas voulu nous donner cette fiction comme une réalité. C’est donc un symbole, et un noble symbole, répondant bien à la fragilité de la nature humaine : c’est celui de l’Immortalité. « Cours… », 1841 : 186.
Et vient enfin l’apothéose naturaliste :
Sous le rapport astronomique, Hiram est l’emblème du soleil. Le mot Hiram marque l’élévation, et de là est venu celui de pyramide, en y ajoutant l’article oriental p. Hiram-Abi signifie père élevé; Adonhiram présente à peu-près le même sens, Adon, d’où l’on a fait Adonai, signifiant Seigneur. Comme la reconnaissance pour l’heureuse influence de l’astre vivifiant est la base générale des cultes anciens et modernes, soit directement, soit indirectement sous des formes symboliques, l’Arch ? du T? est le représentant du soleil, et pour ceux qui remontent jusqu’à son auteur, de Dieu lui-même, de Jéhovah, nom que l’on donnait au Grand-Etre, et au soleil, qui en est l’image sensible. La mort d’Hiram est donc comme celle d’Osiris, d’Iacchus, d’Hercule, de Mithra, et de bien d’autres, le symbole de la marche apparente du soleil, qui s’abaissant vers l’hémisphère austral, est dit figurément vaincu, pars suite de la même allégorie, comme le génie du mal. Mais il revient vers notre hémisphère : alors il est vainqueur, il est censé ressusciter. Aussi, dans les trav? de M?, le représentant d’Hiram se relève glorieux, et ces trav?, qui avaient commencé d’une manière lugubre finissent par un appareil d’éclat, et par des acclamations de triomphe et de joie. « Cours … », 1841 : 189-190.
Bref, la version « romantique » du REAA peut se résumer ainsi :
- Maintien des formes (disposition des colonnes, mots…) mais abandon partiel du fond du Rite
- ancien (Grandes Lumières, perte de l’ancien mot du maître, règle de trois …).
- Alignement sur le Rite Français (épreuves par les éléments).
- Emprunts aux rituels américains (les développements du 2ème degré).
- Déisme diffus et lecture naturaliste du mythe d’Hiram (allégorie solaire).
5.4. Les rituels de la Grande Loge de France de 1896.
L’histoire du Suprême Conseil de France, au cours du XIX° siècle, fut loin d’être paisible. Depuis qu’en 1821 il avait pris sous son obédience des loges bleues, il rencontrait l’opposition des maçons de base qui n’acceptaient pas la tutelle hiérarchique très lourde d’un organisme formé de membres cooptés à vie et nécessairement réactionnaires, par leur position sociale comme par leur âge. Cette opposition se manifesta à plusieurs reprises, par la création de l’éphémère Grande Loge Nationale en 1848, par celle du Comité Central du Rite Ecossais réformé en 1868, par celle enfin de la Grande Loge Symbolique Ecossaise (GLSE) en 1879. Dans tous les cas, le rejet des hauts grades et des structures oligarchiques fit l’unanimité. L’exigence démocratique se traduisit par l’apparition du slogan « le maçon libre dans la loge libre », imaginé au sein de la GLSE et destiné à faire recette.
Cette évolution alla de pair avec la tentation positiviste qui déborda largement le seul Grand-Orient. Les Maçons Ecossais attaquèrent aussi le Grand Architecte et proposèrent à la Grande Loge Centrale en 1868 sa suppression, ce qui fut accepté le 29 novembre 1869 par 26 voix contre 6. Le Suprême Conseil empêcha cette exécution mais la fronde continua. Le Grand Commandeur, Adolphe Crémieux crut trouver un accommodement en produisant fin 1873 un décret qui se voulait conciliant :
Le Suprême Conseil
Considérant que comme témoignage de la communauté des sentiments qui unissent tous les maçons, il convient d’affirmer la devise maçonnique : Liberté, Egalité, Fraternité ;
Considérant en outre qu’il est de l’intérêt du rite de ramener l’intitulé des planches à une formule uniforme :
Décrète
Toutes les pl Maç devront à partir de la date du présent décret, porter l’en-tête suivant
A.L.G.D.G.A.D.L’U.
Au nom et sous les auspices du Suprême Conseil pour la France et ses dépendances
Le nom de l’At et son numéro
Liberté, Egalité, Fraternité.
Si elles avaient fonctionné sur un mode démocratique, les loges Ecossaises auraient supprimé l’évocation du GADLU dès 1869, décision que ne prit jamais le GODF qui se contenta de la déclarer facultative le 26 octobre 1878 Le convent de septembre 1877 supprima de l’article 1er des Constitutions du GODF l’obligation de la croyance en Dieu et l’immortalité de l’âme. Le GADLU ne fut pas évoqué. . Le Suprême Conseil ne put s’y résoudre et, au contraire, adopta la résolution du convent des Suprêmes Conseils, tenu à Lausanne en septembre 1875, qui prévoyait :
La franc-maçonnerie proclame, comme elle l’a proclamé dès son origine, l’existence d’un principe créateur, sous le nom du Grand Architecte de l’Univers.
La création, le 20 novembre 1879, de la Grande Loge Symbolique Ecossaise, résolument démocratique et libre penseuse, hostile aux hauts-grades et se limitant aux trois premiers grades symboliques, vint mettre un point d’orgue à ces dissensions. Comme de juste, cette nouvelle obédience supprima toute référence au GADLU.
De longues et difficiles négociations furent nécessaires pour qu’enfin le Suprême Conseil accorde leur autonomie aux loges de sa dépendance (8 novembre 1894) et que celles-ci se constituent en Grande Loge de France (23 février 1895). L’année suivante, le 18 décembre 1896, ce nouvel organisme fusionna avec la Grande Loge Symbolique (devenue « de France » en 1894), donnant ainsi naissance à l’actuelle Grande Loge de France. Dans tout cela, il fut peu question des rituels qui n’étaient guère sujet de débat parmi les maçons français de l’époque. Soulignons sans plus que jamais la pratique du REAA ne fut remise en cause par la GLSE qui, pour révolutionnaire qu’elle fût, affirma toujours son attachement à l’écossisme La Grande Loge Symbolique Ecossaise permettait néanmoins à ses loges d’utiliser le rituel de leur choix, Rite Français ou REAA. .
Je ne dispose pas, hélas, de rituels de la GLSE, sinon du « Rituel Interprétatif pour le grade d’Apprenti » rédigé pour la loge Le Travail et les Vrais Amis Fidèles par Oswald Wirth (1893). Mais ce document, qui introduisit les interprétations alchimiques si chères à de nombreux maçons contemporains, est trop atypique pour servir utilement au débat. Par contre, je possède deux rituels imprimés dont l’un porte en page de garde l’inscription, « Rite Ecossais Ancien et Accepté. Sup Cons Mots biffés et remplacés, à la main, par « Grande Loge ». pour la France et ses dépendances. Rituel des trois premiers degrés symboliques de la Franc-maçonnerie Ecoss » (ci-après SC) ; l’autre, « Rite Ecoss Anc Acc Rituel des trois premiers grades symboliques de la franc-maçonnerie Ecoss » (ci-après GL). Le second fut « remis par la G Loge de France à la R Loge installée sous le titre distinctif Galileo Galilei (écrit à la main) à l’Or de Paris le 9 juillet 1904 (idem) et immatriculée sous le n° 359 (idem) au registre général des ateliers du Rite ». Le premier fut « remis par le Suprême Conseil Même modification. de France à la R Loge installée sous le titre distinctif La Nouvelle Jérusalem (écrit à la main) à l’Or de Paris ( idem) immatriculée sous le n° 376 ( idem)». L’un est donc antérieur, l’autre postérieur à la création de la Grande Loge. Bien peu de choses les séparent.


5.4.1. Le grade d’apprenti.
La décoration de la loge est identique dans les deux rituels. Sont décrits les tentures (rouges), la houppe dentelée, les colonnes d’occident, la place des surveillants (le 2ème au sud, le 1er au N.O.), le dais d’orient avec le « delta transparent dans lequel on lit, en caractères hébraïques, le nom du Grand Architecte de l’univers », le soleil et la lune au mur d’Orient, l’autel du vénérable avec un compas, une équerre, un maillet, une épée nue et les Constitutions. Les trois « lumières » (les chandeliers) sont placées « l’une à l’Est vers le Sud. Deux à l’Ouest, l’une vers le Sud et l’autre vers le Nord ». Le rituel GL ajoute :
En outre, et lorsqu’il s’agira d’une tenue d’initiation, on placera devant l’hospitalier un (sic) cartouche sur lequel seront écrits ces mots : la terre, L’air, l’eau, le feu. On pourra suivre ainsi les péripéties de l’initiation. Le néophyte, après avoir reçu la lumière, saisira le sens des allégories qui ont dû le frapper. Les FF sur les colonnes comprendront mieux la filiation si remarquable des études successives par lesquelles la Maçonnerie fait passer les Apprentis et les Compagnons. Au 1er degré la lutte avec la nature, l’étude des forces naturelles pour arriver ensuite au 2ème degré à l’étude de l’homme, au connais-toi toi-même des Sages de l’Antiquité.
L’ouverture est très simple, prévoyant seulement la vérification de la couverture (extérieure) de la loge et de la qualité maçonnique des assistants (les diacres ont disparu). Dans les deux rituels, les travaux sont ouverts à la gloire du Grand Architecte de l’univers Biffé dans SC. mais la batterie, Houzay-Houzay-Houzay, Biffé dans SC. Le 3 mars 1903, la tenue de Grande Loge décida que la formule du Grand Architecte figurerait sur les rituels mais les loges seraient libres d’un user ou non (Compte-rendu des travaux du Conseil fédéral, janvier-avril 1903 : 21-24, in F. Rognon, 1994 :71 ). est suivie du ternaire républicain dans GL. Le ternaire est ajouté à la main dans SC. .
Le candidat est dépouillé de ses métaux et préparé (sans habit, le pied gauche en pantoufle, les yeux bandés) par l’expert et son testament remis au maître des cérémonies. Suivent la présentation du candidat à la porte, l’interrogatoire d’identité et l’introduction sur la pointe de l’épée de l’expert.
A peine admis, le candidat est interrogé sur la liberté, la morale, la vertu, le vice en des termes qui ne diffèrent guère de ceux du « Guide ». Il lui est ensuite demandé un premier serment sur la coupe des libations. Les trois voyages sont conduits par l’expert et rythmés par les trois « obstacles » classiques depuis le TDK. Le deuxième est suivi par la purification par l’eau, le troisième par les flammes, le tout ponctué par des discours sentencieux du vénérable. Viennent alors l’épreuve de la saignée et celle de la bienfaisance, puis la montée à l’orient par les trois pas d’apprenti. L’obligation est prise debout, la main droite sur les Statuts généraux de l’Ordre, la main gauche supportant le compas. Elle comprend les mots « en présence du GADLU » et la pénalité traditionnelle. Ramené entre les colonnes, le néophyte reçoit la lumière, en un temps, dans le cercle des épées. Il est ensuite « créé, reçu et constitué apprenti maçon, 1er degré du REAA « Au nom du Suprême Conseil » dans SC, « Au nom de la Grande Loge de France » dans GL. » par trois coups de maillet sur l’épée placée sur sa tête. Les secrets sont très normalement ceux du Rite ancien.
Ajout important : le discours de l’orateur est précédé dans GL par un commentaire du vénérable sur « les quatre éléments des anciens » qui commencent par ces mots :
Autrefois, le candidat à l’initiation subissait les épreuves terribles de ces quatre éléments, la Terre, l’Air, l’Eau et le Feu.
Ce système de l’initiation antique, qui est contredit dans ses développements par la science moderne, n’est accepté par nous que comme une tradition symbolique, montrant le néophyte en lutte avec les forces de la nature…
Il se poursuit par des considérations très banales sur la composition de l’air, les états physiques de l’eau et la combustion de l’oxygène, sans allusion quelconque à l’alchimie.
Par contre, le rituel SC contient en annexe une prière (rageusement biffée d’ailleurs), dite « Actions de grâces pour les jours de réception seulement » :
Grand Architecte de l’Un, les ouvriers de ce Temple te rendent leurs actions de grâces et rapportent à toi ce qu’ils ont fait de bon, d’utile et de glorieux dans cette journée solennelle où ils ont vu s’accroître le nombre de leurs frères. Continue de protéger leurs travaux et dirige -les constamment vers la perfection.
Que l’harmonie, l’union et la concorde soient à jamais le triple ciment de leurs œuvres.
Et vous, prudence, discrétion, modeste aménité, soyez l’apanage des Membres de cet At et que rentrés dans le monde, on reconnaisse toujours, à la sagesse de leurs discours, à la convenance de leur maintien et à la prudence de leurs actions, qu’ils sont les vrais enfants de la lumière.
Cette prière mise à part, ne subsistent du Rite ancien que l’entrée sur la pointe de l’épée, les obstacles rencontrés au cours des voyages et les secrets du grade, le tout noyé dans un déluge verbal dont le Guide déjà avait donné l’exemple.
5.4.2. Le grade de compagnon.
Il débute par un avant-propos très comparable à celui du Progrès de l’Océanie, évoquant à la fois les deux âges de l’homme et l’allégorie solaire.
Les observations préliminaires prévoient quatre cartouches portant les noms des cinq sens, des quatre ordres d’architectures, des arts libéraux et des philosophes (Solon, Socrate, Lycurgue, Pythagore et, dans SC seulement, INRI). Au milieu de la loge, vers l’est, se trouvent deux sphères, placées sur « l’autel du travail » et, à l’est, une étoile Flamboyante ayant au centre la lettre G.
Après l’ouverture, le candidat est introduit et interrogé par l’expert sur quelques questions de l’instruction d’apprenti. Après avoir écouté un discours du vénérable lui apprenant qu’au grade précédent on lui a ouvert a porte des sciences et fait de lui un homme nouveau, il effectue cinq voyages sous la conduite de l’expert. Comme c’était le cas au progrès de l’Océanie, il découvre successivement les cinq sens, les quatre ordres d’architecture et les sept arts libéraux, commentés avec plus ou moins de bonheur par le vénérable Ces commentaires sont nettement plus courts dans GL. . Au quatrième voyage, il rencontre les philosophes cités plus haut. Les mots INRI, omis dans GL, sont commentés de la sorte dans SC :
INRI. Ces quatre lettres ne sont point un nom, mais l’inscription mise sur la croix du Christ, et d’après la légende chrétienne, elles signifieraient « Jesus Nazarenus Rex Judeorum ». Jésus est adoré comme un Dieu par les chrétiens, il doit être respecté comme un sage par les philosophes. Sa doctrine, essentiellement humanitaire, pourrait se résumer en ces mots : « Aimez-vous les uns les autres ». Il fut crucifié pour sa morale et ses enseignements, qui depuis ont rempli le monde.
Cela prouve que la force ne peut rien contre le Droit et la Vérité.
Le cinquième voyage exalte la Liberté mais rappelle aussi la nécessité du travail. Avant l’obligation, le vénérable prononce une ode au travail qui se terminent par ces mots :
Sois glorifié ! ô travail, sois béni par les enfants de la veuve pour tes présents du passé, et sois béni pour tes bienfaits de l’avenir.
(levant la main) Gloire au travail.
Tous les FF présents lèvent la main et répètent :
Gloire au travail.
La lettre G est découverte lors du premier et du troisième voyage, lorsque est commentée la géométrie. L’instruction du grade donne cette explication qui enlève à la lettre G toute dimension métaphysique :
On voit briller à l’est une étoile dont les cinq points figurent les sens ; elle se nomme l’Etoile flamboyante.
Cette Etoile Symb ne contient-elle aucun autre emblème ?
On voit au milieu la lettre G, qui signifie Géométrie, l’une des sciences les plus élevées qu’ait produites le génie de l’homme. C’est pourquoi je vois encore dans cette lettre le symb par excellence de l’intelligence humaine.
5.4.3. Le grade de maître.
La loge est tendue de noir, éclairée seulement par « trois étoiles mystérieuses », comme c’était déjà le cas en 1843. Les maîtres portent (pour la première fois ?) un cordon bleu moiré liseré de rouge et un tablier blanc bordé de rouge, portant au milieu les lettres M. et B. brodées en rouge. Ils sont couverts, « les bords (de leur chapeau) avancés sur les yeux en signe de détresse ». Le Très Respectable est assis au-devant de l’autel, au pied des marches.
Le candidat est introduit, à reculons, par deux experts. Soupçonné du meurtre d’Hiram, il est disculpé par l’examen de ses mains et de son tablier. Il est ensuite interrogé sur sa conception du droit, de la justice et de la loi naturelle avant d’être retourné vers l’est et de découvrir le pseudo-cadavre. Il gagne ensuite l’orient en enjambant la tombe et écoute la légende du grade. Conforme à la version du Progrès de l’Océanie, elle voit Hiram gagner successivement les portes de l’est, du sud et de l’ouest où il reçoit le coup fatal.
La suite est classique : le candidat est étendu sur le cercueil et couvert du drap noir avant d’être relevé par le très respectable et les deux surveillants, relèvement qui est plutôt une résurrection comme l’attestent les premiers mots que prononce le très respectable :
Célébrons, mes FF, par des acclamations de joie, cet heureux jour qui ramène sur notre At attristé depuis si longtemps la lumière que nous croyions à jamais perdue. Notre Maître a revu le jour, il renaît dans la personne du F N…
Retour de la lumière, sinon du soleil, tel est donc le fin mot du mythe d’Hiram. L’instruction va plus loin encore et ajoute à l’ordalie de l’architecte une inattendue réminiscence chrétienne :
Que signifie donc l’histoire d’Hiram ?
Je pense que, dans la vérité, cette histoire est une figure de la marche apparente du soleil dans les signes inférieurs pendant trois mois qui s’écoulent depuis l’équinoxe d’automne ; que ces trois mois sont les trois conspirateurs, causes immédiates de sa fin apparente au solstice d’hiver.
A quelles circonstances reconnaissez-vous cela ?
Le soleil, à notre époque de deuil pour toute la nature, paraît vouloir fuir à jamais notre hémisphère ? Cependant il semble bientôt se relever, retourner vers l’équateur et reparaître dans tout son éclat. De même nous voyons notre R M Hiram retiré des bras de la mort et revenir à la vie…
Comment, dans nos mystères, se fait la résurrection d’Hiram ?
Par le concours de trois Maîtres éclairés.
Dites-moi comment ils s’y prennent ?
Le Maître et les deux Surveillants vont pour relever Hiram et le retirer du tombeau ; l’un d’eux en lui prenant la main avec l’attouchement d’App sent qu’il lui échappe, parce que la chair quitte les os ; le second le prenant avec l’attouchement de Compagnon ne réussit pas davantage ; mais ayant réuni tous les trois leurs efforts ils parviennent à le mettre debout, et saluent avec joie son retour à la vie.
Que signifie cela ?
C’est l’image des trois premiers jours qui suivent le solstice pendant lesquels les anciens ont dû être incertains sur la marche qu’allait suivre l’astre lumineux, car ce n’est qu’au troisième jour que l’on reconnaît visiblement son retour apparent vers l’hémisphère supérieur.
La dernière réplique est exemplaire : la mort d’Hiram, personnification du soleil, est suivie de trois jours d’incertitude qui précèdent sa réapparition. Nous avons vu que l’architecte s’avérait un des ces dieux proche-orientaux qui meurent et renaissent, nous constatons ici qu’il vit, à mots voilés, la passion du christ et son séjour aux enfers avant sa résurrection le troisième jour !
Mais là ne s’arrête pas la surprise. La cérémonie se termine par un long discours du très respectable, directement inspiré de « L’histoire de la reine du matin et de Soliman prince des génies », de Gérard de Nerval Récit publié dans « Voyage en Orient », paru en 1851. , sans que la source en soit citée.
Discours du très respectable |
Nerval Gérard de Nerval, OEuvres II, bibliothèque de la Pléiade, 1961, 531-533. Nerval n’était pas franc-maçon. |
A l’heure indiqué, le Maître se dirige vers l’entrée du temple ; il s’adosse au portique extérieur, et se faisant un piédestal d’un bloc de granit, il jette un regard assuré sur la foule convoquée puis se dirige vers le centre des travaux. A un signe d’Hiram, les flots de cet océan humain pâlissent et tous les visages se tournent vers lui.Le Maître alors lève le bras droit, et de sa main ouverte, il trace en l’air une ligne horizontale, du milieu de laquelle il fait tomber une ligne perpendiculaire figurant deux angles droits en équerre, signe auquel les Syriens reconnaissent la lettre T.
A ce signe de ralliement, la fourmilière humaine s’agite, comme si une trombe de vent l’avait bouleversée. Puis les groupes se forment, se dessinent en lignes régulières et harmonieuses, les légions se disposent, et ces milliers d’ouvriers, conduits et dirigés par des chefs inconnus, se partagent en trois corps principaux, subdivisés chacun en trois cohortes distinctes, épaisse et profondes où marchent : 1° les Maîtres, 2° les Compagnons, 3° les Apprentis.
Devant cette force inconnue qui s’ignore elle-même, Salomon a pâli ; il jette un regard effaré sur le brillant mais faible cortège des prêtres et des courtisans qui l’entourent…
Eh quoi ! se dit Salomon, un seul signe de cette main fait naître ou disperse des armées ? |
A ces mots, Adoniram, s’adossant au portique extérieur et se faisant un piédestal d’un bloc e granit qui se trouvait auprès, se tourne vers cette foule innombrable ,sur laquelle il promène ses regards. Il fait un signe, et tous les flots de cette mer pâlissent, car tous ont levé et dirigé vers lui leurs clairs visages…Adoniram lève le bras droit, et, de sa main ouverte, trace dans l’air une ligne horizontale, du milieu de laquelle il fait retomber une perpendiculaire, figurant ainsi deux angles droits en équerre comme les produit un fil à plomb suspendu à une règle, signe sous lequel les Syriens peignent la lettre T, transmise aux Phéniciens par les peuples de l’Inde, qui l’avaient dénommée tha, et enseignée depuis aux Grecs, qui l’appellent tau.
Aussi, à peine Adoniram l’a-t-il tracée dans les airs qu’un mouvement singulier se manifeste dans la foule du peuple. Cette mer humaine se trouble, s’agite, des flots surgissent en sens divers, comme si une trombe de vent l’avait tout à coup bouleversée… Bientôt des groupes se dessinent, se grossissent, se séparent ; des vides sont ménagés, des légions se disposent carrément ; une partie de la multitude est refoulée ; des milliers d’hommes, dirigés par des chefs inconnus, se rangent comme une armée qui se partage en trois corps principaux subdivisés en cohortes distinctes, épaisses et profondes…
Au centre on reconnaît les maçons et tout ce qui travaille la pierre : les maîtres en première ligne ; puis les compagnons, et derrière eux les apprentis…
Troublé, Soliman recule de deux ou trois pas ; il se détourne et ne voit derrière lui que le faible et brillant cortège des prêtres et de ses courtisans…
« Quel est donc, se demandait Soliman rêveur, ce mortel qui soumet les hommes comme la reine commande aux habitants de l’air ?…Un signe de sa main fait naître des armées : mon peuple est à lui, et ma domination se voit réduite à un misérable troupeau de courtisans et dei prêtres. Un mouvement de ses sourcils le ferait roi d’Israël ». |
Et le récit se termine, dans le rituel, par une conclusion bien dans l’air du temps : « Salomon était obligé de reconnaître une force nouvelle à côté de laquelle jusqu’alors il était passé sans même la soupçonner. Cette puissance, c’était le PEUPLE ».
6. Ultimes avatars du REAA au XX° siècle.
Le rituel de la GLDF de 1952 « Le REAA à travers les âges », in l’Union Maçonnique, 4ème année, sans date mais postérieur à 1962. apporte quelques modifications aux dispositions antérieures qui témoignent surtout du désir de cette obédience de s’aligner sur l’exemple britannique.
L’autel est dit « autel des serments ». Le plateau du vénérable, situé au pied des marches d’Orient, supporte les Constitutions d’Anderson de 1723 et la Constitution de la GLDF, ouverte, sur laquelle sont placés une équerre et un compas. Au mur d’Orient se trouve le delta portant, en lettres hébraïques, le tétragramme.
Pour la première fois, au REAA, apparaissent la reconnaissance des assistants par les deux surveillants, déambulant le long des colonnes La reconnaissance des « colonnes » se faisait déjà lors de l’ouverture de la loge d’apprenti au Rite de Misraïm en 1839 (Caillet, 1994 : ). , et l’allumage rituel des flambeaux L’allumage rituel des flambeaux n’avait jamais été pratiqué jusque là au REAA, ni au rite Français d’ailleurs. Seul le connaissait le rite Ecossais Rectifié depuis la rédaction par Willermoz de la version finale des grades bleus de ce Rite (circa 1787). Il était emprunté aux Elus Coens de Martinez de Pasqually. : le maître des cérémonies les allume tandis que le vénérable et les deux surveillants prononcent les mots « sagesse » (vénérable), « force » (1er surveillant) et « beauté » (2ème surveillant). Les voyages du candidat, qui n’a pas été « préparé » physiquement, sont marqués par les purifications par les éléments (successivement l’air, l’eau et le feu).
La version de 1962 entérine une modification de taille. En effet, en 1953, le convent de la Grande Loge de France, dans l’espoir qui ne se réalisera jamais d’obtenir la reconnaissance britannique, avait adopté une motion décidant :
que les Obligations seront prêtées sur l’Equerre et le Compas et un livre de la Loi Sacrée, ce dernier étant considéré sans aucun caractère religieux particulier, comme symbole de la plus haute spiritualité dont s’inspire le Maçon qui s’engage à oeuvrer éternellement à dégager l’Ordre du chaos J.Corneloup . Universalisme et Franc-maçonnerie. Hier et aujourd’hui. 1964 : 94. .
Les « trois Grandes Lumières » furent donc replacées sur l’autel des serments, tandis que la patente de constitution était exposée devant le plateau du vénérable, l’œil symbolique remplaçant le tétragramme dans le delta. Lors de l’allumage des chandeliers, il fut spécifié qu’il s’agissait des « petites lumières » et c’est un ancien vénérable qui devait ouvrir la bible, sous l’équerre formé par la canne et l’épée du maître des cérémonies et de l’expert, comme il le fait en Angleterre sous les cannes des diacres « Deacons », erronément traduit par « experts » dans la version française du Rite Emulation en usage à la GLNF. . Après plus d’un siècle, le REAA retournait à la tradition « ancienne » de la maçonnerie britannique.
Dans cette même version, le candidat, dépouillé de ses métaux et partiellement dévêtu, porte la corde au cou, autre usage britannique. La lumière est donnée en deux temps : dans le cercle des épées au premier temps avec la scène du parjure, dans la chaîne d’union au second.
Restent constants certains ensembles symboliques du REAA d’origine : les colonnes B au N.O. et J au S.O. (ancienne), la disposition des chandeliers (écossaise), la place des officiers, la couleur rouge, la marche du pied gauche…
En 1965, le REAA fut apporté à la GLNF, qui ne connaissait jusque là que le « Rite Emulation » et le Rite Ecossais Rectifié, par des transfuges de la GLDF, dans des circonstances dramatiques qui ont fait couler beaucoup d’encre mais sortent de notre propos. Très naturellement, les rituels n’en furent guère affectés, le gros du travail étant déjà réalisé.
Le rituel dit « Cerbu », aujourd’hui en usage à la Grande Loge Nationale Française, prévoit, lors de l’ouverture des travaux, que le vénérable allume l’Etoile portée par la colonnette ionique (au S.E.) en disant : « Que la Sagesse préside à la construction de notre édifice » ; le 1er surveillant allume l’étoile de la colonnette dorique (S.O.), en disant « Que la Force la soutienne » ; le 2ème surveillant allume l’Etoile de la colonnette corinthienne (N.O.), en disant « Que la Beauté l’orne » Le recours aux ordres d’architecture est très significatif. C’est à la fois une copie de l’usage anglais, décrit plus haut, et le signe visible que les piliers et les lumières sont confondus au REAA. . Le candidat, introduit sur la pointe de l’épée, prête un premier serment après avoir entendu la lecture de la règle en douze points de la GLNF qui remplace la question-test de la croyance en Dieu. Suivent les 3 voyages et les purifications par l’air, l’eau et le feu, l’épreuve de la terre étant symbolisée par le séjour dans le cabinet de réflexions. La lumière est donnée en deux temps au candidat debout à l’occident, la première fois dans le cercle des épées (sans la scène du parjure), la seconde fois dans la chaîne d’Union. Le serment est prêté avec le compas sur le cœur et la consécration est faite par trois coups de maillet sur l’épée placée sur la tête.
Les cinq voyages du compagnon amènent la présentation successive des cinq sens, des cinq ordres d’architecture, des sept arts libéraux et des deux sphères, terrestre et céleste. Le denier voyage se termine par la glorification du travail (les philosophes ont disparu). La réception se termine par un emprunt compagnonnique totalement inédit Je ne sais ni quand ni ou cet épisode fut introduit. Notons qu’il est de pratique constante, depuis les années 1960, dans les loges belges travaillant au rite moderne, sans distinction d’obédience. : les nouveaux compagnons, munis d’un bissac, d’un quignon de pain et d’une canne enrubannée, sont accompagnés jusqu’à la porte de la loge par le vénérable. Très curieusement la lettre G n’apparaît pas dans la cérémonie, bien qu’elle soit citée dans l’instruction :
Pourquoi vous êtes-vous fait recevoir compagnon ?
Pour connaître la lettre G.
Que signifie cette lettre ?
Le G A D L U, ou bien celui qui é été élevé jusqu’au faîte du Temple. Cette lettre signifie aussi Géométrie et peut recevoir d’autres interprétations nombreuses.
Au 3° grade, un voile noir, placé à la hauteur des marches de l’Orient, isole le Debhir du Hikal. Cette disposition, inconnue des rituels du début du siècle est d’autant plus surprenante qu’elle semble bien un emprunt supplémentaire au Rite Français du XIX° siècle : le voile apparaît en effet dans les rituels réformés en 1858 sous la grande maîtrise du prince Murat Lucien Charles Murat (1803-1878), fils de Joachim Murat et de Caroline Bonaparte, Grand Maître du Grand-Orient de France de 1852 à 1861. .
Le rituel conserve quelques unes des particularités « romantiques » que nous avons décrites. Ainsi le symbolisme solaire n’a pas entièrement disparu et le thème de la résurrection est toujours bien présent. Lorsqu’il découvre le cadavre, le vénérable dit :
On croirait qu’il respire encore. Son noble visage, respecté par la mort, exprime le calme de la conscience et la paix de l’âme, tant l’empreinte de la vertu était profondément gravée sur ses traits.
Et, après le relèvement :
Gloire au G A D L U, le M est retrouvé et il reparaît aussi radieux que jamais.
Interprétation naturaliste que vient confirmer l’instruction :
…Le Tombeau d’Hiram renferme toutes les traditions perdues. Mais Hiram ressuscitera…
Comment, dans nos mystères, s’opère la résurrection d’Hiram ?
Par le concours de trois MM Maç éclairés et fidèles…
Quelle peut donc être la signification (de la fin d’Hiram) ?
Envisagé comme Rite Solaire, le drame d’Hiram peut se référer à la marche apparente du soleil : les trois meurtriers seraient alors les trois derniers mois de l’année, pendant lesquels le Soleil descend dans les Signes Inférieurs et semble fuir à jamais notre hémisphère. Cependant, après le Solstice d’Hiver, on le voit se relever et bientôt il reparaît dans tout son éclat. De manière analogue, nous voyons notre R M Hiram sortir de son tombeau et revenir à une vie nouvelle.
Rien dans la cérémonie ne rappelle la perte de l’ancien mot du Maître. Par contre l’instruction réintroduit le thème essentiel de la perte et du choix d’un mot substitué :
Comment voyagent les MM Maç ?
De l’Or à l’Occ et de l’Occ à l’Or et par toute la Terre.
Dans quel but ?
Pour chercher ce qui a été perdu, rassembler ce qui est épars et répandre partout la Lumière.
Qu’est-ce qui a été perdu ?
Les secrets véritables des MM MM
Comment ont-ils été perdus ?
Par « Trois Grands Coups », qui ont causé la fin tragique de notre R M Hiram.
Ce retour, un de plus, à la tradition « ancienne » Retour marqué également la communication du mot de passe des 2ème et 3ème degrés avant la cérémonie de réception. si longtemps négligée, est certes heureuse. Encore faut-il souligner qu’elle n’est qu’un emprunt de plus à un rituel britannique. En effet, lors de la cérémonie d’ouverture au 3ème degré, le vénérable anglais et les deux surveillants échangent le dialogue suivant :
Bro. J.W., as a M.M., whence come you ?
From the E., W.M.
Bro S.W. whither directing your course ?
Towards the W., W.M.
What induced you to leave the E. and go to the W. ?
To seek for that which is lost, which, by your instruction and our own endeavours, we hope to find.
What is that which is lost ?
The genuine secrets of a M.M.
How came they lost ?
By the untimely death of our Master, H.A.
Ainsi le REAA renoue-t-il avec ce qui le caractérise depuis l’origine : le syncrétisme et l’addition de traditions diverses. Après les influences britanniques et américaines relevées plus haut, en voici d’autres, d’origines hollandaise, compagnonnique et « Emulation ».
L’autre rituel utilisé à la GLNF est appelé « 1802 ». Il diffère peu du « Cerbu ». Comme lui, il comporte les épreuves par les éléments au 1er grade, « le juge suprême » et la conduite compagnonnique au 2ème grade. Les cinq sens, les ordres d’architecture et les arts libéraux sont présentés, mais sans commentaire cette fois, lors des voyages du compagnon. Les globes ont disparu mais le Travail, présenté comme une mission, voire une religion, est toujours bien présent au dernier voyage.
Comme dans le « Cerbu », la loge de maître est divisée en deux compartiments par un voile noir et elle n’est éclairée que par une seule lumière Rappelons qu’aux rites hérités du xviii° siècle (Français, écossais philosophique et écossais rectifié), la loge est éclairée par neuf lumières, allusion aux neuf maîtres envoyés à la recherche d’Hiram. portée par la colonnette ionique du vénérable. Le récit du drame, au cours de la cérémonie, reste bien dans l’optique naturaliste précédemment décrite (ce qui suffit à rendre anachronique la date « 1802 » indûment attribuée à ce rituel). Nulle mention n’y est faite de la perte du mot du maître. Quant à l’instruction, elle reprend l’explication allégorique d’Hiram, image du soleil, avant de poursuivre par les dialogues extraits du rituel Emulation et cités plus haut qui explicitent le thème de la perte du mot.
7. Remarques finales.
Les grades bleus du REAA ne constituent pas un ensemble monolithique et immuable. Apparus dans un contexte maçonnico-politique précis, la période napoléonienne, ils subirent des changements successifs jusqu’à rendre méconnaissable leur version d’origine. Loin de témoigner d’une tradition « de temps immémorial », ils furent sans cesse remaniés et adaptés au goût du temps, ce qui explique qu’aujourd’hui s’en réclament des loges qui utilisent des rituels très différents, diversité qu’explique l’histoire interne, si souvent négligée, des rituels eux-mêmes.
Dans le cas du REAA, on peut reconnaître, sans simplification abusive, trois époques successives.
La première, disons « impériale », est marquée par un alignement, qu’on peut trouver excessif, sur l’exemple « ancien » des Britanniques, alignement qu’explique seulement la volonté de se démarquer du GODF. Le résultat, officialisé par le Guide des Maçons, devait s’avérer impraticable dans la mesure où cet alignement allait de pair avec le maintien d’usages français empruntés au Rite du même nom ou au Rite Ecossais Philosophique. La volonté d’inclure dans un décor « Ecossais » une rituélie « ancienne » impliquait des entorses aux deux traditions qui se voyaient, par la force des choses, partiellement dénaturées.
La deuxième époque, « romantique », vit l’abandon relatif de la tradition ancienne dans le cérémonial utilisé qui ne subsista que dans diverses péripéties de l’initiation, dans la disposition des colonnes d’occident et la répartition des mots, sacrés ou « de passe ». Les rituels du Suprême Conseil des années 1829-1842 sont exemplaires de cette évolution. Le squelette des cérémonies reste celui du Guide : entrée sur l’épée, interrogatoires, voyages, obligation, consécration et communication des secrets « anciens ». La décoration de la loge reste marquée de la double influence, ancienne et écossaise. Mais l’esprit en est considérablement modifié : l’introduction des « éléments » au 1er degré permettra bientôt l’interprétation alchimique qui sera développée par Oswald Wirth, Jules Boucher et leurs émules, les commentaires des voyages du second degré introduisent des considérations pseudo-philosophiques inspirées du positivisme d’Auguste Comte, l’accent mis sur la nécessité du travail et la volonté populaire témoignent de préoccupations sociales très éloignées de la tradition maçonnique. Le plus significatif reste la mutation du mythe hiramique, devenu allégorie naturaliste, et l’occultation complète du thème de la perte de l’ancien mot du maître. Très caractéristique également est la disparition de la bible Mais non du GADLU ! qui ne devait réapparaître qu’après la seconde guerre mondiale, pour des raisons politiques : le désir de se conformer aux exigences britanniques des {Aims and Relationships of the Craft} de 1938-1949, dans l’espoir, vite déçu, de voir la Grande Loge de France reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre.
La dernière époque, contemporaine, vit un retour au spiritualisme conforme aux exigences anglaises, sans cependant que disparaisse entièrement le naturalisme naïf de l’ère romantique, toujours perceptible malgré quelques adaptations de surface. L’ensemble pêche, reconnaissons-le, par une certaine incohérence d’autant que cette dernière évolution amena aussi des emprunts inattendus à des traditions parallèles, Rite Français, « Rite » Emulation, influence compagnonnique.
7.1 Les trois lectures de la légende d’Hiram.
Dans les divulgations françaises du XVIII° siècle, dont le paradigme reste « L’Ordre des Francs-Maçons trahi… » de 1745, le thème hiramique était en fin de compte celui de l’union mystique de l’impétrant avec Dieu. Il n’est pas inutile de souligner que le Maître Hiram, assassiné dans les circonstances que l’on sait, est mort et bien mort, comme l’atteste son inhumation ultérieure. C’est le candidat, et lui seul, qui est « relevé » du tombeau et donc « renaît » par l’action conjointe du Vénérable Maître et des deux Surveillants. Mais si « renaissance » ou « résurrection » il y a, elle se déroule dans des circonstances très particulières : le tombeau dans lequel est couché l’impétrant n’est pas celui d’un quelconque architecte, mais bien celui du Dieu des trois grandes religions monothéistes, dénommé ici, à tort ou à raison, Jéhovah, puisque ce nom est inscrit sur la tombe comme le montrent les gravures des premières divulgations françaises du XVIII? siècle Jan Snoek, 1994. . Le néophyte est ainsi entré en contact intime, charnel, avec ce Dieu dont il a partagé la couche, recevant de lui un souffle, une étincelle, qui le fait dorénavant participer à l’essence divine. L’opération peut être comparée à une théophagie déguisée, très comparable à l’eucharistie chrétienne. Nul besoin dès lors d’une « perte » quelconque puisque l’expérience mystique est ainsi achevée ; nul besoin non plus de grades ultérieurs puisque tout est dit. Cet enseignement fut sans doute atténué par les développements ultérieurs du Rite Français, mais l’identification d’Hiram avec la divinité resta longtemps affirmée par l’inscription de l’ancien mot du Maître sur la tombe érigée sur ordre de Salomon.
A cette interprétation française s’oppose la version « ancienne » qui insiste sur la perte du mot, conséquence inéluctable de la mort d’un des trois protagonistes nécessaires pour qu’il soit encore communiqué. Cette version, basée sur la « règle de trois » des premiers catéchismes anglais, est foncièrement pessimiste et demande qu’un ou plusieurs grades ultérieurs viennent pallier la perte et permettent la (re)découverte du mot perdu. Ce sera le rôle du Royal Arch anglo-saxon, comme des degrés équivalents du REAA, Chevalier Royale-Arche et Grand Elu de la voûte sacrée.
Les développements romantiques du REAA donnent un tout autre sens à la geste hiramique : l’architecte devient allégorie solaire et emblème naturaliste d’un phénomène somme toute banal, la disparition du soleil au solstice d’hiver et sa renaissance ultérieure. La mort d’Hiram n’est ici qu’apparente et sa résurrection, ou son réveil, est inscrite dans l’ordre naturel. Cette mutation aligne Hiram sur l’exemple des dieux proche-orientaux « qui meurent et renaissent » et ne va pas sans donner au mythe un certain relent de paganisme qui aurait surpris, n’en doutons pas, les pasteurs londoniens des origines.
Ces deux dernières lectures sont, sous les apparences, toujours visibles dans les versions actuelles du grade de maître selon le REAA, leurs rédacteurs n’ayant, semble-t-il, pas perçu leur caractère antinomique.
7.2 Cohérence des grades bleus et des hauts-grades du REAA.
La question donc se pose : quel est le « vrai » REAA et, corollaire obligé, existe-t-il une authentique tradition qui lui assure sa légitimité, pour les grades bleus s’entend ?
La réponse, si réponse il y a, ne peut se baser que sur l’articulation de cette rituélie avec les hauts grades du REAA, les seuls finalement qui donnent au système sa cohérence et le justifient. Or cette articulation ne se fait pas sans mal. Et pour cause : les hauts-grades qu’offre ce Rite sont tous antérieurs à l’apparition des grades bleus puisque ils furent élaborés entre 1740 et 1760 pour les premiers, entre 1770 et 1801 pour les deux derniers.
Mais ces hauts-grades eux-mêmes ne forment pas un ensemble véritablement cohérent. Hétérogènes et de facture variée, ils furent organisés en strates successives que ne lie, parfois, qu’une numérotation arbitraire : les grades hiramiques ou « ineffables », du 4ème au 14ème ; les grades dits « de l’exil » fondés sur la construction du second temple, 15ème et 16ème ; les grades chrétiens, johanniques et apocalyptiques à la fois, du 17ème au 19ème ; les grades templiers (30ème et 32ème) et … les autres, plus difficilement classables car d’inspiration hétéroclite. A vrai dire, la question d’une éventuelle cohérence avec les grades bleus ne se pose qu’entre le grade de maître et les grades hiramiques qui achèvent le thème de la construction du premier temple puisque ce sont les seuls où l’on retrouve les questions que laissait en suspens la mort d’Hiram : l’achèvement du temple (thème des grade du 4ème au 8ème ), le châtiment des assassins (9ème au 11ème grade) et la découverte du mot perdu du maître (thème des 12ème, 13ème et 14ème degrés). En clair, le rituel de la maîtrise, s’il se veut dans la ligne droite du Rite vu dans son ensemble, doit poser ces trois questions sans équivoque et s’abstenir de toute ébauche de réponse. Dans cette optique, aucune des trois versions décrites plus haut n’est entièrement satisfaisante.
La version du Guide, pour faire court, s’articule assez bien avec les grades d’achèvement, très mal avec les grades de vengeance devenus redondants, mieux avec les grades centrés sur la découverte du mot perdu. L’adoption des particularités du Rite ancien (disposition des colonnes d’orient, déplacement des surveillants, répartition des secrets) n’apporte ni n’enlève quoi que ce soit à l’économie du système, bien qu’ils ne correspondent pas aux prescrits des hauts-grades. Ceux-ci, ne l’oublions pas, furent imaginés par des maçons de tradition et de formation « Française » qui ignoraient tout du Rite Ancien d’Angleterre. Rien d’étonnant donc si les hauts-grades paraissent souvent plus « modernes » qu’ « anciens » . Ainsi les surveillants lorsqu’il y en a deux Notamment aux 14ème, 18ème, 30ème et 32ème degrés, qui sont les plus importants du système. , sont toujours disposés à l’occident, selon l’usage « moderne », les mots de passe sont communiqués durant la cérémonie et non avant, les colonnes sont placées suivant la règle moderne…
L’adaptation romantique du REAA n’est guère plus satisfaisante car la version naturaliste de la légende d’Hiram enlève toute pertinence à la perte du mot dans la mesure où Hiram « ressuscitant» ne peut l’emmener dans la tombe. Les grades clefs du REAA (13ème et 14ème) en deviennent incongrus. Par contre, l’omission du châtiment des coupables rend leur raison d’être aux grades de vengeance.
Quant aux versions contemporaines, elles tentent, maladroitement selon nous, de marier la lecture naturaliste à l’héritage ancien mais ce mariage introduit dans le grade lui-même une confusion regrettable (on ne sait finalement si le mot est perdu ou non ?).
Ces difficultés internes aux rituels eux-mêmes entraîne une conséquence inattendue aux yeux de certains thuriféraires du REAA : qui ne verra que l’articulation entre les hauts-grades du REAA et les grades bleus homonymes ne présente rien de spécifique et que les grades symboliques des autres Rites, Français, Moderne (belge), Ecossais philosophique et autres, peuvent tout aussi aisément servir d’introduction aux hauts-grades en question puisqu’ils posent les mêmes questions?
Qu’en conclure sinon qu’il a manqué au Rite un Willermoz pour établir une cohérence sans faille aux étapes successives de l’ensemble. Dans l’état actuel, aucune des variantes des grades symboliques du REAA ne justifie l’affirmation que les 33 degrés du REAA constitue un ensemble unique et obligé. Est-il hérétique de penser que les grades bleus de tout Rite prépare également à l’enseignement des hauts-grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté ?
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Le Rite Ecossais Rectifié
Par Pierre Noël, CBCS
Le Rite Ecossais Rectifié occupe une place singulière dans la Maçonnerie contemporaine. Pratiqué en Suisse, en France et en Belgique, il est trop souvent l’objet de polémiques passionnées, certains y voyant la forme la plus pure de l’initiation maçonnique, d’autres un rejeton abâtardi, voire dévoyé, de la maçonnerie classique. La pierre de touche de ce débat est le christianisme, vrai ou supposé, qui imprégnerait ce Rite d' »ancien régime », parfois qualifié par ses détracteurs de « crypto-catholique ». Certes, l’atmosphère y est plus religieuse, sinon plus mystique, mais est-ce suffisant pour justifier l’anathème et la marginalisation? Trop souvent d’ailleurs de telles attitudes sont le fait de maçons, par ailleurs sincères, qui n’ont du Rectifié qu’une connaissance lointaine, basée plus sur des racontars que sur une expérience personnelle. Le fait est regrettable, d’autant que le Rectifié présente l’avantage inestimable d’être aisément accessible à l’analyse, les intentions de ses fondateurs nous étant connues par les innombrables documents et exégèses qu’ils ont laissés. Le caractère parfois archaïque de ses rituels peut surprendre, certes. Encore faut-il comprendre que la survivance de formes d’apparence obsolète résulte d’abord de l’ extinction quasi-complète du Rite au XIX° siècle et de sa renaissance inattendue en notre siècle. La première lui permit d’échapper aux réformes dont furent l’objet les autres Rites, Français ou Ecossais, réformes conditionnées par les luttes politiques et religieuses du temps, lesquelles donnèrent à la franc-maçonnerie un visage que n’auraient reconnu ni les pasteurs britanniques des origines ni les maçons lyonnais de 1778. La seconde nous le restitua (presque) inchangé, tel qu’il fut imaginé au confluent du Rhône et de la Saône entre 1778 et 1809. Si le Rite Rectifié paraît aujourd’hui incongru, voire scandaleux, n’est-ce pas justement à cause de cette fidélité à une certaine image de la maçonnerie dont nos contemporains ont peine à prendre conscience?
Le travail qui suit n’a d’autre ambition qu’une présentation succincte de la chronologie et de l’évolution des rituels « symboliques » de ce Rite trop souvent décrié. Il ne s’agit pas d’une exégèse, moins encore d’un exposé systématique de sa doctrine, tâche d’une autre envergure à laquelle je me risquai autrefois (G.Verval, 1987), mais plutôt du simple débroussaillage d’un paysage passablement confus où se mêlent faits et légendes que chacun utilise à sa guise.
Tel qu’il fut conçu, le Rite Ecossais Rectifié devait comporter trois étapes successives, concentriques dirait J.F.Var, composées des grades « symboliques », de l’Ordre Intérieur chevaleresque et de la (Grande) Profession. Seules sont effectives de nos jours les deux premières. La troisième relève, faute de mieux, de l’érudition personnelle grâce à la publication des textes fondateurs du « Saint Ordre », comme ses thuriféraires aiment à appeler, à tort, la Profession. Je ne m’occuperai ici que des grades symboliques.
Ceux-ci sont au nombre de quatre : à l’apprenti, au compagnon et au maître fait suite le « maître écossais de Saint André ». Au XVIII° siècle, ces quatre grades étaient régis par un directoire écossais dont les pouvoirs furent définis à Lyon en 1778. N’y voyons là rien qui surprenne. A la même époque la Grande Loge anglaise, dite des « Anciens », exerçait son autorité sur quatre degrés, le dernier étant le « Royal Arch ». Il n’en va plus de même aujourd’hui. Les trois premiers grades rectifiés relèvent exclusivement de l’autorité des Grandes Loges tandis que le « maître écossais » est conféré dans des « loges de Saint-André » dépendant des Directoires écossais, terme qui « au symbolique » désigne les Grands Prieurés de l’Ordre bienfaisant des Chevaliers maçons de la Cité Sainte. Cette dichotomie est condition de « régularité » au sens qu’a pris ce mot durant les premières décennies de ce siècle. Nul ne désire la remettre en cause.
I. Jean-Baptiste Willermoz et la maçonnerie lyonnaise.
1. Introduction de la Stricte Observance à Lyon.
Ce lyonnais d’une exceptionnelle longévité (1730-1824), fabricant d’étoffes et commissionnaire en soieries, fut à l’évidence le père du Rectifié. Initié en 1750 dans une loge oubliée, il en devint vénérable en 1752 (A.Joly, 1938, p.5). Fondateur en 1756 de la « Parfaite Amitié », constituée par la Grande Loge de France, il en tint le premier maillet jusqu’en 1762. Il contribua entre temps à la fondation de la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon (1760), plus tard Mère-Loge de Lyon. Il fallait, écrivit-il plus tard, « être chevalier d’Orient pour y être admis » (in Steel-Maret, 1893, pp.147-153). Cette Grande Loge ne se voulait-elle pas chargée « à l’instar de celle de Paris…de veiller au maintien de la discipline des loges, de fixer le choix de l’uniformité des grades symboliques jusques et y compris le chevalier d’Orient »? Elle pratiquait officiellement sept grades, soit après les trois premiers ceux de maître élu, maître parfait, maître écossais et chevalier d’Orient. Là ne s’arrêtaient pas les connaissances de Willermoz qui, à l’époque, n’avait de cesse de collectionner grades, décors et rituels. Dans une lettre qu’il adressa le 2 mars 1763 à Chaillon de Jonville, substitut général du Grand Maître de la Grande Loge de France, il fit suivre sa signature des titres suivants: Maître écossais, G(rand) A(rchitecte), R(oï)al Arch, Chevalier d’Orient, d’Occident, du Soleil, de l’Aigle noir, R(ose) C(roix), G.I.G.E.ch.K. (c’est à dire Grand Inspecteur, Grand Elu, chevalier Kadosh) (reproduit en fac similé dans Renaissance Traditionnelle, 1992, 89:31) Le Kadosh lui avait été communiqué par son correspondant messin, Meunier de Précourt une année auparavant (in Steel-Maret, 1893, pp.72-78). . Les grades supérieurs au chevalier d’Orient étaient pratiqués dans un chapitre des chevaliers de l’Aigle noir, fondé en 1763 ou 1765 et présidé par le propre frère de Willermoz, Pierre-Jacques, médecin, alchimiste, esprit curieux de tout et très en avance sur son temps (A.Joly, 1938, p.15). Ce chapitre très fermé vit peut-être la création du grade de Rose-Croix dont le succès ne devait jamais se démentir.
Au début de leur carrière, Willermoz et ses proches pratiquèrent donc cette maçonnerie qui sera appelée plus tard de « Rite Français ». Jamais cependant elle ne put les satisfaire entièrement. Willermoz était trop intimement convaincu que la maçonnerie devait receler des connaissances « sublimes » pour se satisfaire d’un système aussi rudimentaire que décevant à ses yeux. Il chercha hors des loges classiques ces « vérités essentielles » qu’il devinait sous le couvert des allégories maçonniques héritées des spéculatifs britanniques. Il crut les trouver, en 1767, dans l’Ordre des « chevaliers Elus Coens de l’Univers » du théosophe Martinez de Pasqually. Reçu en 1768 au grade ultime de Réau-Croix, il avait créé à Lyon un « Tribunal » d’Elus Coens, réservé à ses intimes, et s’était consacré avec ferveur, quoique sans succès bien assuré, aux expériences théurgiques prescrites par le « Grand Souverain » de l’Ordre, Don Martinez. Déçu peut-être par les « Esprits Intermédiaires » qui se refusaient à lui, désemparé par le départ de son maître qui, en 1772, quitta la France pour n’y plus revenir Martinez mourut à Saint-Domingue en 1774. , Willermoz écouta d’autres sirènes sans pour autant oublier l’enseignement du disparu ( de 1774 à 1776, les élus coens lyonnais continuèrent à se réunir assidûment, ce dont témoignent leurs « conférences » éditées par A.Faivre en 1975 aux éditions du Baucens, Braine-le-Comte).
En 1772, des correspondants strasbourgeois l’informèrent de l’existence outre-Rhin d’une forme nouvelle de maçonnerie, caractérisée par sa belle ordonnance et le sérieux de ses « connaissances », la Stricte Observance, ou plus exactement « l’Ordre supérieur des chevaliers du temple sacré de Jérusalem ». Fondée en 1751 par le baron (FreiHerr) Charles-Gotthelf von Hund (1722-1776), elle enseignait que la franc-maçonnerie n’était autre que la perpétuation de l’Ordre du Temple, aboli en 1312 par le pape Clément V sur ordre du roi de France, Philippe IV « le Bel ». Dirigée par de mystérieux « Supérieurs Inconnus » dont von Hund n’était que le mandataire, elle ne visait rien moins que le rétablissement de l’Ordre défunt et la récupération de ses biens matériels. Des amis de Von Hund prétendirent plus tard qu’il avait été admis dans l’ordre à Paris en 1743 par un mystérieux chevalier « au plumet rouge » dont ils laissaient entendre qu’il était un familier de Charles-Edouard Stuart, fils du prétendant à la couronne d’Angleterre et d’Ecosse Charles-Edouard ne fut jamais initié. Une enquête entreprise à la demande du duc de Brunswick en fit la preuve en 1777. Le prince déclara à l’envoyé du duc que son père, le chevalier de Saint-Georges, lui avait refusé son consentement. (in J.F.Var, 1991, p. 31). (A.Bernheim, 1998). Il aurait reçu une patente de Grand Maître Provincial dont il s’était servi pour introduire l’Ordre en Allemagne. Si les supérieurs inconnus étaient parfaitement imaginaires, cette patente existe bel et bien. Conservée dans les archives de la Grande Loge du Danemark, elle est rédigée en un langage chiffré dont nul jamais ne donna la clef. Tout cela, faut-il le dire, ne fut connu de Willermoz que bien plus tard, après qu’il eut depuis longtemps mesuré les faiblesses du système allemand.
En 1772 donc, Willermoz sollicita son admission au sein de la Stricte Observance dans une lettre adressée à von Hund en date des 14 et 18 décembre (in Steel-Maret, 1893, pp. 147-153). Celui-ci lui répondit le 18 mars 1773 et le renvoya au baron de Weiler, son émissaire chargé d’implanter l’Ordre en France. La correspondance échangée montre à l’envi le quiproquo : le lyonnais parlait de l’objet caché de la maçonnerie qui ne pouvait traiter que des questions essentielles, l’allemand n’avait en vue que la restauration de l’Ordre du Temple. Nonobstant cette incompréhension fondamentale (ou peut-être à cause d’elle), les négociations n’allèrent pas sans quelques difficultés suscitées par la méfiance des frères lyonnais de la Grande Loge des Maîtres Réguliers que Willermoz eut bien peine à amadouer (A.Joly, 1938, pp.47-50). Tout finit pourtant par s’arranger et Weiler, qui avait déjà établi à Strasbourg le directoire écossais de la V° Province Templière dite de Bourgogne (octobre 1773), put inaugurer celui de la II° Province dite d’Auvergne à Lyon le 21 juillet 1774, puis, la même année, celui de la III° Province dite d’Occitanie à Bordeaux (A.Joly, 1938, p.63).
Armés chevaliers par Weiler les 11 et 13 août, Willermoz et ses disciples avaient prêté serment d’obéissance au baron von Hund et au duc de Brunswick-Lünebourg, « Superior Magnus Ordinis » depuis que le convent de Kohlo (juin 1772) avait reconnu l’inanité des prétentions de von Hund, ce qu’ignoraient d’ailleurs les lyonnais. En échange, ils avaient reçu leur nom d’Ordre ( Eques ab Eremo pour Willermoz) et les cahiers des rituels allemands. On devine sans peine leur déception. Loin de leur apporter la manne attendue, ces rituels ne différaient guère de ceux que connaissaient les Français. Quant à la « survivance » templière, Willermoz connaissait depuis toujours l’inanité de cette chimère, amoureusement cultivée par d’aucuns depuis que Ramsay, en un célèbre discours, avait attribué aux chevaliers Croisés la paternité de l’Ordre maçonnique. De ceux-ci aux templiers, il n’y avait qu’un pas que les émules du chevalier de Saint-Lazare avaient aisément franchi. Le lyonnais n’ignorait rien de cette fable enseignée dans les grades de « Commandeur du temple » ou de « Chevalier templier » pratiqués dans le chapitre de son frère (A.Joly, 1938, p.15). N’était-ce pas d’ailleurs la justification du Kadosh qu’il avait appris à connaître en 1762 et dont il se méfiait depuis lors? ( cf. la lettre de Meunier de Précourt du 29 avril 1762, in Steel-Maret, 1893, pp. 79-80). Echaudé peut-être mais sérieux comme toujours il le fut, Willermoz se mit au travail, bien décidé à faire de la capitale des Gaules le phare de la maçonnerie templière.
Un an plus tard, le convent de Brunswick (26 mai au 6 juillet 1775) ratifia la « restauration » des provinces françaises et les « Règlements généraux » de l’Ordre furent expédiés à la V° Province. Ils stipulaient que
l’Ordre Intérieur, voilé sous le titre de Directoire écossais, (était) composé de trois grades qui en font partie, et dont le dernier en est le complément. Savoir: 1° celui d’Ecossais Vert qui commence à en développer les symboles, mais par lequel l’Ordre ne s’engage point à l’avancement de celui qui y est admis et peut le laisser pendant toute sa vie…2° celui de Novice…3° le grade de Chevalier…On appelle Profès ceux qui ont fait leur dernière profession; cette profession n’est point un grade qui augmente les connaissances mais un acte libre et uniquement à la volonté de celui qui le fait, par lequel il s’engage irrévocablement envers l’Ordre (cité par J.F.Var, 1991, pp.49-50).
Le dernier grade était divisé en six classes selon la condition sociale de l’impétrant (Eques, socius, armiger, clerc, servant et valet d’armes), distinctions mondaines qui n’empêchaient pas que les « connaissances » de l’Ordre soient communiquées à tous (sauf aux servants d’armes).
Pour des raisons dictées, sans doute, par les usages locaux, Weiler avait en 1773 concédé aux strasbourgeois le droit de cumuler les hauts-grades français avec ceux de l’Ordre Intérieur, constituant par là une classe intermédiaire qui fut évoquée par le chapitre d’Auvergne, à Lyon, en sa séance du 23 juillet 1774:
…On a lu pareillement les deux autres grades du Grand Ecossais Rouge et du Chevalier de l’Aigle, dit Rose-Croix: ils ont été proposés pour la seconde classe intermédiaire à l’instar de la V° Province (3° protocole de la Province d’Auvergne).
L’échelle des grades adoptée à Strasbourg différait donc de celle en usage en Allemagne par cette « deuxième classe » intermédiaire entre le symbolique et l’intérieur, soit:
- 1° classe: apprenti, compagnon, maître.
- 2° classe: écossais rouge, Rose-Croix.
- 3° classe: écossais vert, novice, chevalier.
(A.Joly, 1938, pp.66-67).
Les lyonnais ne se prononcèrent pas sur la mise en application de ce système et renvoyèrent à plus tard « l’examen et la décision des grades qui composeraient la 2° classe ». Dans un premier temps, ils se rallièrent à la position strasbourgeoise, comme l’atteste le « Petit mémoire d’instruction » remis, l’année suivante, au F. Bruyzet chargé par le chapitre d’Auvergne de répandre dans les loges de France la réforme germanique. Il précisait que les loges désireuses de s’agréger au nouveau système « pourraient obtenir du directoire la permission de conférer (les grades de la classe intermédiaire)…Tout grade d’élu et tout cordon noir étaient proscrits. Les grades de la 2° classe dite intermédiaire étaient l’écossais rouge et le chevalier d’Orient » (in Steel-Maret, 1893, pp. 175-176). Le débat, de toute façon, fit long feu: en 1777, le chapitre de Bourgogne renonça aux grades intermédiaires (R.Dachez et R.Désaguliers, 1989, 80:290).
Restait à résoudre le problème posé par l’implantation en France d’un organisme d’obédience étrangère. Ni Willermoz ni les templiers d’Auvergne ne voulaient rompre avec le Grand Orient de France, garant de la bienveillance du gouvernement. Dès janvier 1776, Willermoz annonçait que des négociations étaient amorcées avec l’obédience parisienne et qu’il en attendait une issue favorable. De fait un « Traité d’Union Intime » fut signé le 31 mai de cette année entre le Grand Orient de France et les trois Directoires de Lyon, Bordeaux et Strasbourg, représentés par Bacon de la Chevalerie, bien connu pour ses accointances Coen (in L. Charrière, 1938). Ce traité, en dix articles augmentés de deux articles « secrets », prévoyait la réunion des Directoires et de leurs corps subordonnés au Grand Orient (article 1). Chacun « conservait exclusivement l’administration et la discipline sur les loges de leur Rite et Régime » (article 6). L’équivalence des « grades fondamentaux » des deux Rites était garanti, comme les droits d’intervisite et de double appartenance: « Les membres des loges de l’un et l’autre Rites pourraient régulièrement passer dans les loges de l’autre Rite, sans cesser d’être membre de la loge à laquelle ils appartenaient primitivement » ( article 9). Ce Traité, qui devait être reconduit en 1811 sans modifications notables, ratifiait la parfaite régularité de la maçonnerie « réformée » et, jamais dénoncé, justifie, aujourd’hui encore, la pratique du Rite Rectifié au sein du Grand Orient de France.
2. Les grades de la Stricte Observance (1775).
Les rituels conservés à la bibliothèque municipale de Lyon furent récemment publiés par J.F.Var (1991) qui les juge rudimentaires, d’une maigreur squelettique et dépourvus de toute valeur initiatique: « de la gestuelle, un moralisme banal, rien de plus » (p.53). Le jugement est abrupt et sans nuances, reconnaissons-le. Est-il mérité? Chacun jugera, selon ses vues, sans oublier que ces rituels ne diffèrent guère de ceux en usage dans les loges du temps, de ce côté ou de l’autre du Rhin.
La disposition générale de la loge bleue est celle, « ordinaire », des loges françaises. Elle est éclairée par trois bougies devant le vénérable, deux devant les surveillants, une devant le secrétaire. Les flambeaux d’angle, autour du tableau (ou tapis), ne sont pas mentionnés. Est-ce à dire qu’ils manquaient? C’est peu probable au vu des usages de l’époque. Gageons plutôt que l' »ordinaire » prévoyait la disposition classique des flambeaux aux angles N.E., S.E. et S.O., conforme aux prescriptions du Rite Français ainsi qu’à celles du Rite Suédois. De fait, une gravure représentant la loge d’apprenti-compagnon selon le Rite de la Stricte Observance, attribuée au dernier tiers du XVIII° siècle, nous les révèle ainsi disposés autour d’un tableau qui ne diffère en rien de ceux présentés par les divulgations continentales des années 1745-1755 (document conservé dans les archives de la Grande Loge du Danemark, in K.C.F. Feddersen, 1982, d/14) (pl.1).
Relevons une innovation notable, pleine d’avenir:
« Derrière la chaire du vénérable est pendu peint sur du carton ou autrement le symbole du grade que l’on y donne ». Ce symbole est « une colonne rompue par en haut mais ferme sur sa base » (1° grade), « une pierre cube (sic) sur laquelle est posée une équerre » (2° grade), « un vaisseau démâté sans voiles et sans rames, tranquille sur une mer calme » (3° grade). Les devises s’y rapportant sont, dans l’ordre, « Adhuc Stat », « Dirigit Obliqua », « In Silentio et Spe Fortitudo mea ».
L’ouverture des travaux ne comporte ni allumage des flambeaux ni prière. Le vénérable, après un bref échange de répliques du catéchisme avec les surveillants, ouvre la loge par trois fois trois coups, devant les frères debout tenant de la main gauche l’épée, pointe en terre, et portant la main droite au col. La réception ne s’écarte guère de l’exemple français, si ce n’est par une autre innovation remarquable: la « lumière » est donnée en deux temps avec, au deuxième temps, l’exclamation « Sic Transit Gloria Mundi ». L’obligation d’apprenti comprend les pénalités traditionnelles (gorge coupée, coeur percé et arraché, le tout réduit en cendres). Le catéchisme rappelle les fondements de la loge française et son articulation en trois colonnes (Sagesse-Force-beauté) et trois Grandes Lumières, ici énoncées « le Soleil, la Lune et les Etoiles« , celles-ci remplaçant, on ne sait trop pourquoi, le Maître de la Loge (ou l’Etoile Flamboyante.). Le soleil signifie le maître en chaire, la lune les surveillants et les étoiles les maîtres et compagnons « qui guident les apprentis dans les routes sombres et mystérieuses de l’Art Royal ».
Le deuxième grade, réplique succincte du premier, était sans doute conféré le même jour. Les mots sacrés sont, dans l’ordre, J… et B… comme le voulait l’usage continental depuis l’inversion (anglaise) de 1739 (cf. G.Verval,1988), les mots de passe ceux révélés par le « Trahi… » de 1744,Tub…et Schi…
La réception à la maîtrise suit la version « française » de la légende d’Adonhiram : les neuf maîtres envoyés à sa recherche décident de leur propre autorité de changer le « mot de maître », mesure dictée par la seule prudence. Sur la tombe de l’architecte est déposée « une médaille triangulaire sur laquelle est gravé l’ancien mot de maître avec deux branches d’acacia en sautoir ». L’instruction précise que cet ancien mot n’est autre que « le Saint Nom de l’Eternel en hébreu ». Après l’obligation, le candidat est renversé et recouvert d’un drap noir tandis qu’on allume les « neuf cierges jaunes », seule allusion aux flambeaux d’angle ( qu’un autre document conservé à Copenhague, daté de 1770, montre aux angles habituels, in Feddersen, 1982, d/94, pl.2 ). Le signe d’horreur est le seul enseigné au nouveau maître, le signe « au ventre » relevant d’une autre tradition, celle des « Anciens » anglais. Enfin le mot de passe, Gi…, et le mot « substitué » M…B… sont ceux de la tradition française.
L’écossais vert achève la série. Pour simple qu’il soit, il contient déjà des éléments bien reconnaissables. Le candidat, désarmé, une corde à la taille et sous la menace d’un glaive, est introduit dans la loge tendue de vert et éclairée par quatre lumières disposées en carré. Délivré du joug de « la maçonnerie symbolique » par son engagement d’obéissance au directoire et à ses chefs, il reçoit l' »habit » (le tablier) vert, un signe « la main droite comme pour saisir quelqu’un par la tête », un attouchement au coude et deux mots, Jehovah et Notuma. S’il n’est fait mention ni de Zorobabel ni du second temple, le tableau montre Hiram ressuscitant « qui tend les bras pour sortir du tombeau où il n’est plus qu’à demi » (pl.3). Il est entouré de quatre animaux, emblèmes des vertus du grade: le lion (valeur et générosité), le singe (adresse et habileté), l’épervier (clairvoyance) et le renard (ruse sans fourberie). A peu de choses près, ces animaux sont ceux que présentait, au grade d' »écossais », le tableau de la divulgation de 1747, « Les francs-maçons écrasés… » (la colombe y remplaçait l’épervier) (pl.4).
3. Premières réformes.
Après la mort de Weiler (novembre 1775) et celle de Hund (8 novembre 1776), les lyonnais décidèrent d’étoffer les rituels, décidément trop rudimentaires à leurs yeux, de leurs initiateurs germaniques. De décembre 1777 à janvier 1778, il fut décidé de confier à Willermoz et au strasbourgeois Salzmann la rédaction des grades symboliques, à Jean de Türckeim, autre strasbourgeois, celle des grades de l’Ordre Intérieur. Dans la foulée, Willermoz s’attribua la rédaction d’une classe nouvelle, « secrète », la (Grande) Profession.
Dans la Stricte Observance, la Profession , nous l’avons vu, n’était pas un grade mais l’acte libre par lequel le chevalier s’engageait irrévocablement envers l’Ordre, à l’instar de la « profession » monastique. L’ambition ici était toute autre: il s’agissait de condenser l’enseignement théosophique de Martinez, du moins sa partie théorique, en de longues « Instructions » qui ne seraient communiquées qu’aux élus jugés dignes de les recevoir en deux grades « secrets », la Profession et la Grande Profession. Le travail fut rondement mené: les textes étaient déjà près lorsque se réunit le Convent des Gaules, dix mois plus tard. A propos de cette Profession, voir entre autres la plaquette de J.F.Var et G.Verval, « Willermoz et son oeuvre », 1992. Les Instructions Secrètes de la Profession furent publiées par P.Vuilaud dans son « Joseph de Maistre franc-maçon » (1926) et celles de la Grande Profession par A.Faivre en appendice à l »ouvrage de R.Leforestier « La franc-maçonnerie templière et occultiste au XVIII° siècle » (1970).
Quelques remaniements apparaissent déjà dans les « trois premiers grades des Loges Rectifiées en France avant la tenue du Convent national de Lyon en 1778 » (in Dachez et Désaguliers, 1989, pp.294 et suivantes). Conservées dans les archives de la Cour et de l’Etat à Vienne, ils sont paraphés par Gaybler qui sera secrétaire du Convent de Lyon. On y remarque le soin tout particulier accordé à la préparation du candidat. Un frère « préparateur » est désigné à cet effet et son rôle minutieusement détaillé qui ne rappelle en rien les brimades écossaises des manuscrits d’Edimbourg (1696-1700), pas plus d’ailleurs que les rodomontades du « Frère Terrible » des loges françaises. L’accent est celui de la dignité et du formalisme qui visent à convaincre le candidat de l’importance de sa démarche autant qu’à s’assurer de sa sincérité. Les cérémonies elles-mêmes sont peu modifiées. Relevons en passant que le mot de passe, ou plutôt le nom, du maître est « acacia » et non Gi…
La bibliothèque nationale de Paris conserve une autre série de rituels « intermédiaires », venant de Strasbourg ceux-là (« Régime rectifié 1776. Directoire Ecossais de Strasbourg avant le Convent Général tenu à Wilhelmsbad en 1782 », cité par Dachez et Désaguliers, 1989, pp.297 et suivantes). Malgré leur date (1776), ils ne diffèrent que peu de ceux qui seront adoptés à Lyon deux années plus tard. Les maximes lors des voyages manquent encore mais les châtiments physiques traditionnels sont déjà omis des serments.
Le 27 avril 1777, le Directoire d’Auvergne arrêta que le grade d’écossais vert serait rendu « ostensible » dans toutes les loges sous la seule dénomination d' »écossais », devenant ainsi le « complément de la maçonnerie symbolique » et non plus le premier de l’Ordre intérieur. Cette délibération « définitive » prévoyait aussi que les vénérables communiqueraient « sans cérémonies et sans frais » aux écossais les hauts-grades en usage avant la réforme: chevalier d’Orient, Rose-Croix et autres de la même veine (article 7), à l’exclusion toute fois des grades « à cordon noir », élus ou kadosh que Willermoz avait en horreur. Ces grades étaient expressément proscrits et il était interdit aux visiteurs d’autres régimes d’en porter les décors en loge (article 9). Cette décision supprimait de fait la classe « intermédiaire », concédée autrefois par Weiler, dont les lyonnais ne savaient trop que faire Prise à la lettre, cette délibération permettrait aujourd’hui aux Grands Prieurés Rectifiés la pratique de ces grades, depuis longtemps réservée aux Suprêmes Conseils du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Les accords tacites existant entre ces différents corps empêche bien sûr une telle éventualité, du moins dans les pays où de tels accords existent. .
L’article 6 de cette même délibération décrit le tableau du grade d’écossais et son « symbole distinctif« : un lion jouant avec des instruments de mathématiques, ainsi que sa devise « Maeliora praesumat » (sic) (in Renaissance Traditionnelle, 1989, pp.313-316 et Cahiers verts, Bulletin Intérieur du Grand Prieuré des Gaules, 1992, n° 10-12, pp.233-237). Cet écossais, nouvelle manière, synthèse de l’écossais vert importé d’Allemagne et des grades écossais pratiqués en France, sera développé au Convent de 1778.
II. Le Convent national des Gaules (1778).
1. La Réforme de Lyon.
Il se tint à Lyon du 25 novembre au 10 décembre 1778, en présence des délégués des Provinces d’Auvergne et de Bourgogne, ceux d’Occitanie n’ayant pas jugé bon de s’y présenter. Il y fut surtout question des hauts-grades et de l’organisation administrative du Rite.
Le titre « Chevalier bienfaisant de la Cité Sainte » remplaça celui de « Chevalier templier« . Cette décision, imposée par Türckeim et Willermoz, n’était pas anodine. Certes la prudence voulait que toute référence à un Ordre condamné par les prédécesseurs du roi régnant et du pontife romain, condamnation jamais révoquée, soit, au mieux, camouflée sous une appellation moins compromettante, mais là n’était pas la raison profonde de cette mesure. Willermoz et ses amis étaient convaincus que la source des connaissances maçonniques et l’origine de l’initiation étaient bien antérieures à l’Ordre médiéval, lequel n’avait été que le détenteur ponctuel et transitoire d’une tradition immémoriale. Les délégués se rallièrent sans peine à cette décision dès la première séance du Convent, même si certains ne le firent qu’avec une réticence inavouée (ce fut notamment le cas de Beyerlé, Préfet de Lorraine et futur adversaire de Willermoz).
La « matricule » (c’est à dire l’organisation territoriale du Régime) des Provinces, Prieurés et Commanderies de l’Ordre Intérieur fut adoptée dans un grand élan d’optimisme, sans trop tenir compte des effectifs à vrai dire squelettiques du système. Le « Code Général de l’Ordredes Chevaliers bienfaisants de la Cité sainte » fut adopté ainsi qu’une « Règle des chevaliers », aujourd’hui perdue. Les rituels de l’Ordre Intérieur, préparés par Türckeim, furent approuvés. A l’inverse des rituels allemands, ils supprimaient les différences basées sur la naissance et admettaient à la « chevalerie » les bourgeois et roturiers pourvu qu’ils puissent faire état de revenus substantiels et d’une situation « honnête » dans la société civile. Les « frères à talents » étaient cependant tolérés, comme dans les loges bleues, à condition que leur présence soit un véritable bénéfice pour l’Ordre.
Les grades symboliques ne furent pas oubliés pour autant. Un « Code maçonnique des loges réunies et rectifiées de France » fut approuvé et les nouveaux rituels, rédigés par Willermoz, ratifiés au cours des 11° et 12° séances (E.Mazet, 1985). Plusieurs copies de ces rituels sont conservées, dont l’une fait partie du fonds Kloss de la Bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas (catalogue VII-h-4). Ce qui suit est basé sur cette copie primitivement destinée au Directoire de Bourgogne et certifiée par son chancelier, Rudolph Salzmann.
2.Les grades symboliques du Convent des Gaules.
Le tableau de la loge d’apprenti est divisé en deux parties: l’une à l’occident figure le porche, l’autre à l’orient figure le temple. Elles sont séparées par une balustrade placée au-dessus d’un escalier à sept marches. Il conduit au pavé mosaïque, situé en face de la porte d’entrée du temple, qui est fermée, entourée des deux colonnes J et B. Aux quatre points cardinaux sont placées quatre portes dont celle d’orient, qui mène au sanctuaire, est elle-aussi fermée. En haut du tableau sont dessinés le soleil, la lune et l’étoile flamboyant laquelle contient en son milieu la lettre G.
« Autour de ce tableau, qui figure l’enceinte intérieure du temple, est tracé à la craie, à quelques pouces de distance, un quarré long dans la même forme qui figure la seconde enceinte ou le second parvis. A égale distance de celle-là, il en sera tracé un autre qui figure la troisième enceinte ou le parvis extérieur dans lequel voyage l’apprenti. On supprime ce dernier pour les voyages du compagnon et tous deux pour ceux du maître ».
La loge d’apprenti est éclairée par « trois flambeaux dont deux seront devant les FF. surveillants et l’autre à l’Orient du côté du Midi« . L’innovation mérite d’être soulignée. C’est en effet la disposition typiquement « écossaise » des flambeaux d’angle, commune au « Rite Ecossais Ancien et Accepté » et au Rite Moderne Belge. Elle semble être apparue en Avignon, vers 1776, dans la loge « Saint-Jean de la vertu persécutée », loge-mère de la loge parisienne « Saint-Jean du contrat social » qui sera le berceau du Rite Ecossais Philosophique (cf. R.Désaguliers, 1983). Il ne peut s’agir d’une simple coïncidence. La proximité dans le temps et l’espace suggère qu’il y eut influence réciproque. Ajoutons cependant que cette disposition des flambeaux était déjà celle de la divulgation française de 1747, « Les Francs-maçons écrasés… », texte énigmatique dont on ne sait trop ce qu’il faut penser mais qui suggère en tout cas que l’idée était dans l’air depuis quelque temps déjà. J’ai déjà eu l’occasion d’insister sur le glissement de sens induit par ce déplacement qui confond autour du tableau les colonnes et les lumières de la loge, je n’y reviendrai pas (cf. G.Verval, 1987, pp.11-24; P.Noël, 1993, pp.61-63).
L’ouverture de la loge d’apprenti se fait par la récitation de répliques de l’instruction et ne diffère guère de celle pratiquée au Rite Français. Le vénérable tient son épée de la main gauche, pointe en haut, tandis que les assistants tiennent la leur pointe en bas. Soulignons l’absence de prière.
Le candidat, dans la chambre de préparation, découvre trois questions « d’ordre »:
- Croyez-vous à un seul Dieu, créateur de l’univers, à l’immortalité de l’âme et à la nécessité des devoirs qui en résultent?
- Quelles sont vos idées sur la vertu…?
- De quelle manière pensez-vous que l’homme puisse se rendre le plus utile à ses semblables?
Le préparateur, après l’avoir entretenu sur ces question, l’examine sur l’opinion qu’il se fait de la maçonnerie avant de souligner que son but est « la vertu, l’amitié et la bienfaisance« .
Introduit dans la loge, le récipiendaire déclare « sa religion et son état civil« , sans qu’il lui soit demandé son nom de baptême. Les voyages, effectués dans l' »enceinte » décrite plus haut sont ponctués de coups de tonnerre et des trois maximes aujourd’hui classiques:
- L’homme est l’image immortelle de la divinité…
- Celui qui rougit de la religion…
- Le maçon dont le coeur ne s’ouvre pas… »
Le candidat monte ensuite « de l’Occident à l’Orient à côté du tableau par le Nord, à pas libres jusque devant la table du Vénérable Maître« . Le serment, pris sur l’évangile de Saint Jean, est l’occasion de la question suivante:
Ce livre sur lequel votre main est posée est l’évangile de Saint Jean. Y croyez-vous? Si vous n’y croyez pas, quel confiance pouvons nous avoir en votre engagement?
En dépit de cette exhortation, le serment ne contient aucune clause de fidélité à la religion chrétienne. Les châtiments physiques sont omis, omission qui traduit sans doute le souci d’hommes parfaitement honorables de n’être pas accusés de crimes imaginaires. C’est le même souci qui poussera le Grand Orient de France à supprimer les pénalités en 1858, exemple que suivra la Grande Loge Unie d’Angleterre en 1985 seulement.
La réception se termine par une courte explication du cérémonial et du tableau, simple ébauche de l’instruction actuelle. Elle ne contient aucune allusion à la progression cherchant-persévérant-souffrant qui sera introduite à Wilhelmsbad. Enfin les secrets sont ceux de la maçonnerie classique du temps, les mots de passe devenant le « nom » de l’apprenti, du compagnon et du maître.
Au 2° grade le candidat, les yeux bandés et dépouillé d’une partie seulement de ses métaux, fait cinq voyages « mystérieux » et entend deux maximes, après les 3° et 5° tours (« L’insensé voyage toute sa vie…L’homme est bon… »). Il est ensuite conduit devant un miroir caché par un rideau. Après que le vénérable l’a incité à rentrer en lui-même pour y passer en revue ses erreurs et ses préjugés, le bandeau lui est enlevé et il contemple son visage « dans le miroir éclairé par un réverbère ». Il gravit ensuite les cinq marches du grade « qu’il demande » avant de les redescendre et de gagner l’orient par la marche des compagnons (cinq pas en équerre en partant du pied droit du côté du midi). Le mot du grade est B…. Par contre le « nom » du compagnon est devenu Gi… sans qu’on sache pourquoi il remplace l’habituel Schi….
Au 3° grade apparaissent le mausolée d’occident et une tête de mort à l’orient.
A l’Occident sera placé sur le mur ou en relief un mausolé (sic), consistant en une urne sépulchrale posée sur une base triangulaire et à trois faces. Dans chaque triangle il y aura trois boules dans les trois angles. Au-dessus du triangle une tête de mort repose sur des ossements. De l’urne sortira une vapeur enflammée avec l’inscription « deponit Aliena ascendit Unus », au-dessous, dans le triangle, on lira ces mots « Tria formant, Novena dissolvunt ».
Les neuf flambeaux d’angle, disposés comme au grade d’apprenti, ne sont allumés que lorsque le candidat est couché dans le cercueil. Introduit à reculons, il découvre le mausolée avant d’entamer neuf voyages, « réduits à trois« , au cours desquels il écoute trois maximes dont existent plusieurs versions. Il gagne ensuite l’orient par sept pas, suivis des trois pas du maître. La légende d’Hiram est lue avant le simulacre du meurtre. Elle est conforme au canon français et l’ancien mot J… est donné in extenso. Le mot substitué, M…B…, est celui en usage dans la maçonnerie anglaise dite des « Modernes », le « nom » du maître est Gabaon.
Au grade de maître écossais seize lumières supplémentaires viennent s’ajouter aux quatre flambeaux d’angle et aux lumières du vénérable, ici appelé député-maître, et des surveillants (soit vingt-cinq en tout) tandis qu’apparaissent le double triangle et la lettre H, disposés au mur d’Orient. Le rituel prévoit deux tableaux dont le premier est en deux parties: le temple en ruines à l’occident, le temple réédifié par Zorobabel à l’orient. Le deuxième tableau montre la résurrection d’Hiram entouré non plus de quatre animaux mais du nom des vertus dont ils étaient l’emblème (Bienfaisance, Prudence, religion et discrétion). La réception, considérablement étoffée, ne diffère guère de celle en usage de nos jours. L’introducteur présente au candidat les mêmes questions d’ordre qu’aux grades précédents et l’invite à y répondre « catégoriquement » avant de lui lier les poignets au moyen d' »une chaîne en fer blanc dont les anneaux sont de forme triangulaire« . Introduit « en maître » dans la loge, l’impétrant écoute un premier discours relatant la destruction du temple avant de gagner l’Orient par sept pas, le premier le conduit à la porte d’occident du tableau, les trois suivants à la porte d’Orient par-dessus le tableau, les trois derniers « en équerre » jusqu’à l’autel. Après l’Obligation, il est reçu « Maître libre écossais » et reçoit l’épée et la truelle. Ainsi armé, il oeuvre à la réédification du temple, relève l’autel des parfums et découvre la lame d’or « qui contient le mot sacré qui était perdu« . Un deuxième discours lui retrace la geste de Zorobabel et les circonstances de la construction du second temple, image bien imparfaite du premier. Enfin investi de l’habit du grade, blanc doublé de vert et bordé de rouge, du cordon vert « mélangé de rouge » et du bijou (à une face seulement), il entend le troisième et dernier discours, imprégné de martinézisme à peine voilé, qui compare les « révolutions » du temple de Jérusalem, « ce grand type de la maçonnerie« , aux états successifs de la destinée humaine (la gloire de son premier état, la déchéance qui suit la faute, la réintégration promise aux élus). Celle-ci est annoncée par la résurrection d’Hiram « sortant à demi du tombeau« . Enfin le symbole du grade, un lion jouant avec des instruments de mathématiques sous un ciel orageux, et la devise « Meliora praesumo », à la première personne cette fois, lui laissent entendre l’existence d’une étape ultérieure dont les « symboles » seront absents. Les secrets sont ceux de la Stricte Observance mais le signe se donne cette fois « au front« .
Ainsi furent unis en une synthèse harmonieuse les thèmes de Zorobabel, de la reconstruction du Temple et de la découverte de la parole « innominable » (empruntés aux chevalier d’Orient et aux divers « écossais » français) à celui de la résurrection d’Hiram entouré des quatre animaux emblématiques des « vertus » maçonniques (propre à l’écossais vert allemand). Willermoz s’en expliqua plus tard dans une lettre à Charles de Hesse:
« On jugea aussi qu’il conviendrait de conserver sans le quatrième grade les principaux traits caractéristiques de la maçonnerie française pour servir de pont de rapprochement avec elle » (lettre à Charles de Hesse du 12 octobre 1781, in Van Rijnberck, 1935, pp. 166-168) Dans cette lettre essentielle à la compréhension du Rectifié, Willermoz reconnut avoir rédigé les « Instructions Secrètes » de la Profession, non sans ajouter qu » »il ne voulait absolument pas être reconnu pour leur seul auteur ». .
III. Le Convent général de Wilhelmsbad (1782).
1. Les prémisses.
Au début des années 1780, la Stricte Observance traversait une crise grave dont les causes, multiples, sortent de notre propos Les principales étaient le doute grandissant concernant la filiation templière de l’Ordre Intérieur et l’existence des « Supérieurs Inconnus ». La fiction Stuardiste s’était évanouie après les déclarations du principal intéressé à l’envoyé du duc de Brunswick . Le duc de Brunswick annonça en septembre 1780 la convocation imminente d’un Convent général des maçons écossais dont les débats devaient apporter les réponses à toutes les questions qui agitaient l’Ordre. Il ne s’ouvrit que le 15 juillet 1782 à Wilhelmsbad, petite ville d’eaux proche de Hanau. Trente-quatre délégués s’y retrouvèrent, issus des diverses « Provinces » de l’Ordre, et parmi eux les délégués de Strasbourg et de Lyon, bien décidés à y prendre une part prépondérante et à faire ratifier l’abandon de la fiction templière ainsi que la réforme de Lyon dont Willermoz avait communiqué l’essentiel aux deux instigateurs du Convent, le duc de Brunswick (1721-1792) et le prince Charles de Hesse-Cassel (1744-1836), coadjuteur de la VII° Province (Basse-Allemagne) et Maître Provincial de la VIII° Province (Haute-Allemagne) Ce personnage attachant , parent du roi de Danemark, chercha sa vie durant l’illumination mystique dans toutes les sociétés secrètes de son temps. Prêt à tous les excès, (il crut un temps être en communication directe avec le Christ), il déclara, lors de la dernière séance du convent, que le but de la maçonnerie était « la recherche de Dieu, Jehovah ». .
L’enjeu du Convent débordait largement la question des seuls rituels. L’origine de l’Ordre, ses buts réels et son organisation firent l’objet essentiel de séances parfois houleuses et de débats animés. Un compte-rendu critique en fut publié la même année par le Préfet de Lorraine, Beyerlé (absent au Convent) sous le titre « De Conventu Generali Latomorum apud aquas Wilhelmina… », qui appela en 1784 une « Réponse aux assertions du F. A Fascia (Beyerlé)… », tout aussi polémique, rédigée par Willermoz et son collaborateur, Millanois. Plus près de nous, A.Joly (1938) et surtout R.Le Forestier (« La franc-maçonnerie templière et occultiste au XVIII° et XIX° siècles » ,1970) ont relaté les péripéties de cet été 1782. Malheureusement, l’un et l’autre se basèrent sur les deux ouvrages précités, n’ayant pas eu accès aux protocoles authentiques du Convent, d’où le côté parfois incomplet ou erroné de leur analyse. Les protocoles en langue française et la traduction de leur version allemande furent heureusement publiés, il y a quelques années, par des chercheurs belges, en une circulation hélas confidentielle. Ayant eu le bonheur de disposer du produit de leurs recherches, c’est de ces protocoles dont je me suis servi dans ce qui va suivre.
Les treize premières séances furent consacrées à des problèmes administratifs, à la vérification des pouvoirs des délégués et surtout à l’épineux problème de la filiation templière et des buts réels de l’Ordre. Ils ne nous retiendront pas, l’objet de ce travail étant limité aux grades symboliques et, accessoirement, aux Codes qui devaient en déterminer la pratique.
2.La préparation des rituels symboliques.
Lors de la 14° séance (3 août), un comité fut chargé de préparer les cahiers des différents grades et de les soumettre à l’approbation des délégués. Composé de sept membres (Charles de Hesse, acquis aux vues de Willermoz; le chevalier Savaron, Visiteur Général de la 2° Province; Sébastien Giraud, chancelier du Grand Prieuré d’Italie; l’autrichien Euber Bödecker; le baron de Durckeim, Grand Maître Provincial de Bourgogne, 5° Province; Chrétien de Heine, du duché de Schlesvig, et Willermoz ), ce comité reçut à disposition « les rituels approuvés au Convent de Lyon, les grades suédois et ceux de la Grosse Landesloge de Berlin, les rituels des quatre grades intérieurs de la VII° Province et un rituel des Frères Clerici ,également de la VII°Province« . Onze jours plus tard, le 14 août, Charles de Hesse annonça au Convent réuni en sa 15° séance qu’après avoir comparé les anciens rituels à ceux arrêtés au Convent des Gaules, il avait chargé Willermoz de la rédaction du premier grade. Ce dernier donna lecture d’un projet qui s’intitulait « Rituel d’apprenti des chevaliers francs-maçons rectifiés ». Il s’ensuivit une vive discussion sur l’opportunité d’un tel titre, le Convent ayant résolu en sa 13° séance de renoncer à la filiation templière, non sans maintenir qu’il existait « un rapport » entre l’Ordre du temple et celui des franc-maçons, rapport que devait expliciter une « Instruction historique » destinée au dernier grade du Rite. Finalement on décida de ne pas adopter à ce stade l’intitulé de Willermoz, tout en reconnaissant aux loges de Vienne et de Berlin le droit de le conserver, si elles le désiraient. Moyennant quoi le rituel d’apprenti fut approuvé par 15 voix contre 3 après quelques corrections mineures ne portant que sur le style.
Lors de la 16° séance (15 août), Jean de Türckheim, chancelier de la V° Province et ami de longue date de Willermoz, présenta la Règle (à l’usage des loges réunies et rectifiées) qu’il avait préparée, déclarant qu’il l’avait conçue en forme d’une prière ou d’une prescription. Une première mouture ayant paru « trop étendue et trop chargée d’ornements oratoires« , il en avait concentré l’essentiel en une version plus courte et simplifiée. Les deux furent lues à l’assemblée, toutes deux en neuf articles, la « longue » étant pourvue d’un préambule original et d’un épilogue. Le Convent décida de les approuver également, la version courte devant être lue à l’impétrant lors de son initiation, l’autre lui étant remise pour étude ultérieure.
Lors de la 17° séance (16 août), Willermoz donna lecture du catéchisme et de l’instruction finale d’apprenti, bien augmentée depuis l’ébauche de Lyon. Celui-ci suscita un débat assez vif sur la constitution ternaire de l’homme (esprit-âme-corps) dont le lyonnais voulait qu’elle soit un « secret » (ou « mystère ») de l’Ordre La composition ternaire de l’homme était un de ces points sur lesquels tombaient d’accord tous les occultistes du XVIII° siècle. La cérémonie d’ouverture d’un temple Coen débutait par le dialogue suivant:
« Le Souv: M. demande au Conducteur en chef d’Orient et d’Occident,
Quel est le motif qui vous rassemble dans ce lieu?
Le Commandeur d’Orient répond:
Puiss: M., le désir ardent que nous avons d’acquérir ce que nous avons perdu.
D. Qu’avez vous perdu?
R. La connaissance du corps, de l’âme et de l’Esprit; et de tout ce qui est contenu dans le macro et le microcosme.
D. Pourquoi êtes vous ainsi déchu de toutes ces connaissances?
R. Par la prévarication de nos premiers parents, laquelle nous a plongés dans les plus épaisses ténèbres. »
( « Cérémonies à observer pour les officiers du Temple des Elus Coens », dossier Thory, fonds F.M., Bibliothèque Nationale, Paris) , illustré par les trois coups de maillet que reçoit le récipiendaire lors de sa consécration. Un délégué allemand, von Kortum, fit remarquer que la triple nature de l’homme, bien qu’enseignée « par plusieurs anciens docteurs de l’Eglise« , n’était que spéculation philosophique. Il suffisait à un chrétien de savoir que « son âme séparée du corps était immortelle« . Willermoz rétorqua que cette doctrine était conforme à l’Ecriture Sainte et explicitement citée par Saint Paul:
Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même en toute matière et que tout votre être, esprit, âme et corps, soit gardé irréprochable pour la venue de notre seigneur Jésus-Christ ( 1° épître aux Thessaloniciens, V.23).
Nonobstant cette opposition, le convent arrêta à la pluralité des voix que l’instruction serait adoptée « salva ratificatione » (sous réserve de ratification).
La 21° séance (21 août) fut consacrée au grade de maître écossais. Certains voulaient sa suppression, d’autres désiraient qu’il devint le premier de l’Ordre Intérieur. A l’opinion de Willermoz qui estimait que le grade écossais devait constituer une classe intermédiaire, séparée à la fois des grades bleus et de l’Ordre Intérieur, Charles de Hesse ajouta que la maçonnerie, par ses trois classes, devait représenter le ternaire fondamental: la 1° classe représentait l’Ancienne Loi, la 3° la Loi Nouvelle, la 2° devait être l’étape intermédiaire composée d’un ou plusieurs grades. Chefdebien, délégué de la III° Province (Occitanie), adversaire déclaré de Willermoz depuis que celui-ci lui avait refusé l’accès à la Grande Profession, ne voyait pas, déclara-t-il, la nécessité de cette classe intermédiaire puisque « l’Ancien Testament s’arrête là où commence le Nouveau« . Finalement on résolut que le grade écossais serait considéré comme le quatrième grade « symbolique » et constituerait une classe intermédiaire entre la maçonnerie et l’Ordre Intérieur, son objet essentiel étant la résurrection d’Hiram et la reconstruction du Temple. La même séance vit la lecture de l’acte de renonciation à la filiation templière, reprise en annexe (n° 147) aux protocoles du Convent.
Au cours de la 22° séance (22 août) fut débattue la question des « symboles » des grades dont certains voulaient qu’ils soient remplacés par ceux en usage dans la maçonnerie habituelle, la colonne brisée et le vaisseau démâté paraissant une allusion trop évidente à l’Ordre du Temple. On passa outre et Willermoz put donner lecture du rituel de compagnon proposé par la commission des rituels. Il fut adopté sans difficulté.
La 23° séance (23 août) vit la définition du nombre et du rang des officiers de la loge. Sept étaient essentiels (Vénérable, surveillants, orateur, secrétaire, trésorier et élémosynaire), deux facultatifs (maître des cérémonies et économe). Plus importante fut la décision de fixer à 21 ans l’âge minimum de réception, « de préférence prouvé par un certificat de baptême« . Cette exigence nouvelle n’était pas, on le voit, dictée par un souci d’orthodoxie religieuse (aucun des délégués n’aurait imaginé qu’on puisse initier un non-chrétien) mais bien par la volonté de s’assurer de l’âge du candidat par le seul document probant à l’époque.
Le projet de rituel du troisième grade fut présenté, par Willermoz toujours, lors de la 25° séance (25 août). Trois points particuliers furent adoptés:
- Les trois coups donnés au récipiendaire le seraient au front, au coeur et à l’abdomen (curieusement Willermoz ne tint aucun compte de cette décision dans ses remaniements finaux.).
- L’ancien mot du maître, Jéhovah, ne serait plus enseigné au nouveau maître mais seulement sa première (J) et sa dernière lettre (A).
- Le nombre de larmes sur le tableau serait indéfini (Willermoz en voulait 27 au grade de maître et 81 à celui d’écossais).
Lors de la 26° séance (26 août), le Convent, sur proposition de Willermoz, estima opportun d’introduire une prière à l’ouverture et à la fermeture de la loge, « à l’instar de ce qui se faisait en Allemagne« . Après lecture du catéchisme du 3° grade, les délégués durent se prononcer sur l’ensemble des trois grades. Après un dernier plaidoyer de Charles de Hesse, les rituels furent adoptés, sous réserve de ratification ultérieurs par les loges du Régime. Il fut donné aux Provinces jusqu’à la fin de 1783 pour donner leur accord final (celui-ci ne vint jamais).
Le lendemain (27 août) eut lieu la réception au grade d’apprenti, selon le nouveau rituel, du Landgraf de Hesse-Hamburg. Le duc de Brunswick ouvrit les travaux qui furent présidés par Charles de Hesse, Willermoz faisant office de préparateur.
La 28° séance fut décisive. Willermoz y présenta un « Projet d’ébauche pour servir de base, au Rituel du 4e Grade » qui donna lieu à une discussion animée.
Le F. ab Eremo a présenté la première Esquisse du nouvel écossisme, 4. Grade de notre Maçonnerie Rectifiée : sur la quelle on a fait plusieurs remarques. On a demandé l’abolition du gibet & de la corde au cou par les récipiendaires : ce qui a été convenu à la pluralité. L’ Em.G.M.Gén. (Brunswick) & le Sér.F. a Leone resurgente (Charles de Hesse) ont cependant protesté contre l’abolition de la Corde au cou. Le F. a Cruce cerulea (Hyacinthe Chappes de la Henrière, député de la Préfecture de Nancy) a demandé la conservation des deux tableaux de l’écossisme du Convent des Gaules, surtout le Maître Hiram sortant du tombeau & l’autel avec le feu sacré : on a observé, que les nouveaux symboles présentés dans l’esquisse étaient connus depuis longues années en France, & y avoient été abandonnés. Le F. a Lilio convallium (Bode) croit que nos maçons ne sont pas encore assez préparés à un écossisme aussi sublime & aussi religieux & a ajouté qu’il se souvenait que le tableau de l’écoss(isme) il y a 20 ans avait été partagé en trois parties: l’inférieur contenant quelques symboles & instruments Maçonniques, au milieu le Chandelier à 7 branches: autel des parfums, table des pains de proposition: l’arche d’alliance & les colonnes du Temple brisés; à la 3ème partie Supérieure il y avait le mont Sion et l’agneau céleste. Le F. ab Eremo a désiré qu’en adoptant le tapis conforme à celui indiqué par le F. a Lilio convallium, on y ajouta le Maître Hiram Ressuscité & le feu sacré. Le Sér.M.Prov. (Charles de Hesse) étant entré dans les idées du F. ab Eremo, on est convenu de faire la rédaction d’après ces principes. (Orthographe modernisée).
La conclusion s’impose : à Willermoz échut le soin de rédiger la version définitive du 4° grade.
3. Le « Code ».
Le 3 août, lors de la 14° séance, un Comité fut désigné qui devait s’occuper « de tout ce qui avait rapport au Code et à la rédaction des Lois comme Règle, matricule, code des règlements des loges et de l’Ordre Intérieur« . Il fut composé de quatorze membres dont quatre français (Virieu et Jean de Türckheim, alliés de Willermoz; Chappes de la Henrière et Chefdebien, viscéralement opposés au lyonnais). Différents documents lui furent soumis dont les Codes de Lyon n’étaient qu’une partie, à côté des règlements de la Grosse Landesloge de Berlin, des lois et statuts suédois, des codes du Grand Orient de Hollande et d’autres.
Virieu donna lecture des premiers travaux de ce comité lors de la 16° séance (15 août). Il ne s’agissait que d’une introduction aux principes généraux qui devaient présider la rédaction du Code général, laquelle ne put être achevée faute de temps. Après divers rapports toujours partiels, le Grand Maître dut constater que le Code ne pourrait être élaboré au cours du Convent. Lors de la 28° séance (28 août), il en confia la rédaction ultérieure à Virieu, Jean de Türckheim, Kortum et von Knigge. Le lendemain, sur proposition de Virieu, il proposa que ces quatre frères préparent, chacun, un projet de code et le lui envoient. La rédaction finale serait établie au départ de ces propositions.
Le projet n’aboutit jamais et aucun des frères pressentis n’accomplit la tâche qui lui fut confiée. Le Convent s’acheva sur un projet sans lendemain, échec qui ne fut pas sans jouer un rôle dans la dissolution rapide de la Stricte Observance au cours des quelques années qui suivirent Wilhelmsbad. Soulignons en tout cas que les Codes établis à Lyon ne furent pas ratifiés par le Convent général quoiqu’en disent certains.
4. Le « Recès » final.
Le Convent fut clôturé le 1er septembre 1782. Jean de Türckeim lut le « recès » en huit articles, extrait des protocoles des séances, lequel fut adopté à l’unanimité. Son quatrième article traite des rituels:
Notre attention principale s’est portée sur les rituels des trois premiers grades, base commune de tous ceux qui s’appellent maçons. Occupés à réunir sous une seule bannière les autres régimes, nous sentions qu’il était impossible de l’effectuer sans conserver tous les symboles essentiels et séparer ceux que l’esprit de système y avait ajoutés. Pénétrés intimement que les hiéroglyphes de ce tableau antique et instructif tendaient à rendre l’homme meilleur et plus propre à savoir la vérité, nous avons établi un comitté (sic) pour rechercher avec le plus grand soin quels pouvaient être les rituels les plus anciens et les moins altérés; nous les avons comparé avec ceux arrêtés au Convent des Gaules qui contiennent des moralités sublimes et en avons déterminé un pour les grades d’apprenti, compagnon et maître, capable de réunir les loges divisées jusqu’ici et qui se rapproche le plus de la pureté primitive. Nous publions ce travail et invitons les loges à le méditer et à le suivre, permettant aux Provinces qui auraient des observations à y faire de les communiquer à notre Eminentissime Grand Maître Général. Et comme dans presque tous les régimes il se trouve une classe écossaise dont les rituels contiennent le complément des symboles maçonniques, nous avons jugé utile d’en conserver un dans le nôtre, intermédiaire entre l’ordre symbolique et intérieur, avons approuvé les matériaux fournis par le comitté (sic) des rituels et chargé le Respectable Frère ab Eremo (Willermoz) de sa rédaction.
Il n’est pas sans intérêt de comparer cet article à la lettre adressée par le duc de Brunswick aux FF. de la grande Loge Ecossaise-Mère « Frédéric au Lion d’Or » de Berlin (annexe n° 164 aux protocoles du Convent). Datée du 10 août 1782, elle montre la parfaite concordance de vue du « Magnus Superior Ordinis » avec les conclusions du recès:
L’Ordre ostensible des maçons a été divisé en deux classes essentielles, savoir l’Ordre maçonnique et un Ordre Intérieur. Le premier reste composé des trois grades fondamentaux d’apprenti, compagnon et maître, le second des deux grades qui forment ensemble un Ordre de chevalerie sous le nom de chevalier bienfaisant. Les FF. français se sont réservés le droit d’y ajouter ces mots: de la Cité Sainte. Entre le premier et le second il y aura un grade écossais qui n’a pu être fini, mais le plan a été convenu et la rédactiondece gradereste conférée à un de nos frères de Lyon qui a eu grande part à la rédaction des autres. le but particulier de ce grade, qui sera encore symbolique, sera d’offrir un passage de l’Ancienne Loi à la Loi de Grâce ou de Christ, et de préparer par là des vrais chevaliers de la Foy pour l’Ordre Intérieur auquel on réserve la règle et l’administration ostensible du futur Régime réuni.
L’article VI du Recès prit acte qu’il n’avait pas été possible d’entreprendre la rédaction du Code, ce qui aurait nécessité « de prolonger les séances au delà du terme limité par les occupations civiles des députés« . Le Convent s’était borné à en approuver une « introduction ».
Qu’en conclure sinon que, dans l’esprit des délégués et de leur chef, les rituels des trois premiers grades étaient bel et bien achevés. Seul le quatrième restait à l’état d’ébauche et sa rédaction finale confiée à Willermoz. L’affirmation si souvent rencontrée que les rituels bleus de Wilhelmsbad n’étaient qu’esquissés et qu’au lyonnais était confiée la tâche de les achever est une légende, intéressée certes, mais sans fondement. Ceci n’enlève rien au fait qu’il avait pris une part prépondérante à la rédaction des rituels bleus lors du Convent lui-même. Quant au Code définitif, il ne vit jamais le jour. Les Codes adoptés à Lyon, qualifiés à Wilhelmsbad de « précieuses esquisses« , ne furent jamais ratifiés par un Convent général.
5. Les rituels de Wilhelmsbad.
Ils furent imprimés en une brochure de vingt-quatre pages pour le premier grade, neuf pour le deuxième et onze pour le troisième, intitulée « Rituel du grade (d’apprenti, de compagnon, de maître franc-maçon) pour le régime de la maçonnerie rectifiée ». Plusieurs versions manuscrites en sont connues, dont celle conservée à la bibliothèque du Grand Orient des Pays-bas, intitulée « Ritual (sic) du grade d’apprenti pour le régime de la franche-maçonnerie rectifiée, rédigé au Convent général de l’Ordre tenu à Wilhelmsbad en 5782 et Règlements concernant les loges de cérémonie et de réception, aussi pour les banquets d’Ordre » (catalogue n° VI-h-7). Il porte en dernière page la mention « expédié pour la Très R. Grande L. (Régence) écossaise séante à Strasbourg. (signé) Fr. Türckheim cadet, chancelier du Grd. Dir. Ecoss. expédié pour la R.L. La Candeur et Ferdinand aux neuf étoiles à l’Orient de Strasbourg, réunis sous l’inspection de la Rble Grande L. Ecossaise y séante. (signé) F. Metzler, chanc. de la Grde L. Ecossaise ». Les grades de compagnon et maître portent les numéros VI.h.8 et VI.h.9. Les versions imprimées et manuscrites ne diffèrent que sur quelques points.
Souvent comparables à ceux adoptés à Lyon, ils témoignent néanmoins d’une élaboration remarquable en bien des aspects.
Le triangle fait son apparition au mur d’Orient, avec la mention « Et tenebrae eam non comprehenderunt ». Il y remplace le symbole du grade (la colonne brisée) qui trouve sa place définitive « sur le tapis devant l’autel« . De même, l’étoile flamboyante orne l’Orient au 2° grade et le symbole du grade (la pierre cubique) est disposée devant l’autel.
La lettre B disparaît au 1° grade, modification somme toute logique, inspirée par l’exemple suédois : depuis 1750, cette lettre ne figurait plus sur le tableau d’apprenti (Feddersen, 1982, D/90, pl.5).
Pour la première fois l’ouverture des travaux prévoit l’allumage rituel des flambeaux, « en silence« , par le vénérable et de leur « lumière » par les surveillante et le secrétaire. C’était là une innovation notable, sans doute empruntée par Willermoz aux rituels Coens Lors de l’ouverture d’un temple Coen, l’illumination du « Tribunal » était minutieusement décrite. Elle faisait suite à la prière prononcée par le Souverain maître:
« Illumination.
Ensuite le Souv: M. allume son chandelier et les autres lumières prescrites par les Statuts Généraux: Il a soin que ce soit de la lumière de la bougie placée sur l’autel à l’Orient, laquelle ne doit jamais sortir de sa place. Dans les grandes cérémonies, il prend la bougie qui est au centre de son chandelier à sept branches, en faisant sept tours, à chacun desquels il prononce +.
Lorsqu’il a fini d’allumer les bougies que son grade, il ordonne aux deux Réaux + d’aller prendre chacun une bougie, pour continuer l’illumination.
Les deux Réaux + font ensemble une inclinaison, la main droite à l’ordre, et vont, savoir: celui qui est sur la droite du Souv: M., prendre une bougie du chandelier à trois branches qui est devant le Commandeur d’Orient; et le Réaux + qui est à la gauche, prendre la bougie qui est devant le Conducteur d’Occident; lesquelles ils présentent tous les deux au Souv: M., qui les allume à son chandelier à sept branches et les tend aux deux Réaux + pour aller allumer les autels d’Orient et d’Occident: le Réaux + de la droite, l’Orient; le Réaux + de la gauche l’Occident. Après avoir fait, ils reprennent leurs places en s’inclinant vers l’Orient.
Tandis qu’ils reprennent leurs places les surveillants du T(ribunal) s’inclinent tous les deux vers l’Orient et vont à pas libres allumer leurs lumières à l’autel du Conducteur d’Orient.
Les surveillants du P(orche) font la même cérémonie et allument leur lumière à l’autel du Conducteur d’Occident. »
(« Cérémonies à observer pour les officiers du Temple des Elus Coens », fonds Thory, B.N.)
La ressemblance avec l’illumination de la loge Rectifiée est frappante. . En 1778 encore, les flambeaux étaient allumés avant l’ouverture de la loge selon l’usage constant de la maçonnerie française. Cet usage, toujours inconnu en Angleterre, sera plus tard adopté par les loges de tous rites et complété, au XX° siècle, par l’énoncé des paroles rituelles « Que la sagesse…que la force …que la beauté… » (au Rite écossais Ancien et Accepté et au Rite Moderne Belge).
Apparaissent également la succession des « heures », si caractéristique du Rectifié , et le retour à l’heure profane lors de la fermeture.
Une prière est prononcée à l’ouverture et à la fermeture de la loge. Le rituel imprimé ne comporte que celle de fermeture. Toutes deux sont contenues dans le manuscrit de La Haye.
Les fonctions du Préparateur sont considérablement développées: 8 pages manuscrites contre deux seulement à Lyon. Les questions d’Ordres sont celles de Lyon dans le texte imprimé. La version manuscrite, sans doute rédigée plus tard, ajoute à la première question cette chute nouvelle: « …et que pensez-vous de la religion chrétienne?« .
A la porte de la loge le récipiendaire décline son nom de baptême et celui de son père. L’introducteur l’abandonne, dès son entrée, au soin du second surveillant qui lui fait subir l’épreuve du glaive.
La triple enceinte de Lyon disparaît, remplacée par les FF « formant la loge » autour du tapis lors des voyages (par le Nord, le Midi et le Nord) du récipiendaire, lequel assume pour la première fois les états de cherchant-persévérant-souffrant. Après avoir gravi, puis redescendu , les trois premières marches de l’escalier du temple, il gagne l’Orient par « trois grands pas en équerre sur le tapis » (le premier de l’Occident au Midi, le deuxième du Midi au Septentrion, le troisième du Septentrion à l’Orient), subit l’épreuve fictive du sang et prête une obligation qui, innovation sans doute due à la religiosité du duc de Brunswick, contient une clause de fidélité à la « sainte Religion Chrétienne ». Au préalable il a du répondre à la question concernant l’évangile de Saint Jean ainsi formulée: « Votre main est posée sur l’évangile de Saint Jean, le croyez-vous? » (à Lyon, la question était « y croyez-vous? ».). Les châtiments physiques sont remplacés par une pénalité toute morale: « Si j’y manque, je consens d’être réputé homme sans honneur et digne du mépris de tous mes frères… » Les pénalités physiques d’autrefois sont cependant rappelées dans l’Instruction morale du grade qui les énumère in extenso, non sans ajouter qu' »une sage précaution les fit supprimer ».
Le catéchisme, ou instruction par questions et réponses, est divisé en trois sections. Il distingue trois lumières, qui sont « le soleil, la lune et le vénérable maître« , de trois autres, représentées par le chandelier à trois branches de l’autel d’Orient, qui font allusion à la « triple puissance qui ordonne et gouverne le monde« , notion des plus martinéziste malgré son apparence trinitaire. Le premier ensemble ne peut désigner que les flambeaux d’angle. La Bible cesse d’être un « meuble »: « elle signifie le pouvoir qui est confié au vénérable maître, qui est fondé sur la loi même qui constitue la loge« .
Le pavé mosaïque qui à Lyon « ornait le seuil de la porte et s’appliquait aux compagnons » couvre ici « l’entrée du souterrain du temple entre les deux colonnes », rappel sans doute des degrés « cryptiques » que Willermoz connaissait de longue date. N’avait-il pas fait suivre sa signature du titre « Roïal Arche » dans la lettre à Chaillon de Jonville, citée plus haut? Relevons cependant que le souterrain sous le Mont Moriah était également décrit dans un catéchisme des Elus Coens, le « Philosophe Elu Coen de l’Univers ».
L’ouverture successive aux 1°, 2° et 3° grades est prescrite lors des travaux aux grades supérieurs, sans qu’il soit possible d’y déroger. Au grade de compagnon apparaît la 2° maxime (« Celui qui ayant embrassé le chemin de la vérité n’a pas le courage…« ) qui vient compléter les deux prévues à Lyon, tandis que le récipiendaire est dispensé des deux derniers des cinq voyages. Il gagne l’Orient « par les trois mêmes pas du grade d’apprenti par-dessus le tapis » après avoir monté cinq marches en marquant un temps d’arrêt après le troisième.
Au grade de maître, le tableau à tête de mort est triplé ainsi que l’inscription « pensés (sic) à la mort« . Le mausolée est ainsi décrit:
dans l’angle du Sud-Ouest sera un tableau ou mausolé (sic) posé sur une baze (sic) triangulaire élevée sur trois marches. Au milieu de cette baze sera une urne sépulchrale du haut de la quelle s’élèvera une vapeur enflammée ascendante, et détachée de l’urne: au-dessous de l’urne seront à chaque angle du monument trois petites boules de couleurs bien tranchantes faisant en tout neuf, avec ces mots: « Tria Formant »; et au-dessous de la vapeur enflammée sera une autre inscription avec ces mots: « Deponit Aliena, Ascendit Unus ».
Introduit à reculons, le candidat effectue neuf voyages puis monte les sept marches de l’escalier du temple, avant de gagner l’Orient par trois pas « en diagonale par-dessus le tableau« .
L’ancien mot du maître n’est plus communiqué, mais seulement les lettres J. et A., déjà inscrites sur le tapis. Cette décision signifiait l’abandon de la tradition française, conservée au Rite du même nom, qui prévoyait la communication de l' »ancien mot », en fait le tétragramme hébraïque, dès la réception à la maîtrise. Le troisième grade se vit ainsi amputé de sa conclusion logique, d’où la nécessité d’un grade supplémentaire qui vienne pallier cette lacune. Le même processus, en Grande-Bretagne, amena le développement du degré de l’Arche Royale.
Le « nom » du maître est Gabaon et le mot de reconnaissance Schi…
L’ébauche du quatrième grade, avec l’introduction de Saint André et de la Jérusalem céleste, est publié en annexe.
6. L’influence méconnue du Rite Suédois.
En arrivant à Wilhelmsbad, Willermoz ne connaissait des rituels suédois que ce que Charles de Hesse avait bien voulu lui confier dans une lettre du 22 septembre 1780 (publiée in Van Rijnberck, 1948 : 19). Lors de la 12° séance (31 juillet), il demanda que « soient lus les différents cahiers arrêtés au Convent National (de Lyon), ainsi que ceux de Suède et de Berlin ». Il eut gain de cause puisque ceux-ci furent remis, nous l’avons vu, au comité des rituels.
On sait peu de chose du Rte Suédois en dehors des pays scandinaves, sinon qu’il est chrétien et que l’influence française, et non britannique, y est prédominante, la franc-maçonnerie ayant été introduite en Suède en 1735 par le comte Axel Ericson Wrede-Sparre, initié à Paris vers 1730, suivi par le baron Charles-Frédéric Scheffer, initié lui aussi à Paris le 14 mai 1737 dans la loge Coustos-Villeroy, qui devint le premier Grand Maître National en 1753. En 1756, les rituels français utilisés jusque là furent revus par une commission présidée par le Comte Posse, vénérable de la loge Saint Jean Auxiliaire (le baptiste) fondée le 13 janvier 1752. La même année fut « régularisé » Charles Frédéric Eckleff (1723-1786), un employé du ministère des affaires étrangères, qui fonda, le 30 novembre, une loge de Saint-André intitulée « L’Innocente », puis, le 25 décembre 1759, le « Chapitre Illuminé de Stockholm ». Devenu Ordens+Meister, il le présida jusqu’à ce que lui succède, le 14 mai 1774, le duc de Sudermanie (1748-1818) qui deviendra roi de Suède en 1809 sous le nom de Charles XIII. Ces deux personnages donnèrent au Rite Suédois la forme qui est toujours la sienne : trois grades symboliques dits de Saint-Jean, trois grades écossais, dits de Saint-André, quatre grades capitulaires d’inspiration templière et un grade ultime, le onzième, dit Chevalier Commandeur de la Croix Rouge.
En 1782, le système était encore inachevé. Le prince Charles de Hesse en énuméra les grades lors de la 9° séance du convent :
- Loges de Saint Jean. Apprentif, Compagnon, Maître.
- Loges de Saint André. Appr. Comp. Maître.
- Chev. d’Orient. Historique du T.
- Chev. d’Occident – continuation du T. , nommé sous officier ou officiant.
- Grand Officier ou Confident de Saint Jean.
- Magister Templi
Les rituels scandinaves sont rarement mentionnés et ne sont jamais discutés. Le souci du secret, très développé dans ces lointaines contrées, a toujours empêché qu’ils soient divulgués. Aujourd’hui encore ils sont jalousement conservés dans les archives des loges et confiés aux officiers pour la seule durée des tenues. Ils ne furent jamais publiés en français, ni en anglais. Je n’en connais qu’une divulgation allemande, plus tard traduite en néerlandais, « Sarsena… » (Bamberg, 1816) qui n’en présente que les grades de Saint-André (P.Noël, 1998). Willermoz pourtant les reçut en dépôt, en suédois et en français, ce qui explique que certains d’entre eux (les grades de Saint-André en tout cas) se trouvent aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Lyon.
Personne, à ma connaissance, n’a remarqué l’importance des apports suédois aux rituels adoptés à Wilhelmsbad. Il suffit pourtant d’avoir assisté à une tenue au grade d’apprenti, à Stockholm ou ailleurs, pour constater ces emprunts. Je n’en citerai que les plus significatifs :
- L’absence de la lettre B sur le tableau de la loge d’apprenti.
- Les répétitions des annonces par les deux surveillants.
- La succession des heures (midi, midi plein) en ordre croissant et décroissant lors de l’ouverture et de la fermeture des travaux.
- La triple répétition des signes pour ouvrir et fermer la loge.
- La succession cherchant-persévérant-souffrant.
(Par contre, l’influence française est tout aussi évidente. Ainsi la disposition des flambeaux d’angle dans ce système est celle du Rite Français (NE, SE et SO), qui fut abandonnée lors de la réforme de Lyon au profit de la disposition « écossaise ». Ajoutons que la réception à la maîtrise est pratiquement identique à celle adoptée par le Grand Orient de France en 1786).
Autre élément significatif, saint André fut introduit à Wilhelmsbad dans l’ébauche du 4° grade. Or celui ci avait été omis à Lyon, délibérément sans doute puisque Willermoz connaissait, depuis 1761 au moins, un « Chevalier de l’Aigle, du Pélican, Chevalier de Saint-André ou Maçon d’Heredon », c’est à dire le Rose-Croix (A.Joly, 1938 :.9). Pourquoi a-t-il introduit, ou accepté, à Wilhelmsbad une référence qu’il avait négligée 4 ans plus tôt ? Est-il insensé de penser que l’importance accordée à l’apôtre par le système suédois fut la cause de ce revirement ?
IV. Les remaniements d’après Wilhelmsbad.
1.Le demi-mensonge de Willermoz.
Le Convent, loin d’être le succès espéré, sonna le glas de la Stricte Observance. Les loges allemandes rechignèrent à accepter la réforme de Lyon et, pour la plupart, soit en revinrent à la maçonnerie anglaise soit se tournèrent vers d’autres horizons. Là n’est pas notre propos.
Les Français, par contre, voulurent achever le travail entamé. Dans la lettre célèbre qu’il adressa à Charles de Hesse le 10 octobre 1810, Willermoz s’en explique en des termes soigneusement choisis qui ne révélaient que ce qu’il voulait bien dire à son lointain correspondant:
Votre Altesse se rappelle sans doute que le temps que les députés au Convent général pouvaient accorder pour la durée de cette assemblée étant insuffisant pour perfectionner la multitude des travaux projetés, on s’occupa d’abord des plus importantes; on se borna ensuite à esquisser la réforme des grades symboliques et des deux de l’Ordre Intérieur. L’esquisse des trois premiers considérés comme suffisante pour satisfaire la première impatience des loges et des chapitres et leur faire connaître le véritable esprit qui avait dirigé ce travail fut imprimé et distribué aux députés. Une commission spéciale prise dans le sein de l’assemblée parmi les frères d’Auvergne et de Bourgogne, connus pour les plus instruits, fut chargée d’en faire plus à loisir la révision et la rédaction définitive avec la faculté de s’adjoindre à Lyon et à Strasbourg les frères qu’ils jugeraient les plus capables de leur (sic) aider à perfectionner ce grand et important travail. La rédaction définitive adoptée par les trois provinces françaises et celle d’Italie fut présentée à l’Eminent Grand Maître Général qui l’approuva en 1787. Dès lors, ils furent publiés dans les chapitres de France. (in Steel-Maret, 1893, p.6).
Ce n’était là que demi-vérité. Selon le Recès, les grades bleus avaient été bel et bien achevés à Wilhelmsbad, seuls restaient incomplets le quatrième et ceux de l’Ordre Intérieur. Les chevaliers d’Auvergne et de Bourgogne n’avaient nulle part été constitués en commission des rituels et Willermoz avait outrepassé le mandat reçu en remaniant encore les grades bleus. Certes Brunswick avait entériné, en 1787, la version que le lyonnais lui proposait mais jamais il n’eut connaissance de la rédaction finale des degrés, achevée l’année suivante seulement.
La version officialisée par l’accord a posteriori du Grand Maître Général est déposée aux archives municipales de Lyon. Intitulée « Rituel pour le régime de la franc-maçonnerie rectifiée adoptée au Convent général de l’Ordre à Wilhelmsbad en 1782 » (toutes les versions postérieures au Convent portent la mention « adoptée au Convent général »!), elle porte en première page la précision suivante: « Originaux des grades maçonniques pour les Archives du Directoire Général de Lyon en juillet 1784…utilisés de 1783 à 1788″, mais 1788 est biffé et remplacé par 1785, date qui est celle d’une révision dont nous reparlerons. Certifiés par Millanois, ils furent sans doute utilisés jusqu’à cette date (Ms 5922, bibliothèque de la ville de Lyon).
Publiés récemment par l’I.M.R.E.T.(1987), ils ne s’éloignent guère de ceux adoptés à Wilhelmsbad. Comme de juste, ils prévoient l’ajout de la religion chrétienne dans la première question d’Ordre. Pour le reste la seule modification notable est le déplacement du S.E. au N.E. du triple flambeau d’Orient au troisième grade.
Le 5 mai 1785, le Directoire d’Auvergne décida que le nom de l’apprenti serait dorénavant Phaleg, suite aux révélations de l' »Agent Inconnu » A partir d’avril 1785, Willermoz se désintéressa de son système rectifié. Les révélations mystérieuses d’un « agent », écrites sous une inspiration « surnaturelle », analogue au sommeil magnétique, retinrent toute son attention. Il fonda la « Société des initiés »consacrée à l’étude de ces textes et y reçut Saint-Martin. Selon l’agent inconnu, Tubalcaïn était un personnage détestable, « capable des plus honteuses prévarications en voie charnelle ». Le caractère libidineux du « premier ouvrier en métaux » ne permettait pas qu’on utilise son patronage. Ce n’est que deux ans plus tard que les « initiés » devinrent plus critiques, lorsqu’ils apprirent que l’agent n’était autre qu’une chanoinesse de Remiremont, Marie-Louise de Monspey (Madame de Vallière). Elle n’en continua pas moins à leur envoyer ses « révélations » jusqu’à la fin du siècle. Reconnaissons que l’Agent ne faisait que confirmer les affirmations de Martinez. Le « Traité de la Réintégration des Etres… » distingue deux sortes d’hommes selon qu’ils descendent de Cain ou de Seth. Les premiers sont irrémédiablement perdus, les seconds susceptibles de recouvrer l' »état glorieux » d’Adam avant sa chute. Tubalcain appartient de toute évidence à la première catégorie, Phaleg à la seconde. . Tubalcaïn étant un ouvrier en métaux, son initiation ne pouvait être qu' »impure », l’apprenti devant être dépouillé de ses métaux. Phaleg, descendant de Sem, béni par Noé, était « le véritable instituteur de la maçonnerie et le premier qui ait tenu loge ».
2. La dernière révision (1787-1788).
La rédaction finale fut achevée par Willermoz de novembre 1787 à avril 1788, époque qui vit le séjour à Lyon de Louis -Claude de Saint-Martin. Est-ce le « philosophe inconnu » qui lui inspira cette ultime révision? C’est possible, sinon probable (je n’affirme rien). L’ancien secrétaire du « Grand Souverain » s’était toujours tenu à l’écart de la maçonnerie templière, malgré une adhésion tardive et de principe, et ses ouvrages montrent qu’il était resté très proche des enseignements de son maître disparu. A-t’il réveillé chez son ami une flamme quelque peu négligée? Des notes de Willermoz le suggèrent (Dachez et Désaguliers, 1990, pp.16-20). En tout cas la dernière version des rituels bleus, envoyée en 1802 au vénérable maître Achard de la loge de Marseille « la Triple Union » (Ms FM 418, B.N. Paris), témoigne d’une imprégnation Coen jamais atteinte jusque là. Elle ne fut jamais, à ma connaissance, soumise à l’approbation des supérieurs allemands de l’Ordre. Ces rituels , utilisés de nos jours par les loges rectifiées de la Grande Loge Nationale française, ne peuvent, en tout état de cause, être présentés comme conformes aux décision de Wilhelmsbad. Ils s’en éloignent par trop d’innovations qui auraient bien surpris les délégués au Convent.
Les instruments (équerre, niveau, perpendiculaire) complètent le tableau du premier grade.
L’Introducteur accompagne le candidat durant ses voyages, avec le second surveillant.
Le candidat rencontre au cours de ceux-ci les « éléments » (mieux vaudrait dire les « essences spiritueuses »): le feu au Midi, l’eau au Nord, la terre à l’Occident. Cette péripétie, que ne connaissent ni le Rite Ecossais Philosophique ni le Rite français ( les épreuves-purifications y furent introduits à la même époque mais leur signification y est toute différente), relève de la cosmologie de Martinez. Le caractère ternaire de la Création est le reflet de la « Triple Puissance » qui gouverne le monde: la Pensée, la Volonté et l’Action divine, représentées dans la loge par le triple chandelier d’Orient. D’après Martinez, l’Univers a la forme d’un triangle dont la pointe regarde l’occident, chaque angle étant occupé par un des trois éléments fondamentaux de la matière:
Nord Sud
eau feu
Occident
terre
Au grade d’Apprenti de l’Ordre des Elu-Coens, les trois éléments sont ainsi disposés autour du candidat, couché à même le sol, les pieds vers l’Orient, et enveloppé dans trois tapis, noir, rouge et blanc, emblématiques desdits éléments (C.A. Thory, 1812, pp. 246-247). Le rituel rectifié rappelle cette disposition et souligne que le candidat parcourt les trois régions en lesquelles le monde est divisé.
Les emblèmes de la Justice (à l’Orient) et de la Clémence (à l’Occident), allusions à la chute du premier homme et à la condition de sa « réintégration » en son état primordial, son successivement présentés au récipiendaire lorsqu’il reçoit « le premier rayon de lumière« .
Au grade de compagnon furent introduits la « vertu » du grade (tempérance) et le rejet de pièces de métal (fer, airain, argent) qui ponctue les trois voyages du récipiendaire, usage sans précédent dans la franc-maçonnerie du XVIII° siècle. L’Instruction ajoute qu’elles devraient être cinq, en conformité avec le nombre théorique de voyages dont les deux derniers sont épargnés à l’impétrant.
D : Qu’avez-vous appris dans les trois voyages que vous avez faits?
R : J’ai éprouvé les vices des métaux mais docile aux avis de mon guide, je les ai jetés à mes pieds, hors de l ‘enceinte du temple et j’ai obtenu des maximes salutaires.
D : Quels étaient ces métaux?
R : Dans mon premier voyage, j’ai trouvé l’argent au Nord; dans mon deuxième, l’airain au Midi et, dans le troisième, le fer à l’Occident.
D : Pourquoi ne vous a-t’on pas fait éprouver l’or qui est le premier des métaux?
R : Parce que l’or étant à l’Orient, les apprentis et les compagnons ne pourraient le découvrir.
D : Pourquoi ne vous a-t’on pas fait connaître les deux autres métaux?
R : Je ne sais, ayant été dispensé des deux derniers voyages.
Cette péripétie nouvelle était empruntée au grade de Maître élu, quatrième grade de la hiérarchie coen qui en contenait onze (R.Dachez, 1981, pp. 189-191). L’épreuve la plus remarquable du rituel est un ensemble de cinq serments que doit prêter le récipiendaire, aux quatre points cardinaux puis au centre du temple. Chacun se termine par la formule « Abrenuncio » et le rejet d’une pièce de métal: de plomb à l’Occident, de fer au Septentrion, de cuivre au Midi, d’or à l’Orient et d’argent au centre. L’ordre des métaux diffère mais l’inspiration est bien reconnaissable.
Le troisième grade, inchangé dans l’ensemble, voit l’introduction de la vertu de prudence qui complète l’énumération des vertus cardinales.
3. Le grade de maître écossais de Saint André.
Il ne fut achevé qu’en 1809 par Willermoz alors âgé se 79 ans et devenu bien seul:
J’ai annoncé plus haut à Votre Altesse que le travail de rédaction presque fini du 4° grade avait été forcément suspendu en 1789…Vingt années se sont écoulés en cet état, mais l’année dernière après la grande maladie que j’essuyai me voyant rester seul de tous ceux qui avaient participé à cet ouvrage, effrayé du danger que je venais de courir et sentant vivement toutes les conséquences fâcheuses qui en résulteraient si cette lacune dans le régime rectifié n’était pas rempli avant ma mort, j’osai entreprendre de le faire (in Steel-Maret, 1893, pp. 12-13)
Dans cette lettre adressée en 1810 à Charles de Hesse, le patriarche lyonnais rappelait que le Convent n’avait arrêté que les bases du quatrième grade, avec le tableau de la Nouvelle Jérusalem et la montagne de Sion surmontée de l’agneau triomphant. Par contre, il s’abstint soigneusement d’ajouter que les « discours » et l' »Instruction finale », entièrement de sa main, constituaient une introduction très complète à la doctrine de Martinez et un excellent prélude aux enseignements de la (Grande) Profession, que n’avaient jamais, et pour cause, prévus les députés au Convent.. De fait ces textes étaient l’occasion d’expliciter enfin la filiation spirituelle de l’ensemble de l’oeuvre.
Le grade lui-même ne s’écarte guère de l’ébauche de Wilhelmsbad. Le quatrième tableau et son évocation de l’Apocalypse, la référence à saint André paraissent bien appropriés à un grade de transition qui « figure le passage de l’Ancien au Nouveau Testament« . Rien là de bien neuf. Au-delà même de l’ébauche du Convent, Willermoz n’avait qu’à puiser dans ses souvenirs: le dernier grade du chapitre des chevaliers de l’aigle noir n’était-il pas, en 1761, la « chevalier de Saint André » (A.Joly, 1938, p.9). Quant à la Nouvelle Jérusalem, elle apparaissait au grade de « Sublime Ecossais » (source probable du 19° degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté) qui avait pour thème « une haute montagne où il y a une ville carrée qui a douze portes » (lettre de Meunier de Précourt, 1761, in Steel-Maret, 1893, p.75). Ces développements permettaient à Willermoz d’affirmer « L’Ordre est chrétien, il doit l’être et ne peut admettre dans son sein que des chrétiens ou des hommes libres disposés à le devenir de bonne foi ».
L’instruction était aussi l’occasion de définitions dont le style et la conception semblent empruntées aux catéchismes en usage dans le diocèse de Lyon à l’époque (J.Granger, 1978, in « La Franc-maçonnerie chrétienne et templière des Prieurés Ecossais Rectifiés », 1982). Ainsi en va-t-il des Juifs exclus « religieusement » du Rite, de la fraternité limitée aux seuls maçons chrétiens, de l’Ancienne Loi considérée comme « abolie ». Toutes, notons-le, furent introduites tardivement (les rédactions antérieures les ignoraient) alors que s’affirmait le messagemartinéziste. .
Le patronage de Saint André permit aussi l’achèvement de la médaille du grade. Jusque là, elle n’avait qu’une face avec le double triangle et l’initiale du nom d’Hiram, comme le montre la médaille de maître écossais de Willermoz conservée à la bibliothèque municipale de Lyon. Depuis la révision finale, elle présente à son revers le martyre de l’apôtre sur la croix « en sautoir » qui porte son nom.
V. Epilogue.
Willermoz vit-il jamais exécuter son dernier rituel? On peut en douter. Le Rite Rectifié ne se remit jamais des événements révolutionnaires qui virent la disparition des institutions fondées avant 1789. Certes quelques loges ranimèrent le flambeau, à Marseille, Avignon, Paris et, surtout, Besançon mais leur existence fut éphémère ou sporadique. Cambacérès, chef de la maçonnerie française sous l’Empire, accepta la Grande Maîtrise du Rite en 1809 mais ce fut là un geste de pure forme. Willermoz remit à la Préfecture de Neustrie (Paris) cahiers et rituels en 1808 mais celle-ci ne survécut guère à cet envoi. Lorsqu’il mourut, le 29 mai 1824, ne subsistaient que le Grand Prieuré d’Helvétie, fondé en 1779, et celui de Bourgogne, reconstitué à Besançon en 1817, tous deux appartenant à la V° Province.
Après quelques années de léthargie, le Directoire de Bourgogne fut réveillé à Besançon le 5 avril 1840, peu avant la reprise des travaux (5 juin) de la loge « La Sincérité et la Parfaite Union » qui s’unit le 26 septembre 1845à la « Constante Amitié » du même Orient. Dépositaires des archives de l’ancien Directoire de Strasbourg, V° province, cette loge, inscrite aujourd’hui encore au tableau du Grand Orient de France, abandonna par la suite la pratique du Rite Ecossais Rectifié, pour ne la reprendre qu’en 1937.
De nos jours, les deux seules filiations légitimes du Rite sont le très irrégulier Grand Orient de France et le Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie, obédience-mère des Grands Prieurés actuels , qu’ils soient « des Gaules », « de France », « d’Amérique » ou « de Belgique » Comme pour toute obédience de « hauts-grades », leur régularité dépend de celle des Grandes Loges où elles recrutent leurs membres. .
VI. Conclusions.
Mon récit s’arrête là car les péripéties ultérieures renvoient sans plus à l’évolution idéologique et obédientielle des XIX° et XX° siècles. Une seule mérite d’être citée: la décision du Directoire du Grand Prieuré d’Helvétie de scinder le quatrième grade en « maître écossais » et « maître parfait de Saint André » (29 novembre 1893). Cette partition qui allège le pesant rituel de 1809 s’accompagna aussi, heureusement, de la suppression des remarques désobligeantes, voire outrageantes, à l’égard des Juifs ( également expurgées des rituels en usage de nos jours en Belgique).
Les rituels du Rite Ecossais Rectifié furent élaborés en quelques vingt-quatre années, de 1775 à 1809, qui virent un travail intense et une mise en place laborieuse. On peut y distinguer quatre étapes essentielles: les rituels de Lyon, ceux de Wilhelmsbad, la version « courte » de 1785, la version « longue » de 1788, cette dernière caractérisée par une imprégnation martinéziste qui devait culminer dans le rituel de 1809. Rien n’empêcherait, aujourd’hui, les loges rectifiées de choisir l’un ou l’autre de ces rituels successifs, tous conformes à un moment de la pensée du fondateur.
L’empreinte d’un seul homme, Willermoz, donna à toute cette entreprise une cohérence que peuvent lui envier bien des Rites maçonniques. Convaincu que la maçonnerie devait enseigner des « vérités essentielles », il les trouva, ou crut les trouver , dans l’enseignement de Martinez de Pasqually. Ainsi instruit, il n’eut de cesse qu’il ait imprégné l’institution maçonnique de ce martinézisme, allusif dans les grades bleus, apparent dans les discours et l’Instruction finale du quatrième grade, avoué dans les Instructions secrètes de la Profession. Reconnaissons qu’il sut habilement se servir de la tradition maçonnique française pour communiquer un message théosophique qui lui était étranger.
Mais si le martinézisme est sans conteste la ligne directrice de la réforme, la structure du Rite reste celle de la maçonnerie ordinaire, c’est à dire une adaptation plutôt réussie de l’héritage britannique. Heureusement d’ailleurs puisque cela seul justifie qu’il ait sa place au sein de la maçonnerie régulière. Nous pouvons sans crainte poser la prémisse suivante: le Rite Rectifié est une forme parmi d’autres de maçonnerie traditionnelle qui s’en distingue par un apport doctrinal extra-maçonnique dont chacun fait ce qu’il lui plaît, Martinez n’étant ni un juge infaillible ni, a fortiori, un Père de l’Eglise.
Le christianisme du Rite, si souvent allégué, est, à mes yeux, un faux problème. Certes Willermoz était un chrétien dévot et un catholique engagé, ce que n’étaient ni Martinez ni Saint-Martin, chrétiens eux aussi mais bien peu orthodoxes. Les rituels qu’il rédigea s’en ressentirent malgré le soin qu’il mît à les rendre acceptables aux luthériens de Strasbourg et d’ailleurs. Vu le personnage, on ne peut s’étonner d’affirmations écrites sous l’Empire telles : « Les Juifs, les mahométans et tous ceux qui ne professent pas la religion chrétienne ne sont pas admissibles dans nos loges » (Instruction finale du quatrième grade) ou encore « L’institution maçonnique, tous les faits le démontrent, est religieuse et chrétienne » (lettre de 1814-1815, in cahiers verts, n°10-12, 1992, pp. 241-268). Willermoz était un homme de son temps, d’une époque où les Juifs n’étaient que tolérés dans la société. Rien ne sert de le lui reprocher, n’est pas l’abbé Grégoire qui veut! Remarquons plutôt qu’il fallut 1809 pour que soit explicitée une exclusion jusque là tacite. Outre une radicalisation due à l’âge que j’appellerais volontiers le syndrome de Jean Barrois, j’y verrais plutôt la réaction à une situation nouvelle qui rendait plausible ce qui était autrefois impensable: la candidature d’un Juif à l’initiation maçonnique. N’avaient-ils pas enfin acquis, en 1791, ce droit de cité que l’Ancien Régime leur avait toujours refusé?
Les oeillères et les petitesses du patriarche lyonnais, pour compréhensibles (je ne dis pas excusables) qu’elles soient, suffisent en tout cas pour que nous refusions, sans crainte d’altérer la « tradition », des affirmations aujourd’hui inacceptables même pour l’Eglise de Jean-Paul II. Certains affirment, certes, que le Rite Rectifié est chrétien dès le premier grade et ne peut accepter que des chrétiens à l’initiation. Cette évidence découlerait du contenu des rituels, sans même qu’il faille insister sur la personnalité de son rédacteur. Or les rituels symboliques , si on veut bien les lire naïvement, ne disent rien de tel. Ils sont d’abord des rituels maçonniques entièrement basés sur la construction du temple de Salomon et sa réédification par Zorobabel, sans contenu intrinsèquement chrétien.
La clause de « fidélité à la Sainte Religion Chrétienne » de l’obligation Il ne suffit pas d’exiger dans un serment la fidélité à la religion chrétienne (ou israélite, ou musulmane) pour que l’objet de ce serment devienne chrétien (ou israélite ou musulman). Imaginez qu’une telle clause soit ajoutée au serment d’Hippocrate, cela ne ferait pas de la pratique médicale une pratique chrétienne (ou israélite ou musulmane). , le nom de baptême du candidat et celui de son père (question qui revient à exclure les convertis, un comble même à l’époque), la question d’ordre concernant la religion chrétienne (introduite après Wilhelmsbad) sont des ajouts de surface qui ne changent rien ni au fond des rituels ni à leur « efficacité » initiatique, ni même à l’économie générale du système comme le démontre à satiété l’usage constant des loges Rectifiées belges qui les ont supprimés depuis l’introduction du Rite dans ce pays. L’exposition de l’évangile de Saint Jean est une constante de la maçonnerie continentale depuis son introduction en France et ailleurs (14) L’insistance sur l’Evangile de Saint Jean vient, me semble-t’il, non de son contenu « ésotérique » mais plutôt de l’importance toute particulière que lui accordait l’Eglise catholique d’avant le Concile de Vatican II. Son prologue était exposé durant la messe et lu par le prêtre après qu’il eût renvoyé les fidèles, quel que soit le jour de l’année liturgique. . Quant aux prières elles ne présentent aucun caractère confessionnel et peuvent être prononcées par tous. Qu’en conclure sinon que les grades bleus rectifiés sont exclusivement « vétéro-testamentaites » comme leurs homologues du Rite Moderne Belge ou du Rite Anglais (ce qui bien sûr n’interdît à personne d’en faire une lecture chrétienne, comme c’est depuis toujours le lot du Pentateuque ou de ce merveilleux chant d’amour charnel qu’est le Cantique des Cantiques). Willermoz lui-même l’admit dans une lettre adressée à Bernard de Türckheim (8 juin 1784, in Renaissance Traditionnelle, 26:285, 1978):
Vous ne pouvez nier que les trois premiers grades ne peuvent présenter que des emblèmes et des symboles…tous fondés sur le temple de Jérusalem ou l’Ancien Testament qui lui-même est fondé sur la Loi écrite ou religion révélée qui a succédé à la Loi ou religion naturelle, lesquelles sont désignées dans nos loges par les deux colonnes du vestibule.
L’Instruction finale de 1809 ne dit rien d’autre:
Tout ce que vous avez vu jusqu’à présent dans nos loges a eu pour base unique l’Ancien Testament et pour type général le temple célèbre de Salomon à Jérusalem qui fut et sera toujours un emblème universel.
Avec le quatrième grade apparaît une autre dimension. Le tableau final est la première référence chrétienne univoque qui soit présentée au maçon rectifié dans le corps d’un rituel, et non dans une glose connexe ou un commentaire parallèle. Rien là que de très normal puisque ce tableau « dont l’explication est si facile figure pour le maçon le passage de l’Ancienne Loi qui a cessé à la Nouvelle apportée aux humains par le Christ » (Instruction finale). Le message est clair. Si les grades bleus sont « vétéro-testamentaires » et maçonniques, ce cycle est clos par le quatrième grade qui annonce ou plutôt ouvre le cycle chevaleresque chrétien. Les deux Ordres, maçonnique et équestre, articulés par un grade de transition, sont distincts comme le sont le Craft britannique et l’Ordre des Knights Templar (ou du Red Cross of Constantine), articulés par le degré intermédiaire du Royal Arch. Dans les faits, le Rite Rectifié s’aligne sur la maçonnerie anglo-saxonne qui offre une série de degrés non-confessionnels et d’autres, chrétiens, ouverts à tous ceux qui en acceptent la spécificité. Rien n’empêche donc qu’un maçon reçoive les quatre premiers grades du Rite rectifié et s’abstienne de poursuivre si sa conscience lui interdit d’accepter le christianisme de l’Ordre Intérieur. N’est-ce pas ce que Willermoz écrivait dans la lettre déjà citée de 1814-1815:
La première des trois question d’Ordre présentée à la méditation du candidat dans la chambre de préparation est ainsi formulée: quelle est votre croyance sur l’existence d’un Dieu créateur et Principe unique de toutes choses, sur la Providence et sur l’immortalité de l’âme humaine, et que pensez-vous de la religion chrétienne? A cette question le candidat répond librement tout ce qu’il veut et on ne le conteste nullement. On lui présente les mêmes questions aux deuxième, troisième et quatrième grades et on ne le conteste point sur ses réponses. Mais au quatrième on le prévient que le moment est venu de faire connaître franchement ses pensées sur leur contenu et que ses progrès ultérieurs dans l’Ordre dépendront de la conformité de ses principes et opinions avec ceux de l’Ordre.
Le candidat répond donc librement à la question « sans qu’on le conteste« , il peut exprimer une conviction qui ne soit pas celle de son interlocuteur et néanmoins être reçu jusqu’au quatrième grade inclus. Qu’espérer de mieux? Son admission dans l’Ordre Intérieur, seule, dépendra « de la conformité de ses réponses« . Laissons là le côté déplaisant et inquisitorial du questionnaire, impensable de nos jours (dans les Ordres chrétiens anglo-saxons, le candidat doit reconnaître une Foi trinitaire sans que nul ne s’avise de s’informer si elle est « conforme » aux principes de l’Ordre), contentons-nous de l’aveu même s’il est involontaire, ce que je concède volontiers. Sans doute Willermoz a-t-il mal mesuré ses paroles, n’ayant jamais prévu la lecture iconoclaste que j’en fais, pas plus qu’Anderson n’a imaginé ce que certains feraient de son « athée stupide »! Qu’importe si, dans une intuition prémonitoire, le lyonnais a laissé échapper un propos qui, aujourd’hui, permet la pratique harmonieuse d’un des Rites les mieux conçus que la maçonnerie connaisse, en parfaite concordance avec les principes de la Franc-Maçonnerie régulière .
Résumé.
Stricte Observance 1775.
- Symboles des grades bleus et devises
- Lumière en deux temps, « Sic transit Gloria Mundi »
- Ecossais vert: quatre lumières, un tableau (Hiram ressuscitant)
Lyon 1776.
- symbole du 4°grade (lion…)
Lyon 1778.
- questions d’Ordre
- disposition « écossaise » des lumières
- maximes
- Question-test évangile de Saint Jean
- omission des pénalités
- miroir au 2°
- mausolée du 3°
- Ecossais:
* deuxième temple
* trois tableaux
* Zorobabel
* découverte du « Nom »
Wilhelmsbad 1782
- triangle d’Orient
- allumage des flambeaux
- prières
- nom de baptême et « Sainte religion Chrétienne »
- structure ternaire de l’homme
- ouverture successive aux trois grades
- disparition du mot de maître
- ébauche du 4° grade (saint André)
Lyon 1785
- Phaleg
- déplacement du flambeau du S.E. au 3°
Lyon 1788
- Justice et Clémence
- épreuves des éléments
- rejet des métaux
- vertus cardinales
Lyon 1809 (4°grade)
- 4° tableau
- Saint André
- discours et instruction martinézistes
—-
Bibliographie.
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Désaguliers R. (1983) : »De la loge-mère de Marseille à la « Vertu Persécutée » d’Avignon et au « Contrat Social. » Renaissance Traditionnelle 54-55:88-101.
Feddersen K.C.F. (1982) : « Die Arbeidstafel in der Freimaurerei ». Quatuor Coronati n°808 Bayreuth
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Verval G. (1987) : « La spécificité du Rite Ecossais rectifié ». Nivelles
Remerciements.
Je remercie chaleureusement mon ami Frits van Geleuken qui m’a communiqué les copies des rituels établis aux Convents des Gaules et de Wilhelmsbad (références dans le texte), conservés au fonds Kloss de la bibliothèque du Grand Orient des Pays-Bas.
Légendes des planches :
Pl. 1: loge d’apprenti de la Stricte Observance. Noter la disposition des chandeliers d’angle.
Pl. 2: tableau du 3° grade (Stricte Observance).
Pl. 3: tableau du 4° grade (Stricte observance): Hiram sortant du tombeau.
Pl. 4: tableau d’écossais tiré de la divulgation « Les francs-maçons écrasés… » (1747).
Pl. 5: tableau d’apprenti, Rite Suédois, vers 1770.
Annexe
N°1: esquisse du 4° grade adopté à Wilhelmsbad.
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Notes